Comment la Première guerre mondiale a durablement impacté la démographie
Si la population belge a diminué pendant la Première Guerre mondiale, ce n’est pas tellement à cause des décès militaires. Le déficit démographique est surtout lié à la diminution des naissances et à l’exil à l’étranger. Une étude du Crisp réserve quelques surprises.
Les démographes l’attestent: la Première Guerre mondiale a profondément affecté l’évolution de la population belge. Le conflit a provoqué des morts militaires, une augmentation de la mortalité civile, une diminution des naissances, un exil à l’étranger et une chute de l’immigration. Ces phénomènes, habituels en cas de guerre, ont pris un caractère particulier en Belgique, du fait de sa neutralité, d’un mode de conscription archaïque et d’une occupation rapide et prolongée de presque tout le territoire. Par ailleurs, les conséquences de la guerre n’ont pas affecté toutes les parties du pays de la même façon. Dans les grandes villes, les données démographiques révèlent une surmortalité de la population masculine active. Elle est due à l’exode rural, qui se poursuit pendant le conflit, associé au caractère malsain du travail dans l’industrie et aux difficultés de ravitaillement. De même, au début de la guerre, on constate une mortalité civile masculine très élevée dans l’est et le centre de la Belgique. En cause: les exactions commises par l’armée allemande en août 1914 à Dinant, Visé et dans d’autres localités.
Quelque 100 000 Belges ne sont jamais revenus d’exil.
Déficit démographique de 9%
Plus d’un siècle après les faits, on pourrait croire que tout cela est bien connu. Il n’en est rien: les estimations précises sont rares et disparates. Ce qui a conduit le démographe Jean-Pierre Grimmeau et le géographe Pierre Marissal, de l’ULB, à entreprendre une recherche approfondie sur le sujet. L’étude est publiée ce 11 novembre, jour anniversaire de l’Armistice de 1918, par le Centre de recherche et d’information socio-politiques (1). Principal constat des auteurs: s’il n’y avait pas eu la guerre, la population de la Belgique aurait atteint, fin 1920, plus de huit millions d’habitants, soit près de 700 000 de plus qu’au recensement effectué cette année-là. Le déficit de population provoqué par le conflit atteint donc les 9%. Il est dû en grande partie à la chute des naissances (41%) et au bilan migratoire négatif (39%): quelque 100 000 Belges ne sont jamais revenus d’exil et la Belgique n’a presque plus accueilli de migrants. Ensuite seulement joue, dans la baisse démographique, le surcroît de décès. Il apparaît que les décès civils excédentaires (14%) l’emportent largement sur les décès militaires (6%).
Une armée modeste
A-t-on une idée précise du nombre de décès militaires belges pendant la guerre? « Le sujet a fait couler beaucoup d’encre, reconnaît Jean-Pierre Grimmeau. Nous avons eu accès à la base de données nominales la plus complète, établie par le Kenniscentrum du musée In Flanders Fields d’Ypres. Elle répertorie 44 000 militaires belges dont le décès est lié au conflit. » Une certitude: le rapport des décès militaires à l’ensemble de la population ne dépasse pas 0,58% en Belgique, contre 3,54% en France et 3,14% en Allemagne. « Il y a plusieurs raisons à cela, souligne le démographe. Les forces belges engagées étaient modestes, reflet de la neutralité du pays. La Belgique est longtemps restée sous le régime de la conscription par tirage au sort, avec possibilité de s’acheter un remplaçant. A partir de 1915, le recrutement a été handicapé par l’occupation de la plus grande partie du territoire. L’armée belge n’a jamais compté plus de 20% de la population masculine de 15 à 45 ans, contre 89% en France et 86% en Allemagne. »
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Moins de naissances dès 1914
Plus surprenant: en Belgique, le nombre de naissances diminue de 8% dès 1914. Comment est-ce possible, vu la gestation de neuf mois et alors que la guerre a commencé début août? En France, les naissances ont diminué brutalement en avril-mai 1915, pas avant. Il en va de même en Allemagne et en Grande-Bretagne. « Le phénomène est propre à notre pays, reconnaît Jean-Pierre Grimmeau. Des grossesses engagées ont été menées à terme à l’étranger, parmi les populations réfugiées. L’une des cartes que nous publions montre les lieux des atrocités allemandes d’août 1914 et des départs en exil la même année. » L’exode belge vers les Pays-Bas a été massif, mais n’a, en général, duré que quelques mois. En revanche, nombre de ceux qui ont rejoint la France y sont restés jusqu’à l’Armistice. Parmi eux, une majorité de paysans de Flandre-Occidentale. « Leurs terres étaient impropres aux cultures après avoir été inondées d’eau salée après l’ouverture des écluses, précise le démographe. Les destructions causées par les bombardements ont aussi fait fuir des agriculteurs. » Il précise encore que le déficit des naissances pendant la guerre est dû à la diminution des mariages et à la séparation de nombreux couples: des travailleurs ont été déportés en Allemagne et des militaires n’ont pu rejoindre leur famille, la Belgique étant occupée.
La Démographie de la Grande Guerre en Belgique et sa géographie, par Jean-Pierre Grimmeau et Pierre Marissal, Courrier hebdomadaire du Crisp, 86 p.
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