Ce que renferme le trésor des bois de Notre-Dame de Paris
Les restes calcinés de la charpente de la cathédrale de Paris contiennent des indices de son passé et, peut-être aussi, de son futur. Rencontre avec le dendro-archéologue Patrick Hoffsummer (ULiège).
Le jour de l’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, l’archélogue médiéviste Patrick Hoffsummer (ULiège, unité de recherche Art, archéologie et patrimoine), travaillait à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, à Charenton, près de Paris. C’est là que se trouvent notamment les archives de l’architecte Viollet-le-Duc, restaurateur de la cathédrale au xixe siècle et inventeur de la flèche en bois de chêne où le feu a démarré et qui n’allait pas tarder à s’écrouler sur le transept. Noyé dans le chagrin – » on a tous pleuré » -, il ne s’est pas rendu immédiatement sur les lieux. En 1994 et 2009, il avait exploré la » forêt « , comme l’avaient surnommée ses bâtisseurs. Des souvenirs brûlants.
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L’archéologue écrit sur-le-champ une note à l’attention du ministère de la Culture, pour que les restes calcinés de la charpente soient conservés. Sans doute n’a-t-il pas été le seul. Les quelque 4 000 débris ramassés dans la cathédrale ont été rangés sous une tente montée sur le parvis de Notre-Dame. Les autres bois pollués par le plomb fondu de la couverture pèsent dangereusement sur les parties hautes de l’édifice ; ils doivent encore être descendus. Une opération délicate, prélude au lancement de la campagne de restauration qui devrait durer jusqu’en 2024. Du moins si le Covid-19 n’oblige pas le président de la République, Emmanuel Macron, à renoncer à son engagement de reconstruire la cathédrale en cinq ans, plus belle qu’avant.
La stabilité des voûtes inspire de l’inquiétude.
Président du Centre européen d’archéo- métrie, Patrick Hoffsummer est aussi un expert en dendrochronologie (datation du bois). Il intervient régulièrement sur des chantiers patrimoniaux du Grand Ouest et du Grand Est à la demande du ministère français de la Culture. Il a dirigé des inventaires thématiques ( Corpus tectorum) sur les charpentes de monuments en France et en Belgique. En marge de la reconstruction et de la restauration de la cathédrale, menées d’une main de fer par le général Jean-Louis Georgelin, l’universitaire liégeois a rejoint le groupe bois et charpente de l’Association des scientifiques au service de la restauration de Notre-Dame de Paris, créée au lendemain de la catastrophe.
Sur la piste des forêts de l’an Mil
Casimodo est l’acronyme d’un projet de recherche rédigé par ce groupe sous la direction d’Alexa Dufraisse (CNRS). » Il a pour objectif d’évaluer l’impact des variations climatiques et de la pression socio-économique sur les forêts du Moyen Age classique entre les xe et xiiie siècle « , développe Patrick Hoffsummer. Car la question de la déforestation massive à l’aube du Moyen Age est controversée. » L’étude des restes calcinés produira de nouvelles données sur les savoir-faire, les techniques et le chantier de construction de Notre-Dame, les pratiques sylvicoles et la gestion des territoires, ainsi que le contexte climatique. » Ces recherches seront étendues à la moitié nord de la France jusqu’au sud de la Belgique et l’ouest de l’Allemagne. Le laboratoire de dendrochronologie de l’ULiège y participera. Les scientifiques espèrent soutirer ses derniers secrets au squelette de la » forêt » et, peut-être, ouvrir des pistes tout aussi vénérables pour entamer sa restauration.
Surnommé » termite » par ses étudiants car » il fore partout « , Patrick Hoffsummer a utilisé pour la première fois la dendrochronologie (le sujet de sa thèse de doctorat) lorsqu’il était jeune chercheur, pour dater la très ancienne église-halle de Theux. Au cours de sa carrière, il a été confronté à plusieurs incendies en région liégeoise : l’église Saint-Servais en 1981, l’aile du chapitre du Val-Saint-Lambert en 1983, l’ancien hôtel de Soër en 1995. » Il y avait encore moyen de faire de la dendrochronologie à partir de certains bois brûlés « , se rappelle-t-il.
Lors de la récente restauration de la cathédrale Saint-Paul de Liège (xiiie-xve siècle), il s’est empressé de récupérer les pièces de charpentes remplacées par du bois neuf. Une source précieuse d’informations. » La dendrochronologie permet de dater la mort de l’arbre à l’année près quand on a l’écorce, explique-t-il. C’est un moyen de datation aussi précis qu’un texte d’archive. Au Moyen Age, le bois coupé n’était généralement pas stocké, cela n’aurait eu aucun sens, économiquement parlant. Abattu l’hiver, il était utilisé pour le chantier du printemps, même si certains bois étaient réutilisés. »
Les cycles solaires de Douglass
Léonard de Vinci, génie universel, avait déjà décrit le principe des cernes de croissance de l’arbre et leurs variations en fonction des conditions climatiques. Néanmoins, c’est A. E. Douglass, professeur à l’université d’Arizona, qui donna ses lettres de noblesse à la dendrochronologie (1920-1930). Ce savant espérait trouver dans le coeur des pins ponderosa des zones semi- désertiques du sud-ouest des Etats-Unis (Arizona, Colorado) la preuve d’une augmentation de l’activité solaire tous les onze ans, ce qui provoquait des changements climatiques. » Douglass n’a pas trouvé de traces d’un cycle solaire de onze ans, mais, lors d’une rencontre avec un archéologue qui travaillait sur des sites indiens qu’il ne parvenait pas à dater, dont celui de Pueblo Bonito, il eut l’idée de comparer les bois morts de ces restes d’habitation avec des échantillons d’arbres vivants de la même essence. » Bingo, ça a matché !
Aujourd’hui, on peut dater des bois âgés de dix mille ans.
La dendrochronologie, ou tree-ring dating selon le mot forgé par l’Américain, a donc fait progresser l’archéo- logie et l’histoire de l’art en permettant de dater des vestiges en bois, des charpentes anciennes, voire des peintures sur bois ou des sculptures. » Douglass a montré que chaque série de cernes – le code-barre de l’arbre – était caractéristique d’une période du calendrier. Ainsi, on peut lire les traces de la grande sécheresse de 1976 dans les arbres coupés aujourd’hui, illustre Patrick Hoffsummer, mais, pour les périodes plus anciennes, on n’a pas, comme en Arizona, des arbres de 1 000 ans qui pourraient servir de référence. Il a donc fallu construire un référentiel région par région, en analysant par carottage les bois morts utilisés dans les édifices anciens. » Lui-même a construit le référentiel des Ardennes belges. » Aujourd’hui, on peut dater des bois âgés de dix mille ans « , affirme-t-il.
La réhabilitation du bois vert
D’où l’immense intérêt de conserver les bois calcinés de Notre-Dame, histoire d’en savoir davantage sur leur origine et sur la manière dont les charpentiers du Moyen Age les ont travaillés, comment ceux-ci ont marqué les pièces de charpente avant et après leur assemblage… Heureusement, une étude dendrochronologique de la toiture avait été réalisée entre 1991 et 1994 par une équipe de quatre scientifiques, dont le chercheur liégeois. Elle s’appuyait sur l’analyse de 70 échantillons – dont une quarantaine ont été datés – qui situent l’essentiel des structures médiévales vers 1220, avec des réemplois de la fin du xiie siècle. » Il est prévu de se livrer à l’exercice difficile de la mise au net des relevés de détails à main levée obtenus avant la catastrophe, en s’aidant de photographies numériques et des données lasergrammétriques antérieures à l’incendie « , appuie Patrick Hoffsummer. Un chercheur tchèque, membre de la task force bois et charpente, essaie de son côté de reproduire les gestes ancestraux des charpentiers à l’aide de différents types de haches, de scies de long ou de scies à cadre. » Dans l’hypothèse d’une reconstruction à l’identique, le travail manuel ne serait pas le moins efficient « , observe le professeur liégeois.
Même si la question n’est pas tranchée d’une restauration à l’identique ou d’un » geste » architectural, la première option tient visiblement la corde. Un autre motif de satisfaction pour les dendro-archéologues : la réhabilitation du bois vert. » On ne nous écoutait pas lorsque nous disions que les bâtiments du Moyen Age avaient été construits avec du bois vert et qu’il ne fallait pas laisser vieillir le bois pendant vingt ou trente ans avant de l’utiliser en restauration. » La matière première ne manque pas : l’Office national des forêts (ONF) a promis de fournir tout le chêne nécessaire aux néobâtisseurs. Malgré ces bonnes nouvelles, le chemin à parcourir est long et incertain. » La stabilité des voûtes inspire de l’inquiétude, reconnaît Patrick Hoffsummer. Via l’analyse des bois brûlés par spectrométrie Raman ( NDLR : méthode d’observation de la composition moléculaire et de la structure externe d’un matériau), on va pouvoir dire à quelles températures elles ont été exposées. Supérieures à 100-200 degrés, davantage encore ? Ensuite, il faudra déterminer si l’édifice peut supporter le poids d’une charpente et, en particulier, d’une charpente de bois vert. »
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