Contrôle belge au pont d'Oberkassel, sur le Rhin. © WAR HERITAGE INSTITUTE

DES TROUPES BELGES EN RHÉNANIE

Durant la première quinzaine de décembre 1918, des dizaines de milliers de militaires français, britanniques, américains et belges prennent position sur la rive gauche du Rhin. Pour ces soldats, la guerre n’est pas terminée.

Quand les canons se taisent, l’Allemagne est acculée : son armée est en pleine débandade – elle n’a jamais enregistré autant de désertions qu’au cours du dernier trimestre de la guerre – son régime s’est disloqué – son empereur a abdiqué et s’est exilé aux Pays-Bas – et sa société est agitée par des courants révolutionnaires, qui font des vagues jusque dans les territoires belges occupés. C’est dans ce climat que des troupes françaises, britanniques, américaines et belges sous les ordres du maréchal Foch font leur entrée en territoire allemand, conformément aux prescriptions de l’Armistice. Elles sont précédées par les armées allemandes en retraite. La population locale, épargnée par les combats, leur réserve un accueil digne de vainqueurs. Si elle aspire à la paix, elle n’imagine pas endosser le rôle du vaincu. Or, les faits sont là ! Et la présence des soldats alliés ne tarde pas à le lui rappeler. Durant la première quinzaine de décembre, ce sont en effet des dizaines de milliers de militaires des puissances alliées qui prennent position sur la rive gauche du Rhin, de Clèves à Landau, et dans les têtes de pont de Cologne, Coblence et Mayence, sur la rive droite. Ensemble ils occupent 6,5 % de la superficie de l’Allemagne. La zone belge, située la plus au nord, couvre 10 % des territoires occupés.

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AU SON DE LA BRABANÇONNE

Depuis septembre, à mesure que l’issue du conflit se précise, la perspective de marcher sur l’Allemagne devient vraisemblable. Parmi les hommes, le désir bien naturel de revanche est aiguisé par la traversée des régions fraîchement libérées, qui portent les stigmates de l’occupation et de la retraite de l’adversaire. C’est dans cet état d’esprit que les troupes belges se préparent à pénétrer en Rhénanie. Certains ne mâchent pas leurs mots :  » Nous n’étions guère d’humeur pacifique en nous rendant là-bas… On nous envoyait « chez eux » ? Parfait ! « Ils » allaient donc voir de quel bois se chauffaient leurs vainqueurs ! « .

Longtemps fantasmée, l’entrée des hommes en territoire allemand se déroule suivant un scénario bien huilé, qui ne tolère officiellement aucun dérapage. Même si des  » réquisitions fantaisistes « , voire des pillages sont enregistrés ici et là, ils n’ont rien de commun avec les atrocités commises en août 1914. De manière générale, la progression se déroule dans l’ordre et la discipline. Au son de La Brabançonne, les colonnes traversent les localités : elles s’approprient l’espace public en y plantant leurs couleurs. Après cinquante mois de combat, on comprend l’émotion qui étreint cet officier :  » J’ai chaud au coeur en voyant le drapeau belge qui flotte sur la ville. Quelle revanche de 1914. Les boches ont forcé les Belges à cacher leurs drapeaux et, aujourd’hui, nos trois couleurs flottent sur les bords du Rhin. « 

UNE OCCUPATION … AUX FRAIS DES ALLEMANDS

Une fois la marche terminée, les casernements et les cantonnements doivent s’organiser. En janvier 1919, ce sont quelque 44 000 hommes de troupe et 1 900 officiers, qu’il faut loger, nourrir et blanchir auxquels s’ajoutent leurs montures, soit près de 13 000 bêtes… le tout aux frais des Allemands !

En priorité, ce sont les infrastructures désertées par l’armée allemande qui sont affectées aux troupes d’occupation. Insuffisantes, elles sont complétées par des baraquements encore occupés il y a peu par des prisonniers de guerre. Faute de mieux, des bâtiments publics ou privés sont réquisitionnés. Les conditions d’hébergement y sont très inégales, parfois bien meilleures qu’en Belgique, parfois épouvantables. La presse nationale s’en émeut :  » Voilà plus d’un mois que le petit soldat belge foule en vainqueur le sol allemand […] Il s’étonne d’être mal logé, alors que les voleurs de matelas dorment dans de bons lits.  » Certains n’hésitent d’ailleurs pas à les en déloger, pour prendre leur place.

Pour ces soldats, la guerre n’est pas terminée : les combats peuvent reprendre si les négociations de paix n’aboutissent pas. La vigilance est de mise et le reste jusqu’à la signature en juin 1919 du Traité de Versailles, qui marque enfin le retour à la paix. D’ici là, les troupes belges sont postées le long du Rhin dont elles empêchent le franchissement, par voie d’eau ou par voie de terre, à tout qui serait animé d’intentions guerrières… et ce au prix de quelques dérapages malheureux.

 » Nous avons l’air d’être tolérés par les Allemands « 

Immédiatement placardées sur les murs des édifices publics, les proclamations du maréchal Foch informent les Allemands des conditions d’occupation. Des mesures qui entament considérablement les libertés fondamentales des habitants sont adoptées. L’arrêté de police du 1er décembre 1918 régit l’enregistrement de la population, ses déplacements et ses réunions ; muselle la presse et les communications ; interdit la détention d’armes et de munitions ; légalise les réquisitions ; réglemente la distribution d’alcool et l’accès aux débits de boisson et prévoit des sanctions à l’encontre des contrevenants. Il instaure des tribunaux de simple police chargés de punir les infractions.

Progressivement, ces mesures draconiennes sont allégées, notamment pour permettre la reprise économique. Cet assouplissement est jugé excessif par certains, tel ce soldat qui déplore  » que les personnes, les biens, les bêtes des boches d’ici soient plus sacrés que ne le furent jamais ceux de nos concitoyens « . En février 1919, un député libéral bruxellois clame son indignation :  » Nous n’occupons pas : nous avons l’air d’être tolérés par les Allemands. « 

A juste titre, observent les services de renseignement, car  » la peur des représailles qui, au début de l’occupation, caractérisait les sentiments de la population allemande, à l’égard des Belges, a fait place à une certaine estime, voire même à une certaine sympathie « . Sans aller jusque-là, il faut bien admettre qu’en ce premier trimestre 1919, la population semble s’accommoder de la présence des troupes belges… mais cela ne durera pas.

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