« Expliquer plutôt que détruire » les statues, plaide une historienne
Des personnages historiques comme Colbert, un des principaux ministres du roi Louis XIV, sont-ils aussi sur la sellette en France ? Dans le sillage des manifestations antiracistes américaines, les monuments liés à l’histoire coloniale française ou à la traite négrière se retrouvent au coeur d’une polémique que l’historienne Jacqueline Lalouette, une spécialiste des statues, juge à risque.
Quelles sont les dernières statues de France à avoir été « déboulonnées » ?
La pratique consistant à retirer les statues ou à les détruire n’est pas un phénomène contemporain : des protestants au temps des Guerres de Religion aux destructions et refontes de la période révolutionnaire en passant par les quelques statues qui ont pâti des changements de régime au XIXe siècle… Il n’y eut toutefois pas de destructions massives.
Il faut bien sûr ajouter la grande refonte des statues de bronze ordonnée par Vichy (le régime qui collaborait avec les nazis) en octobre 1941 (pour en récupérer le métal à des fins d’armement ndlr) mais il s’agit de quelque chose de différent.
Le déboulonnage peut prendre des formes diverses. S’il est accompli en dehors de toute décision officielle, dans une sorte d' »émotion populaire », la statue sera vraisemblablement détruite immédiatement après. Mais le déboulonnage peut se faire sur décision officielle, comme cela vient de se faire pour Robert Milligan à Londres ou Léopold II à Anvers, dans ce cas, la statue est ensuite transportée dans un musée ou les réserves d’un musée.
Quels pourraient être les points actuels de crispations pour certains activistes antiracistes en France ?
Il reste sur le territoire français un certain nombre de statues pouvant nourrir la vindicte actuelle. Sans vouloir dresser de liste, on peut penser aux ministres favorables à la colonisation, aux résidents généraux et gouverneurs de colonies, aux militaires qui ont réduit et parfois massacré des peuples hostiles, aux ecclésiastiques qui ont contribué à la diffusion du catholicisme en Afrique et en Asie.
Mais, il faut comprendre qu’aucun homme, certainement, n’a été statufié parce qu’il avait pratiqué le commerce triangulaire ou possédé des esclaves. Colbert n’a pas été statufié en tant que rédacteur du Code noir, mais en tant que ministre de Louis XIV et à cause de son action prépondérante dans tous les grands secteurs de l’Etat. En revanche, les colonisateurs ont bien été glorifiés parce que grâce à leur action politique et législative, à leurs « hauts-faits » militaires, ils ont contribué à donner un Empire à la France, à une époque où les peuples européens se partageaient des continents.
Quelle est l’efficacité politique de cette pratique ?
D’abord, lancer une polémique contre une statue, c’est lui donner une existence qu’elle n’avait certainement pas pour la plupart des gens, car les statues se fondent dans le paysage et les habitants des villes ne les voient plus ou ne leur accordent pas plus d’importance qu’un réverbère et ne lisent pas les inscriptions du piédestal.
Lorsqu’une statue est retirée sur décision des autorités, il y a un véritable effacement historique, sauf si l’on arrive à récupérer l’oeuvre, la sortir de l’eau par exemple. Deuxième cas de figure, si elle est exposée dans une salle de musée, il n’y a pas effacement de l’histoire, mais proposition de recourir autrement à l’histoire, sur un mode plus rationnel et plus pédagogique.
Le mieux, par rapport à l’histoire, est sans doute d’expliquer que les critères idéologiques, que les valeurs républicaines ont évolué et que des actes qui paraissaient normaux et même louables il y a quelques décennies ou quelques siècles sont désormais condamnables. Or expliquer, ce n’est ni effacer ni détruire.
Jacqueline Lalouette est historienne et auteure d' »Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes. 1801-2018″.
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