Un chansonnier de rue à Gembloux, en 1920. © DR

CHANSONS ET REVENDICATIONS

En Belgique occupée, la sortie de guerre est un événement festif : chants et danses expriment la joie et le soulagement. Mais l’ambiance est houleuse, car si la victoire est perçue comme le triomphe de la liberté et de la justice, c’est aussi l’heure des règlements de comptes.

Le soulagement lié au retour à la vie normale et au départ de l’occupant suscite partout dans le pays une ambiance de fête. Les chansonniers qui vendent leurs feuillets à quelques sous à un public populaire captent parfaitement la décharge émotionnelle de la population et l’ambiance patriotique exacerbée. Les chansons d’amour désormais classiques des soldats français et britanniques, Tipperary et La Madelon, résonnent partout dans le pays. Un flot de nouvelles chansons populaires déferle. Les éloges à la patrie belge et aux soldats, les insultes adressées à l’ennemi tellement honni et les odes à la paix font un tabac.

Les grands mots tels que gloire, liberté et justice aident à faire passer le goût amer d’un conflit qui n’a que trop duré et qui semblait toujours plus absurde. Empreintes d’une confiance en soi que seuls les vainqueurs peuvent se permettre, les chansons reviennent sur son déroulement. On explique que les  » petits Belges  » courageux ont donné une leçon aux Allemands et c’est ainsi que le sang versé acquiert sa pleine signification : la nation belge renaît de la guerre. Les paroles  » Ils sont tous morts pour ne pas être esclaves et pour nous conquérir la Liberté  » apparaissent dans Le retour au pays, une chanson de tendance plus bourgeoise, elle aussi vendue au grand public sous forme de feuillet. La population est appelée à ne jamais oublier le sacrifice des soldats.

C'est à Thomas Joseph Baras dit Pépino, de Wavre, que l'on doit cette composition. Les paroles se chantaient sur Le président de la République, une chanson française très populaire de 1912.
C’est à Thomas Joseph Baras dit Pépino, de Wavre, que l’on doit cette composition. Les paroles se chantaient sur Le président de la République, une chanson française très populaire de 1912.© IN FLANDERS FIELDS

LES ALLEMANDS STIGMATISÉS

Parallèlement à ce patriotisme, les sentiments antiallemands refont surface dans toute leur violence. Certains recueils titrent  » Haine à l’Allemagne « . Après la victoire, les chansons appellent à la vengeance et aux représailles : il faut occuper la Rhénanie,  » conquérir  » les femmes allemandes, incendier et affamer l’Allemagne. Les chansons qui raillent l’empereur atteignent le sommet de leur popularité. La propagande alliée aidant, la population considère Guillaume II comme le principal responsable de la guerre. Les appels à la vengeance et à la punition à l’adresse de l’empereur déchu sont particulièrement virulents.

La période de libération, avec son lot de représailles, est un moment charnière entre le présent et le passé. Le constat vaut également pour les  » ennemis intérieurs « , les  » traîtres à leur patrie  » qui, aux yeux de beaucoup, ont aggravé les souffrances. Depuis des années, les plus faibles ruminaient leur revanche contre les accapareurs et les  » femmes à boches « .  » Qu’on les rase ! Qu’on les rase ! Pour qu’on reconnaisse facilement toute la crasse des salopes ! Qui étaient les morues des Prussiens ! « , suggère une chansonnette liégeoise. Ces textes galvanisent le public durant la répression populaire d’octobre et novembre 1918.

Les idéaux patriotiques de paix, d’amour et de justice, reconquis au prix fort, sont partagés par de nombreuses couches de la population, mais toutes ne leur donnent pas la même signification. Les ouvriers y ajoutent par exemple la revendication d’une plus grande égalité : les paroles  » Vive la délivrance, pour la fraternité  » sont chantées sur la mélodie de l’Internationale dans  » Le chant de la délivrance « , une chanson liégeoise. Aux yeux des classes les plus faibles, la guerre qui vient de se terminer s’est faite sur le dos des petites gens. Ceux qui se sont sali les mains sur le front n’étaient-ils pas des ouvriers ? Au nom de la patrie, ces classes sociales réclament une paix durable ( » Place à la paix ! « ) et l’abolition des frontières nationales. Dans leurs refrains, ils revendiquent des salaires honnêtes, du pain quotidien et une aide financière pour les martyrs de la guerre : vétérans, invalides, veuves, orphelins et travailleurs forcés. La patrie renaissante sera juste et fraternelle ou ne sera pas. Les chansons ne servaient donc pas seulement à célébrer ou à exprimer un chagrin, elles permettaient aussi de juger et de revendiquer des droits.

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