Ces femmes que l’on disait folles
Ces femmes puissantes ont été éliminées par des mécanismes qui les décrivaient comme « anormales ». Démentes? Cela reste à voir.
HATCHEPSOUT
1508 – 1458 AV. J.-C.
L’un des rares pharaons de sexe féminin. Elle bâtit des temples, agrandit son royaume et apporte la prospérité, mais ses successeurs détruisent ses réalisations et tentent d’effacer son nom de l’histoire. Dans cette campagne de dénigrement, elle est également présentée comme cupide et sadique, avec des caractéristiques psychopathiques. Pour exercer le pouvoir, elle adopte un comportement typiquement masculin. On lui attribue des traits androgynes. Elle est représentée avec le buste d’un homme, des vêtements masculins et même la barbe cérémonielle.
CLÉOPÂTRE
69 – 30 AV. J.-C.
Une autre, en revanche, utilisera pleinement ses atouts féminins dans son combat. Il s’agit bien entendu de Cléopâtre. Dans l’histoire romaine, elle est littéralement décrite comme une prostituée qui utilise ses talents de séductrice et son corps pour manipuler des hommes puissants comme Jules César et Marc-Antoine – autrement dit, on peut parler de slut-shaming(1) Avant la lettre. Son intelligence et ses aptitudes politiques à la tête de l’un des plus grands empires de l’histoire ont moins attiré l’attention. Cléopâtre doit surtout son image de courtisane mentalement instable à Octave, le futur empereur Auguste, qui l’utilise pour éliminer Marc-Antoine dans la lutte pour le pouvoir à Rome.
WU ZETIAN
625 – 705
L’Empire de Chine connaît en revanche la paix et la prospérité sous l’impératrice Wu Zetian. Cela n’empêchera pas celle-ci de passer dans les livres d’histoire comme une femme qui ne devait sa position qu’au fait d’avoir été la concubine de deux empereurs. On l’accuse d’avoir assassiné sa propre fille et arrêté ses rivales pour ensuite leur trancher les mains et les pieds et les noyer dans des tonneaux de vin. En réalité, si des actes de sadisme lui sont imputés, c’est surtout en raison de son genre et de son soutien au bouddhisme, éléments à charge aux yeux des confucianistes qui rédigent les chroniques impériales.
CIXI
1853 – 1908
C’est aussi à la cour de Chine que vit Cixi, l’une des concubines de l’empereur. Elle renforce son pouvoir en lui donnant un fils et devient régente pour ce dernier lorsque l’empereur décède. Entre 1861 et 1908, elle dirigera la dynastie Qing. Des récits circulent à propos des supplices et des perversités dont elle se rend coupable, tant dans la propagande communiste que dans les sources occidentales de l’époque. Des recherches récentes ont toutefois montré que beaucoup de crimes dont Cixi était accusée étaient des inventions du sinologue britannique Edmund Backhouse, qui affirme également avoir entretenu une relation avec l’impératrice douairière, alors âgée de 65 ans. Dans le contexte des guerres de l’opium qui opposent Chinois et Britanniques, les récits effroyables associés à Cixi sont aussi des excuses pour justifier l’attitude colonialiste de Londres envers Pékin.
CATHERINE la GRANDE
1729 – 1796
Dans la Russie voisine, l’une des souveraines les plus influentes de son époque est accusée de nymphomanie. La tsarine fait pourtant de la Russie l’un des plus grands empires mondiaux. Elle est non seulement puissante, mais aussi intelligente et déterminée dans son administration. Protectrice des arts et des sciences, elle correspond avec Voltaire et Diderot, les grands penseurs des Lumières, et stimule l’enseignement. Ces capacités ne sont toutefois pas déterminantes pour son image, bien plus influencée par les ragots au sujet de sa vie sexuelle. Elle passe pour une nymphomane mangeuse d’hommes avec une préférence pour les garçons jeunes et blonds. Il est un fait que Catherine et son mari Pierre III ont tous deux eu une série d’amants, mais elle ne diffère pas en cela d’une quantité d’autres souverains masculins.
ANNE BOLEYN
1501 – 1536
Les cas de folie réels ou prétendus ne sont pas l’apanage des cours non européennes. L’Anglaise Anne Boleyn (1501 – 1536), par exemple, est dépeinte comme la femme décadente à trois tétons qui provoque la rupture d’Henri avec sa femme et l’Église, compromettant ainsi la stabilité du royaume. Les rumeurs concernant ses doigts surnuméraires et le bébé anormal qu’elle aurait mis au monde font d’elle un monstre. Elle est exécutée pour adultère et inceste. Le fait qu’elle ait été une femme intelligente et la protectrice des savants, qu’elle ait eu des positions et des idées claires sur les réformes religieuses est rarement mentionné, à l’inverse des accusations de sorcellerie et d’instabilité physique et mentale. Penseuse éclairée ou nymphomane?
MARY TUDOR
1516 – 1558
C’est également à la cour d’Angleterre qu’a vécu Mary Tudor, fille de l’époux d’Anne Boleyn, Henri VIII. Elle doit son surnom de « Bloody Mary » à l’exécution de 283 protestants, ordonnée dans une tentative de rétablir le catholicisme dans le pays. Bien qu’elle ne soit pas plus sanguinaire ou sadique que son père, qui a fait pendre plus de 50 000 personnes, c’est ainsi qu’elle est présentée.
CHRISTINE Ire de SUÈDE
1626 – 1689
Christine Ire de Suède est la fille de Marie-Eléonore de Brandebourg et du roi Gustave Adolphe de Suède. Faute d’héritier mâle, son père l’éduque comme si elle était un garçon et la traite comme son successeur. Quand Christine a 6 ans, son père meurt. Sa mère devient folle de chagrin et perd tout droit parental. Christine parle plusieurs langues, s’intéresse à la philosophie aux sciences et à l’art et s’habille comme un homme lors de ses voyages à travers l’Europe. En 1654, elle se convertit à la foi catholique et abdique volontairement.
MARIE-ANTOINETTE
1755 – 1793
La fin de règne de Marie-Antoinette (1755 – 1793) sera nettement plus cruelle. » Qu’ils mangent de la brioche », aurait répondu la reine de France en apprenant que le peuple souffrait de la disette et que le pain manquait. Égoïste, narcissique et stupide : Marie-Antoinette est décrite comme la maîtresse arriérée du roi, rien de plus. Ses dépenses extravagantes et son manque d’empathie pour le peuple suggèrent qu’elle était incapable d’entretenir des relations personnelles normales. En réalité, elle représente en tant qu’aristocrate d’origine autrichienne une cible facile pour les révolutionnaires. De récentes études ont montré que Marie-Antoinette était une mère dévouée et qu’elle se souciait du sort des pauvres. Elle va jusqu’à critiquer le train de vie dispendieux de l’aristocratie française, mais cela n’empêchera pas les révolutionnaires de la faire guillotiner.
1) Que l’on pourrait traduire par « intimidation – ou humiliation – des salopes »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici