Chrétienté : « Tu ne tueras point »
Si, sous les premiers empereurs romains, les chrétiens ont été persécutés, à partir de Constantin le Grand, ce sont les païens qui ont été pourchassés. Durant les XVIe et XVIIe siècles, c’est au coeur même de la chrétienté qu’une application trop rigoriste de la foi mit l’Europe à feu et à sang.
Dès le début du IIe millénaire, toute l’Europe était convertie au christianisme. Dans le sillage de Luther et de Calvin, jamais la discorde en matière religieuse n’a été aussi néfaste sur le continent européen que pendant le siècle et demi qui a suivi la Réforme.
LES GUERRES DE RELIGION EN FRANCE
La Réforme atteignit la France entre 1540 et 1550, au départ de la Genève de Calvin. Il ne fallut pas bien longtemps pour que la religion réformée trouve un écho considérable dans la bourgeoisie et une partie de la noblesse. Et c’est précisément du fait de la nature de ses adeptes que les huguenots français acquirent une puissance plus importante que ne représentait leur nombre puisque, selon les estimations, ils ne pesaient pas plus de dix à quinze pour cent.
En 1562, la reine mère Catherine de Médicis, veuve du roi Henri II (maison de Valois) décédé en 1559, tenta une conciliation qui n’aboutit pas. Elle avait pourtant demandé à des théologiens modérés de trouver un accommodement. En vain. Un an plus tard commença le premier des huit conflits, plus communément connus sous le nom de guerres de religion. Cette longue période extrêmement sanglante débuta sous le règne du troisième fils de Catherine de Médicis, le roi Charles IX (vers 1560-1574), dont la reine mère avait assuré la régence jusqu’en 1570.
Dans sa détermination à obtenir une réconciliation à tout prix, la reine mère avait poussé son fils, le roi Charles IX devenu adulte, à consentir au mariage de sa propre soeur Marguerite de Valois avec le roi protestant Henri Bourbon de Navarre. Les Valois pensaient ainsi conserver leur puissance, mais le mariage tourna au désastre.
Les principaux protestants descendirent à Paris pour assister à la célébration du mariage, le 18 août 1572. Leur présence créa une tension croissante avec les représentants de la Ligue catholique. Quelques jours avant le mariage, la situation avait pris une tournure explosive lorsqu’un attentat manqua de peu l’amiral de Coligny. A l’origine, le roi promit de faire mener une enquête approfondie mais il reconsidéra sa décision sur l’insistance de sa mère. Quand Catherine de Médicis se rendit compte que son plan de conciliation avait échoué, elle conseilla à son fils Charles de prendre lui-même l’initiative. Si Charles voulait garder son trône, il fallait, selon la reine mère, qu’il élimine tous les dirigeants protestants.
C’est lors de la nuit de la Saint-Barthélemy, du 23 au 24 août 1572, que les catholiques frappèrent. Ils firent exploser sans réserve leur haine, jusque-là contenue, contre tous les protestants. Peu de huguenots échappèrent au bain de sang, tant à Paris que dans les principales villes de province. Dans la capitale, seuls Henri de Navarre et le prince de Condé en réchappèrent. 20 ou 30 000 âmes disparurent dans ce massacre qui dura une petite semaine. Il laissa derrière elle une France désemparée, dirigée par un roi qui, pendant les deux dernières années de son règne, fut perclus de scrupules et ne put que constater à quel point les catholiques et les protestants étaient irréconciliables.
LES TROIS HENRI
En 1584 Henri, le frère cadet de Charles, succéda à celui-ci sous le nom de Henri III. Il avait été durant quelque temps un modeste roi de Pologne. Il tenta d’être plus énergique que son frère, mais il n’avait ni la personnalité ni les moyens d’imposer un compromis acceptable entre les deux factions. Les ducs de Guise estimaient qu’ils avaient suffisamment de partisans pour prendre le pouvoir, et même pour s’emparer du trône. Le nom que l’on donnait à l’époque à la guerre de religion française montre à quel point la situation était devenue complexe : » la guerre des trois Henri « , en référence au roi Henri III de France, au roi Henri de Navarre et à Henri, troisième duc de Guise.
En 1588, les Guise réussirent à chasser le roi de sa propre capitale avec l’aide des Parisiens. Henri III se réfugia dans ses propriétés de la Loire et chercha à se rapprocher du roi de Navarre.
Il décida de reconnaître son homonyme comme successeur, son mariage ne lui ayant pas donné de descendance. Mais, tant que les Guise conservaient leur pouvoir, une telle initiative n’avait aucune chance de réussir.
Tout comme son frère en 1572, Henri chercha à la période de Noël de 1588 un recours dans un acte désespéré. Il convoqua les Etats généraux du royaume, une assemblée à laquelle les Guise n’avaient pas accès. Le duc, un être d’aspect redoutable qui mesurait près de deux mètres, disposait de suffisamment de gardes du corps et de partisans pour ne pas être inquiété par le roi. Le 23 décembre, il se rendit à une invitation du souverain censée clarifier la situation. Après une nuit d’amour torride avec sa maîtresse, la marquise de Noirmoutier, Guise n’était pas au mieux de sa forme. De plus, il avait négligé de se faire seconder par un nombre suffisant de gardes du corps. Le roi Henri avait veillé en revanche à ce que les Quarante-Cinq, un groupe de jeunes nobles fidèles, soient dissimulés à proximité de la salle où devait se dérouler l’entretien. Ce n’est qu’à la dernière minute que Guise comprit qu’il était tombé dans un guet-apens. Il tenta de se défendre, mais les Quarante-Cinq, supérieurs en nombre, assassinèrent le duc sur place. Son jeune frère, bien que cardinal, subit le même sort.
Les Guise étaient donc hors course, mais le roi Henri n’avait pas pour autant gagné la partie. Paris restait un bastion de catholiques radicaux qui étaient en train de transformer la ville en une petite république. C’est pourquoi Henri se ligua avec son beau-père, le roi de Navarre. Leur armée remporta quelques succès, mais ils étaient encore loin de reprendre Paris. L’armée royale fut bloquée à Saint-Cloud, une des banlieues occidentales de la capitale.
Fin juillet 1589, Jacques Clément, un moine dominicain de 20 ans, partit assassiner le roi, sans aucun doute très influencé par l’ambiance antiroyaliste qui régnait à Paris. Il est également certain que ce jeune homme peu talentueux avait été encouragé par certains de ses supérieurs. Ceux-ci confièrent à Clément des messages destinés au roi portant les signatures de ses partisans, alors emprisonnés à Paris.
Les lettres de créance que possédait Clément étaient bien assez convaincantes pour lui assurer l’accès au camp royal. Le matin du 1er août, il reçut même un laissez-passer qui lui permettrait d’être reçu par le roi. Henri III voulait apparemment donner la preuve que les moines étaient toujours les bienvenus à sa cour. Quand Clément lui demanda de le recevoir en particulier pour lui confier des informations très confidentielles, le roi accepta sans hésitation aucune.
Tandis que Henri commençait à lire les premières lettres, le moine sortit un poignard de la manche de sa robe de bure et le frappa au ventre. Le roi – qui était, comme le duc de Guise, plus grand qu’on ne l’était généralement à l’époque – tira le couteau de la blessure et en porta un coup à la tête de Clément. Entretemps, les gardes du corps du roi s’étaient précipités. Ils tuèrent Clément, le corps du moine fut brûlé et ses cendres dispersées.
Il sembla d’abord que le roi n’était que légèrement blessé. Après que l’on eut soigné sa plaie, il écrivit même un billet rassurant à sa femme. Mais, le soir arrivé, le roi ressentit des douleurs insupportables au ventre. Son intestin, perforé, avait provoqué une hémorragie interne. Henri III mourut au lever du jour.
C’est ainsi que Henri de Navarre monta sur le trône de France sous le nom de Henri IV. Il ne fut cependant pas reconnu par la majorité de ses sujets, ni par le pape d’ailleurs. En tant que protestant, il n’avait aucune chance d’être accepté. C’est pourquoi il se convertit au catholicisme quatre ans après l’assassinat de son prédécesseur. Il fallut cependant attendre 1598 avant que disparaissent les derniers foyers de résistance contre le nouveau roi.
Mais, même après cela, Henri savait qu’il restait de nombreux catholiques radicaux qui lui en voulaient. Régulièrement, des pamphlets circulaient, qui présentaient Henri comme un hérétique et appelaient à lui faire subir le sort dû à un tyran. La plupart de ces tracts étaient imprimés hors de France, aux Pays-Bas essentiellement.
Le 27 décembre 1594, le roi échappa à un premier attentat. Jean Châtel, 20 ans, fils d’un marchand de draps parisien, tenta de le poignarder devant la maison de la maîtresse royale, Gabrielle d’Estrées. Le roi était à ce moment entouré de nombreux princes et d’autres aristocrates, et fut à peine blessé. Châtel mourut d’une façon atroce, exécuté pour régicide en place de Grève.
Bien que Henri IV soit considéré comme l’un des meilleurs rois de France, il ne jouissait pas d’une grande popularité. Les catholiques ayant estimé qu’en promulguant l’Edit de Nantes, il avait accordé trop de concessions aux protestants. D’autres étaient choqués par son mode de vie quelque peu dissolu. Quand, à partir de 1609, le roi commença à intercéder en Allemagne au profit des princes protestants, il perdit le peu de crédit dont il bénéficiait encore. Et il pouvait commencer à craindre pour sa vie.
C’est à ce moment que François Ravaillac, un jeune homme désargenté d’Angoulême âgé d’une trentaine d’années, roux et barbu, imagina de supprimer le roi. Fin 1609, Ravaillac se rendit à Paris. Comme toutes ses tentatives d’approcher le roi avaient échoué, il retourna chez lui.
Ravaillac fit une nouvelle tentative au printemps de l’année suivante.
Le 13 mai 1610, Marie de Médicis, épouse du roi et mère de son fils unique, le futur Louis XIII, fut couronnée reine. A cette occasion, le peuple curieux se pressa à la capitale. Parmi les curieux, Ravaillac. Le roi était terriblement fatigué par les complexes cérémonies du couronnement, et il avait à peine dormi. Il s’était cependant levé pour rendre visite en début d’après-midi du 14 mai à Sully, son principal ministre, malade et alité.
Il y avait beaucoup de monde dans la ville et, comme son carrosse avançait à peine, Henri IV ordonna à ses accompagnateurs de retourner au Louvre. Ravaillac s’était posté cet après-midi-là dans la rue de la Ferronnerie, une rue petite, large d’à peine quatre mètres. De là, il vit le carrosse royal avancer lentement. Ravaillac courut au rythme du carrosse jusqu’à ce qu’il trouve comment atteindre le roi. Il sauta sur une des roues, se pencha par la fenêtre et frappa à deux reprises. Un de ses coups de couteau transperça l’aorte royale et Henri IV mourut presque instantanément.
Ravaillac fut aussitôt arrêté et livré aux juges. Malgré les tortures, il persista à prétendre que personne d’autre n’était impliqué dans cet attentat. Le 27 mai, deux semaines après l’attentat, Ravaillac subit la peine réservée aux régicides. Après une impressionnante quantité de supplices, il fut finalement écartelé : son corps fut déchiré par quatre chevaux attachés à ses bras et ses jambes.
GUILLAUME, PÈRE DE LA PATRIE
Il est pratiquement impossible d’attribuer une nationalité déterminée à Guillaume d’Orange. Né à Dillenburg dans la branche comtale de Nassau, il avait hérité de la principauté d’Orange dans le sud de la France, possédait des domaines immenses aux Pays-Bas et avait été nommé Stathouder (gouverneur) de Hollande et de Zélande par Philippe II d’Espagne au début de son règne.
En tant que défendeur de la liberté des cultes aux Pays-Bas, Guillaume était en conflit avec le roi. En 1567, Philippe avait envoyé l’impitoyable duc d’Albe aux Pays-Bas pour y mettre de l’ordre. Albe, ses successeurs et ses commandants en second s’inquiétaient de constater que la partie septentrionale des Pays-Bas se libérait lentement mais sûrement de la tutelle espagnole.
Sept ans après le départ d’Albe, le duc de Parme, nouveau régent des Pays-Bas, fit publier sur ordre de Philippe une sentence de bannissement des Orange. Guillaume était considéré comme responsable de tout ce qui allait mal aux Pays-Bas. Ceci, non pas sur la base d’une publication anonyme mais d’un document émanant d’un souverain se proclamant défenseur de la foi. On y donna donc toute la publicité nécessaire. L’édit de Philippe ne contenait pas seulement le bannissement des Orange, mais aussi un message très clair à l’adresse des nobles et des bourgeois, les incitant à libérer le roi de » cette peste « . Il promettait que quiconque tuerait Orange ou le livrerait au roi recevrait une importante récompense et serait anobli. Orange ne se sentit dès lors plus assujetti à un roi qui le traitait de telle manière. Début 1581, il publia ses » Justifications « . Quelque mois plus tard, les Etats généraux tranchèrent l’affaire en publiant l’Acte de Déposition de La Haye : les Pays-Bas tournaient définitivement le dos au roi de Madrid.
Orange était conscient que Philippe le considérait comme un hors-la-loi et qu’il ne manquait pas de partisans du roi d’Espagne pour en découdre. Mais l’édit de bannissement de Philippe inspira aussi des hommes aguichés par le seul profit matériel. Ce fut le cas d’un jeune Basque de 20 ans, Juan de Jaureguy, aidecomptable au service de Gaspar de Añastro, un marchand anversois d’origine espagnole. Añastro avait subi des pertes considérables à la suite d’un naufrage. La récompense offerte par Philippe était trop tentante pour qu’il la néglige. Jaureguy recevrait une modique partie de la récompense s’il réussissait à tuer Orange.
Jaureguy pouvait facilement approcher le prince, car il n’y avait pas de frontière nette entre les régions catholique et protestante, et parce que la protection des hauts dignitaires présentait des lacunes. Le 8 mars 1582, il attendit Orange sans être dérangé et lui soumit une requête écrite. Quand Orange commença à lire le document, Jaureguy sortit un vieux pistolet et ouvrit le feu. Une balle atteignit Orange dans le côté droit de la nuque, juste en dessous de l’oreille, et sortit par l’autre côté. Grâce à l’intervention rapide de Charlotte, sa femme, l’hémorragie fut endiguée mais il fallut tout de même plusieurs mois au prince pour s’en remettre. Les gardes du corps du prince tuèrent Jaureguy avec leurs hallebardes. Sur la base des documents que l’on trouva sur lui, le rôle joué Añastro fut découvert. Le marchand se réfugia dans les provinces espagnoles, mais deux de ses complices furent exécutés.
On aurait du mal à l’imaginer, et pourtant… Un second attentat, fatal au prince celui-là, eut lieu à peine deux ans plus tard dans des circonstances comparables. Balthazar Gérard, un jeune homme originaire de Dole en Franche-Comté, province qui faisait alors partie des propriétés des Habsbourg, était déjà en route vers les Pays-Bas pour assassiner Orange quand, arrivé à Luxembourg, il fut informé de l’attentat manqué de Jaureguy. Au printemps 1584, Gérard reprit la route vers Delft, muni de faux documents au nom de François Guyon et attestant qu’il était le fils d’un fervent protestant mort en martyr.
Gérard agit d’une façon rigoureuse. Il décida de frapper à un moment où Orange se rendrait de son cabinet de travail du Prinsenhof à sa salle à manger ou vice versa. Le 10 juillet 1584, le prince reçut le bourgmestre de Leeuwarden. Après un long entretien, il se rendit avec son hôte à la salle à manger. Dans le couloir qui menait d’une pièce à l’autre, Gérard attendit le prince et lui demanda le passeport qu’il lui aurait été promis. Le prince lui promit de faire le nécessaire. Après le repas, quand Orange retourna vers son cabinet de travail, Gérard se trouvait toujours au même endroit. Avant que quelqu’un puisse intervenir, il tira trois fois. Mourant sur le sol, Orange, prononça ces derniers mots : » Mon Dieu, mon Dieu, ayez pitié de moi et de ce pauvre peuple. » Le meurtrier fut arrêté et mourut après de terribles tortures. Son acte fut glorifié dans les pays catholiques, certains croyants réclamant même sa béatification. Sa famille reçut la récompense promise et fut anoblie.
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