La changeante nature de Léonard de Vinci
La contribution d’une historienne de l’art à la lutte contre la morosité du temps : alors que le printemps s’épanouit, Laure Fagnart (ULiège) montre que Léonard de Vinci a sans cesse été stupéfié par le spectacle et la grandeur de la nature.
Léonard de Vinci, dont on a commémoré le 500e anniversaire de la disparition en 2019, était obsédé par la nature. Une nature qu’il a abondamment observée. Les chercheurs pensent que son acuité visuelle était exceptionnelle de près comme de loin, deux qualités rarement réunies chez une même personne. L’historienne de l’art Laure Fagnart, maître de recherche au FRS-FNRS (ULiège), auteure d’un récent Léonard de Vinci à la cour de France (1), rappelle que le maître a passé sa prime enfance avec son grand-père, issu d’une vieille famille de notaires, dans leur ferme de Vinci à une vingtaine de kilomètres de Florence, pour y surveiller les travaux de la vigne et des oliviers, dans ce paysage vallonné piqueté de cyprès qui est toujours celui de la Toscane actuelle. » Léonard n’a pas suivi un cursus scolaire digne de la réputation d’intellectuel qui l’accompagne aujourd’hui encore. Il n’a pas appris le latin qui lui aurait donné accès aux textes scientifiques de l’Antiquité et du Moyen Age. Son savoir se construit par le biais de l’observation, à la différence de plusieurs de ses contemporains lettrés qui se contentaient de répéter ce qu’ils avaient lu. » Lui se confronte à la réalité. Il estime que tout savoir doit être forgé à l’épreuve de l’expérience.
» Il ne cherche pas à reproduire strictement la nature et ses formes, poursuit Laure Fagnart. Ses peintures et ses dessins ne seraient alors qu’habileté technique et pur illusionnisme. Il tente plutôt de restituer le dynamisme de la nature, sa dimension changeante, son caractère vivant, sa puissance créatrice en perpétuel mouvement. » Petit tour d’un musée imaginaire dédié à la nature, ce personnage ô combien actif et parfois menaçant, lorsque la mort se rapprochait du maître de Florence.
Paysage de la vallée de l’Arno (1473)
» Le premier dessin de Léonard de Vinci qui nous est connu montre la vallée de l’Arno. Le peintre est alors âgé d’une vingtaine d’années. Ce dessin est remarquable : il y a très peu de présence humaine, seule une forteresse qui met en avant la nature et, déjà, le rendu des effets atmosphériques et le motif de la cascade bouillonnante qui annonce le thème omniprésent de l’eau dans l’oeuvre de Léonard. »
Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant jouant avec l’agneau (1503-1519)
» A l’exception de l’arbre, dressé sur le bord droit de l’oeuvre, rien ne rattache le paysage au monde terrestre et réel. Les montagnes sont tellement embrumées, leurs contours se dissolvent tant dans le brouillard qu’on a l’impression que l’érosion des rochers s’opère sous nos yeux. Brumes et vapeurs enveloppent toute chose, comme pour montrer les transformations géologiques. A nouveau, un tel paysage suggère de manière métaphorique les lents et inévitables changements du monde. »
La Joconde (1503-1506)
» Derrière Mona Lisa, on voit une nature domestiquée avec un chemin qui serpente et un pont, plus loin, une vue qui prend des allures fantastiques avec des montagnes dont l’érosion s’opère sous nos yeux sous l’effet de l’humidité en suspension dans l’air. »
L’Annonciation (1475-1480)
» L’une des premières oeuvres peintes de Léonard, alors qu’il est toujours en apprentissage chez Andrea del Verrocchio. Elle reprend un thème archiconnu de la Renaissance – l’Ange annonce à Marie qu’elle va devenir la mère du Fils de Dieu -, mais l’importance du paysage lui donne un caractère particulier. Au premier plan, des fleurs et des feuilles sont représentées avec une très grande attention. Au-delà du mur qui sépare le jardin, quelques arbres, un port fluvial avec des bateaux, de hautes montagnes. La technique du sfumato (NDLR : superposition de plusieurs couches de peinture avec plus de liant que de pigments) que le peintre n’a pas inventée mais qu’il a portée à sa perfection, lui permet de rendre compte de la vibration de l’air qui entoure toute chose. »
ÉTUDE POUR UNE BRANCHE DE MÛRIER (1505-1510)
» Autodidacte, Léonard de Vinci avait l’intention de publier des traités, comme le font les érudits du temps, mais aucun de ses manuscrits n’a été édité de son vivant. Etude de petits pois, cerises et framboises (1486-1489), folio du Manuscrit B de la Bibliothèque de l’Institut de France, à la plume et à l’encre, ressemble à une BD. Ce folio faisait peut-être partie d’un herbier en préparation. En plusieurs croquis, Léonard décrit le processus de maturation de la cosse par une représentation fidèle de la réalité en perpétuelle métamorphose. Il applique la même minutie à l’ Etude pour une branche de mûrier (1505-1510), une sanguine partiellement repassée à la plume et à l’encre. »
Paroi s’effondrant sous la poussée de l’eau (1517-1518)
» Vers la fin de sa vie, Léonard de Vinci montre l’eau qui écrase l’homme réduit à une présence minuscule, dans ce dessin à la pierre noire, plume, encre et lavis sur papier brun. La série est conservée au château royal de Windsor. »
(1) Léonard de Vinci à la cour de France, Presses universitaires de Rennes, 2019, 274 p.
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