1945 : dans la peau des captifs vert-de-gris
Libérée du joug nazi, la Belgique s’offre une main-d’oeuvre taillable et corvéable à merci : 64 000 prisonniers de guerre allemands, improvisés mineurs et parfois démineurs. Un livre dévoile leur quotidien.
« Je ne vais pas fort bien, comme au début de ma captivité, j’ai toujours faim et l’envie de me suicider est plus grande que toi. » (Fritz A. à sa femme, juin 1946). » […] Le sort d’un prisonnier de guerre en Belgique est pire que celui d’un bagnard, car celui-ci connaît au moins l’expiration de sa détention. » (Oswald D., août 1946). Fritz et Oswald ne sont plus que des ex-soldats d’une armée prisonnière, réduits à l’état de prise de guerre. Fini pour eux de se battre pour le triomphe du IIIe Reich, c’est dans une » bataille du charbon » décisive pour le redressement de la Belgique qu’ils sont mobilisés depuis novembre 1945.
Le pays libéré manque de bras pour soutenir la cadence dans les mines ? Qu’à cela ne tienne, le formidable gisement humain engendré par la défaite des armées hitlériennes n’attend que d’être exploité. La Belgique a réclamé aux Alliés une part de ce butin, elle a obtenu 64 021 prisonniers. L’immense majorité d’entre eux, 52 000, prend la direction de la mine, en Hainaut, à Liège, au Limbourg. 9 000 sont envoyés dans des fermes ou à l’usine, 1 600 affectés à des travaux forestiers. Et pour 1 250 captifs, c’est le déminage de la côte et des bois à la frontière belgo-allemande qui les attend.
Malheur aux vaincus
Cette mise au travail forcé est certes contraire au droit international mais à la guerre comme à la guerre : on ne s’émeut guère, non par désir de vengeance mais par nécessité économique. Côte à côte au fond de la fosse, prisonniers de guerre et mineurs belges en viennent à fraterniser.
Pas moins de 35 camps fleurissent, surtout en Hainaut et en pays de Liège, pour héberger cette masse captive. Celui de Ghlin-Erbisoeul verra défiler 52 000 pensionnaires de 1945 à 1948. Pierre Muller, doctorant en histoire à l’UCLouvain, et Didier Descamps, passionné d’histoire locale, reviennent sur leur quotidien méconnu. Les conditions de détention ont beau s’améliorer rapidement, derrière les barbelés, on gamberge. On souffre de l’éloignement de la famille laissée dans une Allemagne dévastée, on se désole de l’incertitude d’une libération, on s’irrite de l’hypocrisie des vainqueurs : » […] Ils pratiquent des doctrines esclavagistes modernes. En plus, ils espèrent nous convertir en démocrates, quel scandale ! Les Russes ne peuvent nous traiter plus mal, car ils aspirent au moins que nous rentrions « , s’épanche par courrier Kurt E. 3 913 détenus succomberont à la tentation de prendre le large, plus de deux mille d’entre eux réussiront leur évasion.
Sous la pression internationale, la Belgique relâche cette main-d’oeuvre taillable et corvéable à merci, entre mai 1947 et la mi-1948. Expérience plus ou moins concluante, jugent les auteurs : » La main-d’oeuvre allemande permet de redresser une production en berne, mais sa productivité est moindre par rapport à celle des mineurs belges. » Ils seront 454 à ne jamais rentrer chez eux. Comme ces 22 victimes d’une mine.
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