DES PARCOURS DE VIE CHAMBOULÉS
Le port d’Anvers à l’arrêt, les importations et les exportations en berne, un chômage énorme et le pays débordant de soldats… Au cours de la Grande Guerre, la vie des Belges est sens dessus dessous. Dans quelle mesure cette situation a-t-elle influencé le cours de leur vie ?
Au-delà des drames qui se déroulent dans les tranchées, quelle est l’influence réelle de la guerre sur la vie quotidienne des Belges ? Sur le plan financier, les choses ne vont pas en s’améliorant – en tout cas pour la majorité de la population. Dans le cadre de la lutte pour le contrôle de la Belgique, le port d’Anvers se retrouve rapidement bloqué, tandis que le commerce extérieur et la production industrielle sont en berne. Cette situation plonge le pays dans une crise économique très profonde, avec un chômage très élevé et une augmentation exponentielle des prix, notamment pour les denrées les plus essentielles.
Les conséquences démographiques de cette crise finissent par se faire ressentir. L’élément le plus frappant est le report manifeste de l’envie d’avoir des enfants. En outre, de nombreux hommes sont loin de leur foyer (soldats mobilisés, prisonniers, travail obligatoire en Allemagne). Si le nombre de naissances diminue fortement partout, les régions rurales connaissent toutefois une chute plus marquée encore. Après la guerre, la différence s’estompe donc entre la natalité rurale, traditionnellement plus élevée, et la natalité urbaine. La guerre peut donc être considérée comme le catalyseur d’une tendance qui, sinon, se serait peut-être fait attendre. Les mariages sont eux aussi fréquemment reportés.
L’élément le plus frappant est le report manifeste de l’envie d’avoir des enfants.
LES PAYSANS SE MARIENT DAVANTAGE
Juste après la guerre, en 1919 et en 1920, on observe un très fort pic lié aux » mariages de la Libération » et aux » enfants de la Libération « . Nombreux sont ceux qui compensent ainsi les dommages démographiques engendrés par la guerre. Au cours du conflit, on assiste également à un glissement dans le profil des personnes qui décident bel et bien de se marier. Les paysans sont bien plus nombreux qu’auparavant alors que les fiancés et fiancées issus de la classe moyenne se font au contraire plus rares dans les actes de mariage de la guerre : en termes relatifs, leur présence diminue considérablement.
Ce désir de se marier bien plus prononcé chez les fils et filles de paysans peut en grande partie s’expliquer par les circonstances de guerre. Beaucoup de gens décident de ne franchir le pas du mariage que lorsqu’ils disposent de suffisamment de moyens, de perspectives et de sécurité sur le plan financier. Or, en raison de la pénurie de nourriture, la position des paysans s’améliore, au contraire des revenus réels et des perspectives des autres groupes sociaux. Les caricaturistes relèvent avec humour, à l’époque déjà, cette inversion des rôles.
La ventilation des causes de décès au cours du conflit montre que davantage d’adultes succombent à des maladies liées à la pauvreté, telles que la tuberculose. La grippe dite espagnole a également entraîné son lot de victimes. Les déplacements de troupes et de civils et les conditions de vie difficiles renforcent la vigueur de cette épidémie. La guerre ne décime cependant pas la génération des jeunes hommes. Les pyramides des âges de 1910 et 1920 le montrent bien : le nombre de jeunes hommes en 1920 équivaut plus ou moins au nombre de jeunes femmes. Il faut cependant relever que si, en 1910, les jeunes hommes étaient plus nombreux que les jeunes femmes, c’est l’inverse en 1920. La France, l’Allemagne ou l’Angleterre connaissent une évolution très différente : un creux dans la pyramide des âges des hommes entre vingt et quarante ans indique clairement l’impact des tranchées. De nombreux jeunes Belges ont été épargnés en raison de l’occupation rapide de l’essentiel du territoire, empêchant ainsi de nouvelles mobilisations pendant le conflit.
PRÉVENTION DE LA MORTALITÉ INFANTILE
Par rapport au reste de la population, les circonstances propres à la guerre compliquent encore la vie des groupes vulnérables tels que les bébés et autres toutpetits. Les conditions de vie difficiles devraient les toucher davantage du fait de leur fragilité. Pourtant, un phénomène remarquable se produit durant la guerre : en maints endroits, la mortalité chez les jeunes enfants n’augmente que dans une mesure très limitée, voire diminue, et ce parfois même de manière spectaculaire comme à Anvers. A Bruxelles également, le nombre de décès de jeunes enfants augmente à peine. Tout cela alors que la population urbaine souffre plus que la population rurale.
Ce remarquable résultat, notamment dans les villes, peut être attribué à un programme d’intervention efficace. Pressentant la menace, les autorités ont lancé un programme de prévention de grande ampleur. Dans de petits bureaux spécialement aménagés, on effectue un suivi de la santé des enfants, on veille à leur assurer une alimentation plus riche et des leçons d’hygiène sont données aux mères. Les femmes enceintes reçoivent elles aussi un supplément de nourriture. Dans leur ration figure également de la… bière pour son caractère nutritif et sa propension à améliorer l’allaitement. Le succès de ce programme d’intervention ne se dément pas : il est notamment à l’origine du recul des maladies provoquant des diarrhées, qui restent à l’époque une importante cause de décès chez les nourrissons.
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