Des kongos au Saint-Siège
Bien avant que le premier Belge ait posé le pied sur le sol africain, le grand royaume du Kongo entretient déjà des liens étroits avec l’Europe. Au XVIe siècle, après sa conversion au christianisme, une délégation kongo est envoyée à Rome jurer fidélité au Saint-Père.
En 1483, en explorant la côte à la recherche d’une route maritime vers les Indes, le capitaine portugais Diego Cão fait jeter l’ancre dans l’estuaire du fleuve Congo. Pour la première fois, le resplendissant royaume du Kongo entre en contact avec l’Europe.
Premiers contacts
Très vite, d’autres vaisseaux portugais feront escale dans le puissant royaume, dont la domination sur l’embouchure du fleuve remonte à plus d’un siècle. Des Portugais vont y rester, mais contrairement à Cão, leur but n’est pas géographique. Ce qui les intéresse, ce sont les débouchés commerciaux et en particulier la traite d’esclaves. Le royaume du Kongo se révèle un partenaire fiable, auquel les négriers achèteront deux à trois mille esclaves par an prélevés sur son propre territoire et d’autres contrées de l’Afrique centrale. Grâce aux revenus de la traite négrière, les souverains locaux élargiront la portée de leur pouvoir.
La route de Rome
Mais les Portugais ne s’en tiennent pas au commerce esclavagiste. Ils introduisent aussi le culte catholique, auquel le mani Nzinga Nkuwu choisit de se convertir dès 1491. En présence du chef de mission portugais Ruy de Sousa, il est baptisé sous le nom de Jean Ier. Le nouveau roi chrétien s’empresse de dépêcher des émissaires auprès de son homologue – et homonyme – portugais. La délégation de dignitaires séjournera à la cour de Jean II de Portugal pour étudier le christianisme et leur nouvel allié européen. A leur retour, ils diffuseront dans leur patrie leurs découvertes sur la lointaine Europe et sur la chrétienté.
Les délégués doivent également se rendre à Rome, où Jean du Kongo entend prêter allégeance au pape – un devoir primordial de tout souverain chrétien. Pour une raison inconnue, les émissaires n’arriveront pourtant pas jusque-là mais rentreront comme prévu au Kongo après un an d’absence.
En 1506, à la mort du roi Jean, deux de ses fils se livrent une guerre sanglante pour le trône. Alphonse, le prétendant chrétien, vaincra la faction traditionaliste de Mpanzu a Kitima. Comme son père, le nouveau roi Alphonse veut prêter serment d’allégeance au pape. En 1513, une seconde représentation embarque pour Lisbonne, d’où elle poursuit vers Rome en compagnie d’une délégation portugaise. Malgré bien des déboires, elle atteint finalement son but. Alphonse Ier, roi du Kongo chrétien, reçoit la bénédiction papale en 1514.
Ses héritiers maintiendront leurs liens diplomatiques avec le Saint-Siège. Régulièrement, ils sollicitent l’envoi de missionnaires supplémentaires, un arbitrage sur des querelles de succession, la reconnaissance de leur royauté ou l’annulation d’un mariage. Et même l’intercession divine du Saint-Père pour stopper une invasion de sauterelles…
Plus catholique que le pape
Le roi Alphonse enracine alors la bonne parole au sein de la société congolaise. Avec son fils Henri – l’évêque du royaume – il instaure la foi chrétienne comme religion d’Etat. Pourquoi le Kongo est-il si prompt à se convertir au christianisme ? Sans doute pour sa vertu unificatrice. Tout comme l’islam a uni les marchands du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et de l’Est, il donne à ses fidèles accès à la traite triangulaire des esclaves. Et en tant que religion d’Etat, le christianisme renforce la cohésion interne du royaume. C’est d’autant plus utile que ses rois, grâce au soutien des Portugais, annexent constamment de nouvelles terres. Pour les rois du Kongo, leur conversion est également un bon moyen pour maintenir le Portugal à bonne distance. De fait, le pape ne saurait consentir à ce qu’un royaume chrétien en envahisse un autre.
La mutation chrétienne du Kongo n’obéirait-elle qu’à des motifs si pragmatiques ? On tend de plus en plus à s’accorder sur l’inverse. La ferveur de sa population paraît absolument sincère. Tant les élites que le peuple se comportaient comme des fidèles convaincus.
Monogamie? Pour quoi faire?
Le mot « conversion » suggère l’idée d’un colonisateur européen qui imposerait sa foi au monde entier. Mais le Kongo s’est converti à sa façon et de son plein gré. La propagation de la foi chrétienne est l’oeuvre de ses monarques successifs, même si de nombreux missionnaires européens contribuent à évangéliser le royaume. En 1534, le pape cède à la royauté portugaise le privilège de nommer l’évêque du Kongo, mais l’ascendant de ce dernier sur l’Eglise du Kongo n’est que très théorique. Ce sont essentiellement le roi Alphonse et ses successeurs qui bâtiront les églises et ordonneront ceux qui peuvent y prêcher. La maison royale pourvoit aux moyens de subsistance des moines et prélats venus d’Europe et le clergé doit donc obéissance au roi du Kongo. En outre, le système éducatif créé par ce dernier forme un nombre de prédicateurs indigènes. Ceux-ci imprégneront le christianisme local d’une liturgie plutôt originale.
Le christianisme du Kongo diffère du culte pratiqué en Europe. Il synthétise des traits typiquement européens amalgamés aux coutumes rituelles locales. Le catéchisme s’enseigne en kikongo, une des langues du pays. Les ministres du Culte se substituent à la figure du nganga, ou mage guérisseur. Les rites initiatiques se transforment en baptême et le nkisi – objet fétiche recelant une force surnaturelle – est remplacé par une médaille sacrée.
Au Kongo, les pratiques religieuses chrétiennes et rites traditionnels ont fusionné. Le seul point de friction est lié à la polygamie. Le roi et les nobles ont habituellement plusieurs épouses alors que le christianisme n’en admet qu’une seule. Ils règlent la question en offrant une noce chrétienne à leur première épouse, les autres ayant le statut de concubines. Au fond, les souverains, l’aristocratie et même le clergé d’Europe en font exactement de même. L’Eglise a beau défendre ce si coupable péché aux princes et aux nobles, elle semble plus encline à le tolérer en son sein.
Une foi profondément ancrée
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le royaume du Kongo entame son déclin. Les Portugais déplacent leur centre névralgique au sud du territoire, à Luanda. De là, leur emprise s’étendra peu à peu d’une région à l’autre. Subissant désormais la concurrence d’autres royaumes auxquels le Portugal achète des esclaves, le Kongo est miné par des divisions internes. Certaines provinces se rebellent, d’autres s’entre-déchirent. Les guerres de succession s’enchaînent.
Mais la chute économique et politique du royaume du Kongo n’aura que peu d’effets sur la religion. Les missionnaires européens continueront de prêcher la foi chrétienne jusqu’en 1834, et les prédicateurs africains prendront le relais. A leur façon, les Kongos croiront éternellement à un dieu chrétien.
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