EUPEN ET MALMEDY, LA BELGIQUE S’AGRANDIT
Lorsque la SDN entérine le 20 septembre 1920 les résultats d’une » consultation populaire » organisée à Eupen-Malmedy, elle consacre le transfert de ce territoire de l’Allemagne à la Belgique. Ce modeste agrandissement posera toutefois de grands problèmes d’intégration. Pourquoi ?
Aux yeux du gouvernement belge et des défenseurs des réparations territoriales, cela aurait pu être si simple : un agrandissement, plutôt une simple rectification de frontière corrigeant une injustice commise au Congrès de Vienne de 1815 qui a séparé Eupen, Malmedy et Saint-Vith de leurs entités territoriales historiques. Par ailleurs, cette rectification ne concerne que 60 000 personnes. Il y a certes un petit problème linguistique, puisque 50 000 d’entre elles sont germanophones, mais l’introduction du bilinguisme devrait le régler en quelques générations.
En réalité, à l’exception de la partie francophone autour de Malmedy, cet argumentaire historico-culturel n’a pas convaincu les négociateurs à Versailles. Une commission, dans laquelle ni la Belgique ni l’Allemagne ne sont représentées, accorde une importance bien plus décisive aux arguments stratégiques – le rôle du camp militaire d’Elsenborn est capital. Les raisons économiques derrière le rattachement du Kreis d’Eupen tiennent partiellement au fait que le territoire de Moresnet-Neutre, cogéré par la Belgique et la Prusse avant 1914, est rattaché à la Belgique. Mais les délégués britanniques et américains vont plus loin : ils invoquent le droit à l’autodétermination. Cela conduit finalement à une sorte de référendum négatif dans l’article 34 du traité où ceux qui ne seraient pas d’accord avec ce changement de nationalité pourraient le faire savoir » publiquement « .
UN HAUT-COMMISSAIRE TOUT PUISSANT
Alors que le traité de Versailles vient d’être signé et que des troupes belges remplacent les troupes d’occupation françaises et britanniques dans la région à l’été 1919, le gouvernement belge prépare une loi qui y introduit un régime de transition. Elle confie à un haut-commissaire, Herman Baltia, les pouvoirs exécutif et législatif, sans limiter cette mission dans le temps : » Prenez soin que tout marche sans problèmes et que les coûts restent raisonnables. Vous serez comme le gouverneur d’une colonie qui est directement en contact avec la patrie « , lui recommande le Premier ministre Léon Delacroix.
La première tâche du haut-commissaire est d’organiser la consultation populaire prévue dans l’article 34 entre janvier et juillet 1920. Il ne fait aucun doute que son résultat, seulement 272 refus sur 33726 voix potentielles, ne reflète alors nullement le sentiment de la population. Plus personne ne conteste aujourd’hui que des mesures de contrainte et des menaces à l’égard d’une population résignée, telles la privation de cartes de ravitaillement, voire l’expulsion du territoire, ont contribué à ce résultat. Si la Belgique s’est fait blâmer pour avoir été juge et partie et que les deux camps se sont livrés une bataille de propagande, le résultat correspond exactement aux attentes des négociateurs de Versailles : ils savaient qu’une consultation populaire libre et secrète n’aurait pas donné de majorité à la Belgique, mais ils étaient conscients qu’un dédommagement territorial pour la poor little Belgium était absolument inévitable. Les circonstances de cette prétendue consultation populaire hypothèquent lourdement le processus d’intégration des » nouveaux Belges « . A cela s’ajoute une sous-estimation de la mutation des sentiments d’appartenance d’une population ayant vécu un processus de nationalisation prussienne et, surtout, allemande depuis 1815.
MOURIR SOUS L’UNIFORME DE L’ENNEMI
La question du deuil des 1 800 soldats originaires de la région morts sous l’uniforme allemand en témoigne. En effet, le gouvernement Baltia a interdit toute manifestation à caractère politique dans les cimetières et veille à la neutralité des monuments. Il en résulte un discours mémoriel où ces soldats qui ont combattu pour leur Heimat sont des victimes » de la guerre « . A de très rares exceptions près, l’Allemagne n’y est pas mentionnée.
Avant 1940, l’histoire des rapports entre les » nouveaux Belges » et l’Etat belge est souvent celle d’un malentendu. En 1926 et en 1929, la Belgique et l’Allemagne négocient d’ailleurs une rétrocession. Elle sera empêchée par le gouvernement français. La disparition de l’alternative allemande en 1945 marquera seulement la fin de ce conflit de nationalité et de frontières.
» L’Allemagne renonce… «
Par trois articles du traité de Versailles, la Belgique s’agrandit de 60 000 habitants et de quelques 1 000 km2. La formulation de l’article 34 et le déroulement de la » consultation populaire » feront couler beaucoup d’encre.
Art. 32 : » L’Allemagne reconnaît la pleine souveraineté de la Belgique sur l’ensemble du territoire contesté de Moresnet (dit Moresnet neutre). «
Art. 33 : » L’Allemagne renonce, en faveur de la Belgique, à tous droits et titres sur le territoire du Moresnet prussien situé à l’ouest de la route de Liège à Aix-la-Chapelle ; la partie de la route en bordure de ce territoire appartiendra à la Belgique. «
Art. 34 : » L’Allemagne renonce, en outre, en faveur de la Belgique, à tous droits et titres sur les territoires comprenant l’ensemble des cercles (Kreise) de Eupen et Malmedy. Pendant les six mois qui suivront la mise en vigueur du présent traité, des registres seront ouverts par l’autorité belge à Eupen et à Malmedy et les habitants desdits territoires auront la faculté d’y exprimer par écrit leur désir de voir tout ou partie de ces territoires maintenu sous la souveraineté allemande. Il appartiendra au gouvernement belge de porter le résultat de cette consultation populaire à la connaissance de la Société des Nations, dont la Belgique s’engage à accepter la décision. «
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