Joseph-Désiré Mobutu un coûteux rempart contre le communisme
Porteur de fusil, engin meurtrier et dissuasif, le militaire souvent se croit supérieur, et capable de mieux faire régner l’ordre et la discipline pour la stabilité politique et le progrès économique. A 35 ans, Joseph Mobutu paraît souffrir de ce « complexe d’homme en armes », dressé par les maîtres du « monde libre » comme rempart contre le danger communiste.
Né en 1930, Mobutu fait ses études primaires à Kinshasa, puis à Mbandaka pour les études secondaires. Mais dès la deuxième année, il est jugé turbulent, renvoyé, et enrôlé dans l’armée en 1950. A l’Ecole de formation de la Force Publique de Luluabourg (actuellement Kananga, Kasaï-central), il est remarqué comme à la fois intelligent, meneur d’hommes et indiscipliné. Il obtient un brevet de « secrétaire-comptable « . Mais son éducation est inachevée. Il s’efforcera de s’améliorer par une formation autodidacte. Il se fait journaliste à L’Avenir. Dans ce cadre, il effectue un stage à Bruxelles, et rencontre Lumumba qui l’utilise comme secrétaire particulier pendant la Table ronde. Mobutu le proclamera « héros national », bien des années après sa mort.
Avec l’indépendance, Mobutu est nommé chef d’état-major général de l’armée nationale, après avoir assumé les charges de secrétaire d’Etat à la présidence du conseil exécutif dirigé par le Premier ministre Lumumba. Profitant des disputes des jeunes dirigeants politiques arrivés au sommet de l’Etat sans expérience ni instruction appropriée, il » neutralise » et le président et le Premier ministre, en septembre 1960, et nomme à la tête de l’Etat un Collège des commissaires généraux, pour la plupart encore étudiants, à Louvain et à Lovanium. Il orchestre l’arrestation de Lumumba, qui est assassiné.
Le 24 novembre 1965, lors de son deuxième coup d’Etat, Mobutu, pour asseoir son autorité, institue un redoutable régime de terreur. Il « découvre », en 1966, un complot contre sa sûreté, qu’il attribue à quatre personnalités politiques et les fait exécuter par pendaison sur la place publique (2 juin 1966), en dépit de la réprobation internationale. Il anéantit la démocratie naissante, supprime les partis politiques et les remplace par le Mouvement populaire de la Révolution. Désormais, tout » citoyen » comme toute » citoyenne » fait partie de ce parti unique, obligatoirement, depuis l’utérus de sa mère. Ses paroles sont sacrées et, quelles qu’elles soient, ont force de loi. Sa personne est magnifiée, divinisée, célébrée en des images télévisées floutées, flottant dans et à travers les nuages célestes sous des « chants révolutionnaires » empreints d’atmosphère sacrale fabriquée par un travail psychologique ingénieux destiné à envoûter et à ramollir les âmes des corps faméliques susceptibles d’accès à des frustrations et à la contestation du régime.
Zaïrianisation et confiscation du pouvoir
Ivre des délices du pouvoir, Mobutu se montre incapable de le rendre aux civils, comme il l’aura promis en 1965. Il se fait plutôt élire en 1970, de manière dictatoriale. En 1971, il institue la politique de « l’authenticité », rejette les » idéologies importées « , débaptise les lieux et villes qui rappellent les vestiges coloniaux, interdit le port de prénoms étrangers. A la place de Joseph-Désiré, lui-même se fait désormais appeler « Mobutu Sese Seko Kuku Gbendu wa Zabanga » (1). Le Congo devient Zaïre. La date de l’indépendance n’a plus guère d’importance. C’est de préférence le 24 avril, date de sa prise du pouvoir, qui est célébrée avec grand faste.
Il affermit son sentiment nationaliste socialiste hérité de son ancien ami admiré Lumumba. Il noue des relations avec des dirigeants communistes du monde. En 1973, sous l’inspiration socialiste, il procède à la « zaïrianisation » (nationalisation) des entreprises économiques des étrangers.
Au moyen du Mouvement populaire de la Révolution (MPR) devenu Parti-Etat en 1975, Mobutu, qui se sera donné les galons de maréchal, règne de manière impériale, sans partage, résistant avec succès aux harcèlements de l’opposition politique armée grâce aux solides amitiés qu’il se sera créées avec les grandes capitales occidentales, principalement Washington, Paris, Bruxelles et, aussi, Rabat.
Mais à l’approche du vent de la libéralisation qui souffle dans le monde en 1989, Mobutu se trouve désemparé. Le 24 avril 1990, il annonce la démocratisation du pays, accepte le multipartisme et, peu après, est forcé de convoquer la Conférence nationale souveraine (1991) destinée à instituer un nouvel ordre politique. Cependant, dans les multiples convulsions pour la conservation du pouvoir, par lui-même et par ses proches, il regarde déferler (avec délectation sans doute : il aura dit en effet « Après moi, le déluge ») en 1991 et en 1993 de terribles pillages sur la ville de Kinshasa et sur la quasi-totalité des villes du pays dont l’économie se remettait péniblement des conséquences catastrophiques de la zaïrianisation.
La crise s’approfondit et fait renaître la rébellion de Laurent Kabila. Malgré des négociations laborieuses menées sous les auspices de Nelson Mandela, et malgré l’insistance de son tuteur principal, le gouvernement des Etats-Unis, Mobutu refuse d’abandonner le pouvoir. Mais, » devant l’ouragan de l’histoire, mûr ou pas mûr, le fruit tombe quand même ». Cette sentence, qu’il aimait répéter pour d’autres, ses adversaires, se réalise à ses dépens, de manière terrible. Il quitte Kinshasa la veille du 17 mai 1997, jour qui voit les troupes de Kabila s’engouffrer dans la capitale du pays.
Exilé au Maroc, et rongé depuis longtemps déjà par la maladie, Mobutu meurt dans une solitude quasi totale, le 7 septembre 1997. Il est enterré au cimetière chrétien de Rabat, reposant sous un minuscule mausolée, qui détonne de manière triste et cruelle avec ce que fut la grandeur de cet homme politique qui aura été chanté et célébré par ses sujets, desquels pourtant il disait ne rien devoir alors que le « peuple lui devait tout », pour la paix apportée.
Le peuple a gardé une mémoire contrastée du « guide suprême » de la « révolution zaïroise authentique ». Mobutu a durablement marqué les esprits, par son tempérament à la fois autoritaire et aimable, par ses nombreux meetings captivants à travers le pays, par ses réalisations infrastructurelles, mais aussi et malheureusement par les terribles exactions, assassinats et détournements des deniers publics qu’il a commis et laissé commettre, plus de trente ans durant, par ses proches parents et collaborateurs.
Comme envoûté par le souci d’étaler le prestige du » grand Zaïre », Mobutu laisse l’image d’un jouisseur insatiable, organisant des banquets grandioses dans les palaces du monde ; l’image d’un gaspilleur sans pareil de l’argent du pays (puisé, à volonté et à profusion, dans les caisses de la Banque du Zaïre et de toutes les entreprises publiques) engraissant sans lésiner grâce aux diamants du Zaïre des centaines de ses amis et protecteurs étrangers, y compris des chefs d’Etat africains et occidentaux ; et aussi, l’image d’un d’un mégalomane richissime dilapidant les ressources du Congo d’une manière proche de la folie dans de nombreuses tournées à travers le monde, prenant en location le Concorde, offrant des cadeaux dorés à quiconque se plaçait par chance sur sa voie; faisant boire et manger, des semaines entières, des centaines d’accompagnateurs de sa suite dans les hôtels les plus luxueux du monde, et faisant même déplacer des tronçons de chemins de fer qui le priveraient du sommeil paisible en terre étrangère occidentale.
Ayant bénéficié des conditions de paix et d’amitié occidentale des plus favorables, en sa qualité de rempart efficace contre le communisme, Mobutu est le dirigeant qui aura le plus laissé s’échapper les chances de développement du Congo. Son bilan économique et social de trente ans d’exercice du pouvoir s’est en effet avéré fort négatif. Cette terrible réalité érode, de manière profonde, la stature qu’il aurait pu avoir, bien que dictateur parfait, d’un grand homme d’Etat dans l’histoire politique du Congo.
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