Astrid, le mythe venu du froid
Qui était Astrid, quatrième reine des Belges, et épouse de Léopold III?
« C’est un mariage d’amour. Rien n’a été préparé. Je serais heureuse que vous le disiez bien à notre peuple. Aucune considération politique n’a prévalu pour arrêter la décision que nous venons de vous annoncer. » Voilà ce qu’affirme la reine Élisabeth au moment des fiançailles de son fils Léopold avec Astrid, une jolie princesse venue du froid.
UNE ASCENDANCE ROYALE
L’arbre généalogique d’Astrid est plutôt impressionnant. Elle est la troisième fille du prince Carl de Suède et de la princesse Ingeborg de Danemark. Son père est le troisième fils du roi de Suède Oscar II, mais surtout, l’arrière-petit-ils de Jean-Baptiste Bernadotte. Ce maréchal de l’empereur Napoléon Bonaparte a remporté la bataille de Fleurus contre les armées autrichiennes. En 1818, il a été fait roi de Suède et a pris le nom de Carl XIV Johan, succédant ainsi à son père adoptif sans enfant. Quant à la mère d’Astrid, elle est la fille du roi du Danemark.
Astrid-Louise-Marie-Sophie-Thyra voit le jour à Stockholm, le 17 novembre 1905. Elle naît à deux pas du Palais royal, dans l’hôtel qui sert aujourd’hui à abriter les services du ministère des Affaires étrangères. L’accouchement se déroule, non sans douleur, bien loin de l’intimité d’une famille bourgeoise, puisqu’à ce moment se pressent des ministres et une cinquantaine de dames de cour qu’il faut nourrir en de telles circonstances, au grand regret du père d’Astrid. Mais la résidence est plutôt agréable, avec sa façade ornée de colonnes donnant sur la grande place de la capitale suédoise, dominée par la statue équestre du roi Gustave-Adolphe.
Le bébé est baptisé dans l’une des grandes salles décorées de tapisseries des Gobelins. Astrid est dans les bras de sa grand-mère, la reine Sophie. Le baptême, présidé par l’évêque Billing suivant le rite luthérien, se fait audessus de la grande coupe en argent qui reçoit l’eau du sacrement de tous les princes de Suède depuis le XVIIe siècle. Cependant, Astrid, en tant que fille, n’a pas droit au berceau historique de Charles XII, comme tous les descendants mâles.
UNE ENFANCE BOURGEOISE
La famille quitte rapidement ce palais pour lui préférer une résidence plus calme située sur une petite colline dominant Stockholm. Mais elle compte néanmoins une quarantaine de chambres, de quoi laisser beaucoup d’espace aux enfants. Astrid a deux soeurs aînées, Margaretha, la préférée et en quelque sorte son ange gardien, qui épousera Axel de Danemark, et Märtha, qui deviendra l’épouse du futur roi Olav V de Norvège, mais qui mourra avant de devenir reine. Il y aura aussi le petit dernier, le prince Carl junior, qui vivra jusqu’en 2004.
La jeunesse de la princesse est particulièrement heureuse. Elle joue en totale liberté avec ses soeurs. Des précepteurs distillent leur savoir dans la maison et l’archevêque de Suède la prépare à sa première communion. « Nous voulions qu’elle soit traitée comme les autres enfants, soulignera son père dans ses souvenirs. Elle apprit à se montrer obligeante envers les gens. Des gouvernantes ne furent engagées que pour lui enseigner les langues, l’éducation étant assurée par leur mère. Entre celle-ci et Astrid régnèrent toujours des rapports de confiance et, plus tard, ce fut presque de la camaraderie. »
UN BESOIN DE TENDRESSE
Astrid a un caractère plus délicat que celui de ses soeurs. Elle demande beaucoup de tendresse et de prudence, étant très sensible aux réprimandes. Elle mélange harmonieusement bonté et enthousiasme. Timide et peu sûre d’elle-même, elle observe tout et rien avec un oeil interrogateur et parfois indécis sur le jugement à porter. Elle est bien plus jeune que ses deux soeurs et de six ans l’aînée de son frère.
Si l’enseignement se passe dans l’une des chambres de la résidence transformée en classe, Astrid veut absolument être seule à le suivre, refusant la présence d’un autre enfant à ses côtés, qui aurait pourtant pu l’aider à vaincre sa timidité. Ce qu’elle doit pourtant faire lorsque la tradition lui impose de venir saluer poliment les invités de ses parents lors des dîners qu’ils organisent dans leur résidence. Elle pleure souvent. « Ces larmes, nous précisera son père, n’étaient pas le fruit d’une sensiblerie quelconque, mais plutôt l’expression de son désespoir devant sa propre timidité. Mais par moments, elle pouvait être d’une joie débordante. Ce n’était pas du tout une enfant maussade, mais simplement réservée. «
Vilhem, l’un de ses cousins, témoignera de l’apparente fragilité d’Astrid : « Elle était aussi spontanée qu’impulsive. Sa sensibilité ne connaissait pas de limites et ses états d’âme changeaient comme la pluie et le soleil sous le ciel d’avril nordique. Elle avait le don de rire et de pleurer avec la même facilité… Nous savions combien elle était timide et modeste, timorée et sensible à l’extrême. La plus atténuée, la plus douce des réprimandes, la moindre parole qui dénotât la plus légère tendance à la dureté sufisaient pour provoquer un lot irrésistible de larmes et ces larmes ne tarissaient pas avant que sa mère ne l’eût prise dans ses bras et ne lui fît entendre raison. »
DES ÉTUDES DE PUÉRICULTURE
Astrid grandit. Elle parcourt les cimaises des musées, descend les pentes en traîneau ou en ski, s’initie à la danse tout en apprenant consciencieusement ses leçons. Pourtant son parcours scolaire est parsemé d’embûches. Surtout quand, en 1923, elle sort du cocon familial pour fréquenter les cours donnés en français à l’école de Sankt-Bovid, qui a été fondée par l’archevêque Nathan Söderblom, un grand ami de la famille. Peut-être que le français rebute quelque peu la jeune princesse, mais elle est surtout confrontée aux règles grammaticales, qui sont loin de la passionner. Cette expérience en immersion ne dure qu’un trimestre.
En 1924, Astrid demande qu’on l’inscrive dans une école de puériculture à Stockholm où elle rencontre Anna Adelsvärd, la future comtesse Anna Sparre, qui devient son inséparable amie. Elle lui consacrera d’ailleurs un livre qui demeure une référence. Astrid suit ensuite également les cours d’une école de ménagère.
La faillite d’une banque danoise oblige le prince Carl à vendre sa somptueuse demeure pour un appartement plus modeste en ville, qui est rapidement échangé contre une villa plus confortable. Quelques leçons de maintien et d’étiquette achevèrent de préparer la jeune fille avant qu’elle ne rencontre le prince charmant qui bouleversera sa vie.
UN VOYAGE INCOGNITO
La reine Élisabeth se rend-elle dans la famille du prince Carl dans l’espoir d’y trouver la future épouse de son fils Léopold? Elle use de tous les subterfuges pour échapper à la perspicacité des paparazzi qui sévissent déjà à l’époque. La reine et le prince voyagent sous de faux noms, avec des passeports au nom de Réthy, patronyme qui sera plus tard souvent employé dans l’entourage du quatrième souverain belge. Et pour mieux encore tromper la vigilance, ils inversent les rôles, Élisabeth devenant la dame de compagnie de la comtesse de Caraman-Chimay, mise au-devant de la scène.
La légende veut que Léopold tombe éperdument amoureux d’Astrid dès le premier regard. Quoi qu’il en soit, sous le nom de Philippe, fils de la comtesse de Réthy, il fait plusieurs fois la traversée vers la Suède pour conter fleurette à sa belle princesse. Au bout de quelques mois, Astrid fait le chemin inverse et, à Ciergnon, a lieu l’annonce officielle de leur prochain mariage. C’est, comme le souligne Élisabeth, un mariage d’amour… Même si on ne peut totalement exclure qu’il ne soit dénué de certains desseins diplomatiques ou dynastiques. Les Belges adoptent d’autant plus volontiers la promise du prince héritier que la presse ne cesse de la décrire sous son vrai jour, comme une citoyenne ordinaire d’un pays socialement très avancé, et qui exerce un métier qui touche les cordes sensibles de tous les coeurs.
Le mariage civil se déroule le 4 novembre à Stockholm, revêtue pour la circonstance d’un précoce manteau de neige. À l’issue de la cérémonie, Astrid embarque à bord du Fylgia, qui accoste au port d’Anvers le 8 novembre, la famille royale belge ayant choisi le train puis le paquebot Marie-José pour la précéder en Belgique. Oubliant le protocole, à l’arrivée du bateau qui la transporte, Léopold se jette littéralement sur la passerelle pour étreindre et embrasser longuement celle qu’il s’apprête à épouser devant Dieu. Elle conquiert définitivement, en se prêtant à ce geste spontané, le coeur de tous les Belges.
UNE GUERRE DE RELIGION
L’office religieux est mixte, elle étant protestante et lui catholique. La reine Élisabeth a entamé des démarches auprès du Cardinal Van Roey, primat de Belgique, afin qu’il accorde une dispense pour cette union entre deux êtres de confessions différentes, selon les règles du droit canonique. Une conversion avant le mariage n’est pas souhaitable, car il faut laisser le temps à la fiancée de se familiariser avec la doctrine catholique. Mais l’autorisation doit venir du pape en personne. Il finit par l’accorder, ajoutant à l’adresse du roi des Belges qu’il regrette de ne pouvoir exprimer sa joie. Autre temps, autres moeurs! Néanmoins la situation, que nous avions déjà connue avec Léopold Ier, suscite une polémique dans les quotidiens belges et suédois, certains se demandant pourquoi contraindre Astrid à renoncer à sa religion d’origine.
Après moult palabres entre la famille belge et la famille suédoise, entre l’archevêque luthérien de Stockholm et le cardinal Van Roey, il est décidé que la bénédiction nuptiale se fera dans la collégiale des Saints-Michel-et-Gudule, sans pour autant l’accompagner d’une messe. Certains évêques pensent boycotter la cérémonie. Il n’en sera rien. Ce n’est que deux ans plus tard qu’Astrid demande à être convertie. La préparation revient au chanoine Dessain qui connaît parfaitement les rouages du protestantisme et qui parle à merveille l’anglais, la deuxième langue de la princesse. Le professeur Christian Koninckx qui, avec le pasteur Braekman, s’est intéressé de très près à la question, note en conclusion : « D’un point de vie protestant, on avancera qu’il ne s’agit pas d’une conversion, comme se convertissent les païens ni d’une abjuration étant donné que le baptême « suédois » est reconnu par l’Église catholique, mais uniquement d’une profession de foi. »
DEVENIR REINE
Eduard Saltoft est un peintre suédois que le prince Carl, le père d’Astrid, envoie à Bruxelles pour faire le portait de sa fille. Il nous offrira ce précieux témoignage : » Parfois, Léopold venait nous surprendre. Calme, attentif, il scrutait mon travail et il lui arrivait de me dire : « Me permettez-vous une remarque? » Il modifiait alors quelques plis de la robe ou bien c’étaient ses cheveux qu’il arrangeait un peu. » Et l’artiste d’ajouter : « Elle me parlait sans cesse de ses enfants. C’était une mère exceptionnelle ; elle restera dans mon souvenir comme un conte merveilleux. »
Astrid s’énerve un jour du ton qu’adoptent à son égard les journaux. À l’une de ses dames d’honneur, elle confie : « Si seulement les journalistes voulaient écrire que je suis d’abord une épouse et une mère également heureuses! »
En février 1934, Astrid et Léopold sont en Suisse pour s’y adonner aux plaisirs de la glisse. Le silence est d’or au milieu de ces montagnes encore bien peu fréquentées et seul le crépitement des bûches dans le feu ouvert se fait entendre. Le 17 février, Astrid a la vision d’un linceul blanc qui traverse furtivement le paysage comme une ombre qui passe, pressée. Au même moment, le roi Albert se rend vers Marche-les-Dames pour la séance d’escalade qui lui sera fatale.
Aux funérailles, Léopold suit le cercueil déposé sur un affût de canon tiré par des chevaux. Astrid et la reine Élisabeth, de noir vêtues, pénètrent par la sacristie de la collégiale pour prendre place au premier rang. Dès cet instant, Astrid devient reine des Belges. Le couple royal prend possession du château de Laeken et, non sans nostalgie, quitte celui du Stuyvenberg où sont nés Joséphine-Charlotte, qui deviendra grande-duchesse de Luxembourg, et Baudouin, Albert naissant quelque temps après la mort du souverain, le 6 juin 1934.
LA VIE QUOTIDIENNE
À Laeken, Astrid, qui n’est pas une lève-tôt, sort de son lit vers 8 heures. Son premier geste est d’embrasser ses enfants et d’assister à leur toilette. C’est elle qui choisit les vêtements qu’ils portent. C’est toujours elle qui relit les devoirs et fait réciter les leçons. Peu avant 9 heures, elle prend son petit-déjeuner avec Léopold et déguste un toast, quelques fruits et une tasse de thé. Lorsqu’elle retrouve le roi vers 13 heures pour le déjeuner, ils se racontent en menus détails leur matinée, Léopold lui faisant le portrait bienveillant des grandes personnalités qu’il a reçues en audience au palais de Bruxelles. Le souverain voue une telle confiance à son épouse, qu’il lui arrive de lui demander de recopier des documents confidentiels. Son intuition féminine est souvent d’un grand secours même si elle refuse de se mêler des affaires de l’État. Astrid a une relation très forte avec tout le personnel du palais et elle en connaît donc tous les désirs profonds, qui sont aussi le reflet de ceux de la population. Elle les confie à son mari.
Mais c’est surtout l’éducation des princes qui nourrit la conversation. Les souverains ne veulent nullement d’un précepteur privé mais bien d’une véritable classe pour créer entre les élèves une saine émulation. C’est ainsi que voit le jour au sein du château une petite école, Astrid choisissant elle-même l’institutrice de Joséphine-Charlotte, son aînée. Le rythme scolaire est parfaitement établi : le matin, histoire, arithmétique, géographie et grammaire, l’après-midi, néerlandais et plus tard anglais.
Les enfants sont en excellente santé et parfaits, ou presque, à une espièglerie près de Joséphine-Charlotte. Quant à Albert, le petit dernier, il rit déjà à gorge déployée, comme il le fera toujours.
La vie simple menée par la famille royale sera parfaitement traduite par Robert de Beauplan, un journaliste français qui versera malheureusement, plus tard, dans la collaboration avec l’occupant. « À 10 heures du matin, le maître d’hôtel venait présenter le menu à la reine. Elle l’examinait avec le plus grand soin, faisait changer un plat ou l’autre, celui qu’elle savait n’être pas du goût de son mari ou celui qu’elle jugeait contraire à l’alimentation des enfants. Une de ses distractions était de préparer elle-même le déjeuner dans une petite cabane au fond du parc. Le service à table n’avait aucun apparat. On apportait les plats sur un plateau roulant, et Astrid servait. Les époux se tutoyaient, bourgeoisement; ils s’embrassaient devant les domestiques quand ils se disaient bonjour ou bonsoir. Le soir, les enfants prenaient leur repas seuls ; mais toutes les fois qu’elle le pouvait, la reine y assistait et prenait plaisir à les voir manger. Après le dîner, on recevait quelques amis pour une partie de billard. La reine offrait de la bière aux joueurs. Vers 22 heures, le couple royal se retirait. «
UN GRAND ENGAGEMENT SOCIAL
Au-delà de cette vie quotidienne en apparence bien tranquille, l’engagement social de la reine n’est pas un vain mot. Pour s’en convaincre, il suffit de dénombrer le nombre d’institutions et d’écoles qui, de nos jours, portent encore son nom.
En 1926, c’est une jeune fille libre, éduquée, sportive et émancipée qui a débarqué dans notre pays. Or, la Belgique avait alors encore beaucoup de chemin à parcourir dans l’émancipation des femmes. Par exemple, ce n’est que deux ans plus tôt qu’une première femme y était devenue assistante d’un professeur d’université… Dans un environnement encore si machiste, Astrid ne peut pas se lancer ouvertement dans une campagne réclamant l’égalité entre les sexes. Elle s’attirerait le courroux d’une grande partie de la population.
En 1934, la princesse accorde son haut patronage à une école moderne de puériculture, qui rappelle celle qu’elle a fréquentée dans sa jeunesse. Bien que souffrante, elle assiste à la leçon inaugurale. Quelques mois plus tard, la reine visite l’oeuvre des mères pauvres où elle est reçue par sa présidente, la comtesse de Liedekerke. Le but de l’institution, basée rue Malibran, à Ixelles, est d’accueillir les accouchées dans le dénuement matériel et de les suivre ensuite à domicile en leur prodiguant des conseils et en les assistant matériellement. De même Astrid encouraget-elle la création d’une école d’apprenties couturières.
La princesse, même si elle n’ose pas s’afficher comme féministe ou suffragette, n’hésite pas à rencontrer les femmes dont le combat consiste en la défense des droits de leurs soeurs.
Astrid est encore plus sensible à la problématique de la petite enfance. Notamment dans le cadre de l’oeuvre du Grand-Air à laquelle elle apporte ouvertement son soutien. Celle-ci permet aux enfants malades d’aller chercher l’iode de l’air marin en étant hébergés dans le grand sanatorium de Bredene, qui porte son nom.
Les associations qui reçoivent son attention, et plus encore son aval, se multiplient, non seulement en Belgique, mais aussi à l’étranger, notamment lors du grand voyage qu’elle entreprend en 1932 en Extrême-Orient. On la voit aussi fréquenter à plusieurs reprises le salon de l’enfant.
LA BELGIQUE EN CRISE
Après des années de prospérité, la Belgique s’enfonce dans la crise durant l’hiver 1934-1935. Le 17 février 1935, par le biais du ministre d’État Henri Jaspar, paraît dans la presse belge un appel solennel aux dons pour venir en aide aux victimes économiques. Derrière ces lignes, on retrouve la reine Astrid : « Monsieur le Président, je vous remercie de bien vouloir contribuer par votre dévouement et votre expérience au succès de l’aide que je souhaite voir apporter aux enfants, aux adultes, aux vieillards qui souffrent plus cruellement de la crise et de la misère. De nombreuses initiatives, je le sais, se manifestent déjà à ce sujet dans toutes les classes de la société. Mais l’heure est venue de faire davantage. Ceux qui sont le moins atteints par les privations comprendront la détresse des malheureux en les voyant souffrir de froid, de faim, et souvent de maladies causées par une alimentation insuffisante. Les temps sont durs pour nous tous. Toutefois, j’en ai le ferme espoir, ceux qui en ont les moyens consentiront à faire un sacrifice. Ils soulageront ainsi bien des infortunes. Que les uns donnent de l’argent, si peu que ce soit. Que les autres donnent des objets. Vous voudrez bien examiner, Monsieur le Ministre, sous quelles formes ces dons peuvent être recueillis et répartis ensuite le plus équitablement possible en utilisant le concours bienveillant des oeuvres qui déploient tant d’activités dans ce domaine. Ce n’est pas en vain, j’en suis persuadée, qu’on fera appel à l’esprit de solidarité toujours si vivant dans notre pays. Pour ma part, je recevrai au palais Belle-Vue tout ce que la générosité et le coeur de nos compatriotes leur suggéreront d’offrir pour atténuer les souffrances devant lesquelles personne ne peut rester insensible. »
On recense 215 000 chômeurs en Belgique en 1934, une conséquence du krach boursier de Wall Street de 1929 dont les effets ne se font sentir que trois ans plus tard dans notre pays.
L’initiative prise par la reine se concrétise rapidement sous la présidence de la baronne de Woelmont. Le comité prend le nom d’Appel de la reine. Les dons affluent de toutes parts, depuis de modestes chèques d’ouvriers solidaires aux magasins et fabriques qui cèdent une partie de leurs réserves pour répondre aux demandes de produits de première nécessité. Des fêtes s’organisent pour récolter des fonds. Seule note discordante d’un autre temps, celle de ce magazine socialiste qui écrit : « Disons à ces bourgeois que nous ne voulons pas de leurs déchets, leurs restes, leurs aumônes, nous nous en passerons. » L’action est un très grand succès malgré quelques dissonances. Le comité sera dissous peu après la mort de la reine Astrid, non seulement à cause de la disparition de son instigatrice, mais aussi parce que grâce à l’Exposition universelle qui se tiendra sur le plateau du Heysel et dont on peut encore admirer les halls, le pays retrouvera une certaine prospérité économique.
LE FATAL ACCIDENT
Que se passe-t-il le vendredi 30 août 1935? La Nation belge barre sa première page d’un grand bandeau noir. Une terrible nouvelle lui est parvenue par télégramme de Berne : « Un épouvantable accident de voiture est arrivé ce 29 août à la famille royale de Belgique qui se trouve actuellement en Suisse. La famille royale se dirigeait en voiture de Kussnacht vers Lucerne, sur le bord du lac. Le chauffeur était assis au fond de la voiture que le roi conduisait lui-même. Pour une cause encore inconnue, le roi perdit la direction de la voiture, qui tomba dans le lac.. » La reine a été projetée hors de la voiture contre un arbre, un choc qui lui sera fatal. Le policier attaché à la protection du roi pendant son séjour helvétique note, avec la précision d’un horloger suisse : « Le roi a pu se dégager tout seul, ainsi que le chauffeur atteint par les éclats de verre. Le roi, à cet instant, saignait de la bouche et de la main droite. Il s’est précipité vers la reine qui gisait près de l’arbre dans la boue. Il s’est agenouillé et l’a prise dans ses bras, mais la reine, atteinte d’une fracture du crâne et d’autres blessures très graves, que les docteurs qui l’ont examinée ici ont tenues secrètes, était déjà dans le coma. Elle a ouvert les yeux deux fois et a expiré sans prononcer un mot. »
Le pays se remet à peine de la mort du roi Albert qu’il lui faut affronter un nouveau deuil. Les funérailles sont à la mesure de la popularité de la jeune reine et tous les regards se portent vers le roi qui, le bras en écharpe, suit seul le corbillard dans les rues de Bruxelles, tandis que la radio, par la voix de Théo Fleischman (journaliste qui a lancé le premier journal parlé), retransmet en direct chaque instant de la cérémonie avec cette solennité qui caractérise alors les journalistes.
Un journaliste constate : » On pare Astrid des attributs de la légende, et ils font d’elle un personnage de rêve, une reine quasi miraculeuse nimbée d’une sorte d’irréalité. »
Partout dans le monde, c’est un choc immense. La Une de tous les journaux évoque la perte cruelle qui vient à nouveau frapper la Belgique. Le Parlement brésilien suspend aussitôt sa séance en signe de deuil. En France, squares et esplanades sont aussitôt rebaptisés du prénom de la reine. À Paris, c’est la place à l’angle de l’avenue Montaigne et du cours Albert Ier qui, désormais, rappelle la quatrième reine des Belges et comme l’écrira l’historien Pascal Dayez-Burgeon : » L’ironie de l’histoire, c’est tout près de cet emplacement que la princesse Diana trouvera la mort dans un accident de voiture en août 1997. «
Astrid n’a été reine que durant dix-huit mois, elle a donné deux rois à la Belgique et une grande-duchesse à nos voisins luxembourgeois. Elle devient un mythe et son visage hantera les années d’après-guerre, quand on la comparera à Lilian Baels, la seconde épouse de Léopold III, qui ne sera jamais reine.
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