COMMENT SORTIR DE L’IMPASSE

La guerre s’éternise. Les soldats sont épuisés. La Russie a conclu une paix séparée avec l’Allemagne. Pour les Allemands, les Italiens ou les Français, un nouvel échec d’une offensive peut désormais signifier la perspective de voir s’effondrer son propre front.

Ala veille du conflit, la révolution industrielle avait doté les nations d’Europe, l’Amérique et la Russie d’une capacité de production inédite : leurs armées étaient équipées de canons, de fusils et de mitrailleuses dont les cadences de feu allaient définitivement enterrer l’idée d’une guerre de panache, courte, et donc peu coûteuse enhommes.

L’homme s’est enterré face à cette pluie d’acier. Quatre années durant, on a cherché à percer les lignes de tranchées ennemies. Obnubilés par cet objectif, les états-majors ont focalisé leur attention sur des détails, ont calculé, et réduit la guerre à une équation. L’unité comptable, c’est la division. L’efficacité d’un barrage d’artillerie se juge en fonction du ratio du nombre d’obus tirés par mètre carré.

UNE COURSE CONTRE LA MONTRE

L’année 1918 s’annonce cruciale. Le 3 mars, la Russie bolchévique a conclu une paix séparée avec les puissances centrales à Brest-Litovsk. La Roumanie, désormais isolée, est contrainte de signer le traité de Bucarest, le 7 mai. L’armée allemande peut donc transférer au plus vite une cinquantaine de divisions sur le front occidental, de façon à créer le déséquilibre des forces et réaliser la rupture du front avant l’arrivée massive des divisions américaines, encore à l’entraînement.

L’assaut est lancé le 21 mars avec des troupes entraînées, rompues aux nouvelles techniques de combat élaborées depuis deux ans. Malgré des succès initiaux, cette offensive doit s’arrêter, pour les Autrichiens sur la Piave (15 au 24 juin), pour les Allemands après la seconde bataille de la Marne (18 juillet au 3 août). Incapables d’exploiter les percées réalisées, les Allemands vont rapidement épuiser leurs réserves tandis que les alliés, désormais sous les ordres d’un seul homme, le maréchal Foch, maintiennent la cohésion du front. Cet échec ébranle le soldat allemand et démoralise la population qui a cessé de croire en une issue heureuse.

La riposte ne tarde pas. Depuis juin, les Américains débarquent à raison de 100 000 puis 250 000 hommes par mois. Le rapport de force bascule. Les 18 et 19 juillet, une première contre-offensive française comprenant les 1e et 2e divisions américaines permet de s’emparer de 20 000 Allemands et de 400 canons sur la Marne. Le 8 août –  » jour de deuil de l’armée allemande  » -, 10 divisions alliées et plus de 500 chars percent le front à Amiens, tuant ou capturant 30 000 hommes et 330 canons. Tout le gain territorial réalisé par les Allemands au printemps est perdu en quatre semaines. Le général Erich Ludendorff n’a d’autre issue que d’annoncer à l’empereur que la guerre sera perdue.

En 1918, les armées sont fatiguées. En Belgique, l'offensive libératrice est impatiemment attendue.
En 1918, les armées sont fatiguées. En Belgique, l’offensive libératrice est impatiemment attendue.© WAR HERITAGE INSTITUTE 201670809

Ce n’est qu’une question de temps. L’armée bulgare se disloque sous les coups de boutoirs des alliés sur le front de Macédoine et signe un armistice le 29 septembre. La Roumanie, défaite en 1917, prend à nouveau part au combat à partir du 31 octobre. L’empire ottoman ainsi isolé, un nouveau front s’ouvre au sud de l’Empire austro-hongrois. Le 30 octobre, le sultan Mehmed VI accepte les conditions imposées par les alliés et le jeune empereur d’Autriche-Hongrie Charles, favorable depuis longtemps à des pourparlers de paix, fait de même le 3 novembre, laissant les Allemands seuls.

L’INITIATIVE CHANGE DE CAMP

Trois vastes offensives sont lancées presque simultanément les 26, 27 et 28 septembre (Argonne, Somme, Flandres), de manière à obliger les Allemands à diviser leurs réserves.

Au nord, le roi Albert prend le commandement du Groupe d’armées des Flandres à partir du 7 septembre qui englobe les 13 divisions belges, mais aussi des divisions françaises, britanniques et américaines. L’attaque dans ce secteur rassemble 120 000 hommes et 1 000 canons, qui font face à 16 divisions allemandes retranchées sur deux lignes de front (Flandern I et Flandern II Stellung). Elle se heurte à des divisions harassées, réduites à des  » régiments de mitrailleuses « . La première ligne est rompue en deux jours mais l’ennemi se replie en ordre. Le 14 octobre, un second bond en avant pousse les alliés jusqu’à l’Escaut et la Lys. Les Belges sont aux abords de Gand lorsque les armes se taisent enfin.

27 septembre 1918

 » La gauche de ma compagnie entame une manoeuvre contre un blockhaus… une vingtaine d’Allemands, bretelles coupées, passent en courant… [nos hommes] se sont fait une réputation de bagarreurs au cours des nombreux raids… ils sont parfaitement capables de  » nettoyer « , au sens terrible de ce mot, une tranchée, mais que tombe la fièvre du combat, ils redeviennent sitôt humains, incapables d’exercer des sévices, allant jusqu’à offrir des cigarettes à l’ennemi désarmé.  » (Emile Wanty, Le Milieu militaire belge, I, 1957, pp. 115-116).

Un coup de poker ?

L’offensive libératrice n’a pas été une promenade de santé pour le soldat belge. Tandis qu’Allemands et Français mobilisent quantité d’hommes, en Belgique, le service militaire n’est obligatoire que depuis 1909. Les effectifs de son armée ne sont donc pas de nature à dissuader un éventuel agresseur. Repliée derrière l’Yser depuis l’hiver 1914, elle est privée de sa base de recrutement. Seuls des Belges expatriés ou natifs de Flandre occidentale, ainsi que des volontaires ayant rejoint la France depuis le territoire occupé composent péniblement une petite réserve. Impossible donc de se lancer dans de coûteuses offensives sans risquer l’existence même de l’outil militaire, garant de la présence de la Belgique sur le théâtre diplomatique. Cette politique prudente est le fait du roi Albert, chef de l’armée, mais aussi de ses généraux. Si l’offensive libératrice est impatiemment attendue, et le moral élevé, il a néanmoins fallu prendre un maximum de garanties auprès des Français et des Anglais pour que des moyens supplémentaires assurent le succès de l’entreprise.

L’infanterie avance, mais l’artillerie et le charroi peinent dans la boue et doivent franchir des ponts et carrefours détruits à l’explosif par les Allemands. En trois jours, la ligne de la crête des Flandres est conquise. Mais le prix à payer est élevé : 3 000 hommes sont morts ou disparus et 10 000 sont blessés. L’opération représente finalement le tiers des pertes de l’armée belge au cours de toute la guerre, estimées à 40 000 hommes.

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