Frans Van Cauwelaert (ici, en 1934) s'est heurté à un mur d'incompréhension. © PHOTO NEWS

ENTRE FLAMENPOLITIK ET RIGIDITÉ FRANCOPHONE

Au sortir de la guerre, le mouvement flamand apparaît largement discrédité. Mais il s’est aussi profondément radicalisé. Désormais, on peut clairement parler d’un nationalisme flamand concurrent du nationalisme belge. De toute évidence, la guerre allait laisser de profondes séquelles.

Au cours de la guerre, la  » Belgique libre  » n’est plus constituée que de la seule région du Westhoek, à l’arrière du front de l’Yser, tandis que l’essentiel du territoire se retrouve sous administration allemande. Pour s’attirer les faveurs d’une partie au moins de la population, les autorités allemandes instaurent une politique connue sous le nom de Flamenpolitik, avec la promesse de concrétiser les revendications du mouvement flamand. Elle se traduit par une application plus stricte de la législation linguistique, la décision de rouvrir l’université de Gand sous l’appellation Vlaamsche Hoogeschool ( » Haute Ecole flamande « ) en 1916, et l’invitation adressée aux Flamands à ne pas attendre la fin du conflit dans la passivité mais plutôt à mettre en application le programme du mouvement flamand en leur qualité d' » activistes  » et avec le soutien allemand.

Au cours des années 1930, le nationalisme flamand glisse inexorablement vers le fascisme et se tourne à nouveau vers la collaboration lors de la Seconde Guerre mondiale.

Le 21 mars 1917, le décret de séparation administrative de la Belgique occupée approfondit la division du pays et implique la création du Conseil de Flandre (le Raad van Vlaanderen). Le 22 janvier 1918, cette même instance proclame l’indépendance de la Flandre.

Le gouvernement belge du Havre condamne l’activisme et sanctionne les fonctionnaires qui y ont pris part. En territoire occupé, la population dans son ensemble garde ses distances par rapport à l’activisme, qu’elle considère – à juste titre – comme un instrument des autorités allemandes.

UN MUR D’INCOMPRÉHENSION

En réalité, même la majorité des tenants de la cause flamande se tiennent à l’écart et restent loyaux à l’égard de la Belgique. Leur  » chef « , Frans Van Cauwelaert, condamne l’activisme tout en faisant monter la pression sur le gouvernement belge. Il est l’un des rares à s’apercevoir que les seuls moyens à la disposition du gouvernement et des francophones pour écarter la menace d’une  » rupture en Belgique « , c’est de reconnaître le bien-fondé des revendications flamandes et de prendre des mesures tant pour faire appliquer les lois linguistiques dans l’armée que pour promettre de mettre fin à toutes les formes de discrimination linguistique.

Il se heurte néanmoins à un mur d’incompréhension. Le roi, le commandement de l’armée, le gouvernement et les cercles de l’élite francophone s’opposent à toute forme de concession aux revendications flamandes au nom de l’unité belge, comme le montrent les poursuites intentées à l’égard des soldats de l’Yser flamands qui ont défendu l’application des lois linguistiques dans l’armée. A l’été 1917, le service de sécurité de l’armée écrit dans un rapport qu’il n’existe aucune différence fondamentale entre le flamingantisme activiste et sa variante loyaliste, et que le Frontbeweging ou  » Mouvement du front  » ne constitue rien d’autre qu’une forme d’insubordination.

Dans le même ordre d’idée, le roi Albert Ier, commandant en chef de l’armée, décide qu’aucune concession ne peut être accordée aux tenants de la cause flamande et commande tout simplement au ministre de la Guerre, le général Armand De Ceuninck, d’affirmer qu’aucun problème linguistique n’existe dans l’armée. Dans les faits, la situation linguistique est à ce point insupportable aux yeux de nombre de soldats flamands qu’ils sont des centaines à manifester en plein jour, à coller des affiches de protestation sur les tribunaux militaires et que des groupes entiers de soldats, lors de l’appel, énoncent leur matricule en néerlandais plutôt qu’en français en guise de protestation, ce qui leur vaut d’être envoyés dans des bataillons disciplinaires.

DEUX MOUVEMENTS FLAMANDS PARALLÈLES

Même après la guerre, le mouvement flamand ne doit s’attendre à aucune avancée. Au conseil des ministres du 1er février 1918, le roi déclare que les seules concessions  » raisonnables  » sont celles qui ne sont pas dirigées  » contre la langue et la culture françaises en pays flamand « . De l’autre côté, la néerlandisation de la vie publique figure précisément au centre du programme de base du mouvement flamand, dont Van Cauwelaert a exposé l’essentiel au roi en septembre 1917.

Il est dès lors compréhensible que le Frontbeweging se radicalise et perde la confiance qu’il plaçait dans le gouvernement et dans la stratégie des lois linguistiques. Il semble être gagné à l’idée d’une zelfbestuur ( » autonomie « ) et cherche à se rapprocher de l’activisme en territoire occupé. Le mouvement ne réalise pas – au contraire de Van Cauwelaert – que toutes les réformes mises en oeuvre dans le cadre de l’activisme grâce au soutien allemand seront abolies en cas de défaite allemande et que, dans de larges couches de la population, l’activisme discrédite le mouvement dans son ensemble par sa collaboration avec l’ennemi.

Dès lors, durant tout l’entre-deux-guerres, deux mouvements flamands se développent en parallèle : l’un loyal, qui parvient à obtenir la néerlandisation de la Flandre grâce aux lois linguistiques, et l’autre, antibelge, porté par des nationalistes flamands qui sont les héritiers politiques tant du Frontbeweging que de l’activisme. Au cours des années 1930, le nationalisme flamand glisse inexorablement vers le fascisme et se tourne à nouveau vers la collaboration lors de la Seconde Guerre mondiale.

SOUS-ESTIMATION DES FLAMINGANTS LOYALISTES

La  » rupture  » entre les communautés résulte, d’une part, de la Flamenpolitik instaurée par l’occupant et à laquelle collaborent les activistes et, d’autre part, du manque de compréhension du roi et de l’élite francophone. Ils estiment à tort que la haine de l’opinion publique à l’égard de l’activisme leur permettra de se débarrasser définitivement du mouvement flamand dans son ensemble, voire de maintenir le français comme langue administrative en Flandre. En cela, ils sous-estiment la position dominante que les flamingants loyalistes ont réussi à bâtir au sein du pilier catholique, qui leur permettra malgré tout de mettre en place la néerlandisation de la Flandre dans les années 1930.

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