75 ans après, le douloureux souvenir de Dachau transformé en logements
Témoignage de Jean Böhme, 73 ans, qui a vécu une partie de son enfance dans l’ancien camp de concentration Dachau, qui fête les 75 ans de sa libération ce mercredi.
Il se souvient encore du numéro du baraquement où il vivait avec sa famille, 31 C. Et de celui qui abritait son école, le 33, ou encore d’un bistrot ouvert dans une ancienne tour de garde. Jean Böhme, 73 ans aujourd’hui, a passé juste après la fin de la Deuxième Guerre mondiale une partie de son enfance dans l’ancien camp de concentration de Dachau, dont c’est mercredi le 75e anniversaire de la libération.
Il s’agit d’une page méconnue mais bien réelle de l’histoire de certains camps nazis dans l’immédiate après-guerre: les sinistres baraquements ont continué à être utilisés par les forces alliées ou plus tard la nouvelle Allemagne fédérale comme casernes ou habitations, faute de logement ailleurs.
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Au début des années 1950, son père, soldat allemand basé en France durant la guerre et revenu au pays après la défaite, propose à sa mère française restée en France de venir le rejoindre et d’habiter à Dachau avec leurs deux enfants, Jean et son frère. « À son arrivée, quel choc pour ma mère! Elle a réalisé que nous allions vivre dans un ancien camp de concentration », soupire encore aujourd’hui Jean Böhme.
Allemands expulsés
Dans l’Allemagne d’après-guerre, où de nombreuses villes ont été en partie rasées, les logements manquent, surtout pour les plus démunis. L’ancien camp de concentration de Dachau, construit en 1933 et modèle pour tous les autres camps d’Europe, est mis à contribution par le gouvernement de Bavière, la région où il se situe. Ces logements de fortune accueillent alors principalement des Allemands expulsés des territoires de l’Est de l’Europe après la défaite du IIIe Reich. Mais aussi des cas particuliers comme la famille de Jean.
D’après le centre de documentation du mémorial de Dachau, environ 2.300 personnes y ont vécu entre 1948 et 1965. « Nous avons d’abord dû nous partager une pièce, puis nous avons obtenu deux pièces », raconte Jean Böhme. Les Böhme ne sortent pratiquement jamais de l’ancien camp, qui fonctionne en autarcie. « Il y avait une école, une boulangerie, une épicerie, un bar, un docteur, une tannerie pour donner du travail aux gens, une église catholique et un temple protestant. Et il y avait même un bordel! », énumère Jean. Jean et son frère détestent l’école mais passent de longues heures à jouer dans les travées avec d’autres enfants réfugiés.
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Sur une photo qu’il a précieusement gardée, on le voit enfant, timide sourire aux lèvres, un chien à ses côtés. En arrière-plan, du linge sèche sur des fils tirés entre deux bâtiments. Sur une autre, il est assis à côté d’un sapin décoré : « Sûrement mon premier Noël en Allemagne », commente-t-il.
« Pas le droit de vivre ici »
Leur mère est la seule à saisir la gravité de leur situation. « Elle répétait à mon père que nous n’avions pas le droit de vivre ici, dans un ancien camp de concentration », se souvient Jean. La famille y passa malgré tout environ trois ans. « Nous étions très heureux de partir », dit-il. Ce qui ne l’a pas empêché de vivre ensuite longtemps dans la ville de Dachau. « Dès que j’avais des visiteurs, je les emmenais voir le camp. C’était incontournable », témoigne-t-il. « Je voulais qu’ils voient ce qui s’était passé, de quoi ce pays avait été capable ». Jean pense souvent à son enfance particulière, surtout lorsqu’il lit des articles sur les réfugiés arrivés récemment en Allemagne avec « le même parcours ».
u003cstrongu003eQuand on doit vivre dans la promiscuité, que l’on a peu d’espace, il y a forcément des conflits. C’était le cas à Dachau et c’est encore le cas dans les centres de réfugiés d’aujourd’huiu003c/strongu003e
« Les baraquements ont été rasés, il ne reste plus grand chose » de son ancien logement, souligne-t-il. Les souvenirs, eux, sont restés, tout comme les traumatismes. « Ma mère ne s’en est jamais remise. Elle n’a jamais été heureuse ici. Jusqu’à sa mort, ça l’a hantée ».
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