14-18 : un essor sans précédent de la recherche
Le centenaire de la Première Guerre mondiale ne se caractérise pas seulement par une multiplication d’événements commémoratifs : c’est aussi l’occasion d’un essor sans précédent de la recherche. Jamais aura-t-on vu autant de jeunes chercheurs qu’aujourd’hui se consacrant à l’étude du premier conflit mondial en Belgique.
Au moins 34 doctorants ont commencé ou terminé, pendant les quatre années du centenaire, une thèse de doctorat sur la Belgique en 1914-1918, dont quelques-unes sont menées depuis l’étranger. A titre de comparaison, seules 24 thèses avaient été réalisées au cours des trois décennies précédentes. Il s’agit donc d’un véritable boom académique. La plupart de ces recherches ont été financées par les communautés et, plus rarement, par le gouvernement fédéral. Si la majorité des doctorants ont reçu une bourse individuelle, un tiers fait partie de projets collectifs. La Belgique est en fait le seul pays à avoir soutenu, pendant le centenaire, des projets collectifs regroupant des doctorants et des spécialistes de la guerre 14-18 issus de différentes universités et disciplines.
Cette vague de nouvelles recherches s’inscrit dans un renouveau de plus longue durée tant national qu’international. Après 1945, l’étude de la Seconde Guerre mondiale avait largement éclipsé celle de 1914-1918, à tel point que le premier doctorat consacré à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale soutenu dans une université belge est antérieur à celui consacré à la Grande Guerre. Ce n’est qu’au début des années 1990 que les historiens se sont à nouveau penchés sur la Grande Guerre. La chute du Mur de Berlin et l’effondrement communiste avaient permis d’identifier un » court vingtième siècle » allant de 1914 à 1989, caractérisé par la » guerre totale « , dont la Grande Guerre était le point de départ. Et la guerre dans les Balkans venait rappeler aux Européens que les violences extrêmes pouvaient toujours revenir. Le sort des civils est devenu central dans cette compréhension du vingtième siècle. Or, la Belgique de 1914-1918 est apparue comme un cas particulier, ayant connu toutes les expériences de la guerre totale : celle du front, de l’occupation et de l’exil. Les historiens se sont alors pris d’un nouvel intérêt pour le cas belge.
UNE APPROCHE INTERDISCIPLINAIRE
Le centenaire marque donc un sommet dans ce renouveau scientifique. Si la plupart des recherches sont toujours en cours, on constate déjà certaines tendances. Premièrement, la recherche 14-18 est plus interdisciplinaire que jamais, en particulier dans le champ de l’histoire culturelle. Celle-ci a été au coeur du renouveau des années 1990 en développant l’étude de la mémoire et des constructions identitaires. Elle exerce aujourd’hui un grand attrait sur d’autres disciplines, notamment les psychologues sociaux, les chercheurs en littérature ou les philosophes. Ceux-ci amènent des concepts, des méthodes et des questions qui élargissent notre compréhension de la Première Guerre et de son héritage. Deuxièmement, la Belgique de 14-18 est largement étudiée sous l’angle de l’histoire sociale. Alors que ce champ a été jusqu’ici négligé en Belgique, les tensions sociales sous l’occupation et dans l’immédiat après-guerre sont désormais au coeur des préoccupations de la recherche. Troisièmement, l’histoire politique connait également de nouvelles perspectives. Alors qu’elle a longtemps été dominée par l’étude presque exclusive du nationalisme flamand, la Belgique occupée est désormais envisagée sous l’angle de sa complexité politique et des tensions quotidiennes à tous les niveaux de responsabilité, du plus local jusqu’à l’international.
Autre dimension importante de ces recherches : la volonté d’ouverture chronologique. L’histoire de la Grande Guerre est inscrite dans la longue durée : dans quelle mesure celle-ci a-t-elle eu un impact sur la société d’après-guerre ? Est-elle la véritable rupture qui va conditionner des identités et des comportements, notamment durant la Seconde Guerre ? Cet impact est également à envisager dans des aspects plus spécifiques comme le droit, la littérature ou encore le patrimoine. En 1914, la Belgique est une puissance coloniale. Comment le conflit a-t-il été vécu outre-mer et quel impact la guerre y a-t-elle eue ?
Seul le recul du temps nous permettra d’évaluer si le centenaire signifie un tournant dans la recherche à plus long terme, ou s’il s’agit au contraire d’un feu de paille. Pour éviter la perte de cet important investissement intellectuel, il faudra songer à offrir des perspectives pour poursuivre la recherche sur 14-18 au-delà du 11 novembre 2018.
Karla Vanraepenbush et Florent Verfaille
Les projets de recherche collectifs
MEMEX WW1 (Reconnaissance et ressentiment : expériences et mémoire de la Grande Guerre en Belgique) est un projet de recherche financé par la politique scientifique fédérale (Belspo), composé d’historiens, politologues, philologues et psychologues. Quatre thèses sont menées selon des axes étudiés de manière interdisciplinaire : l’expérience, la mémoire, le patrimoine et la littérature. Un livre destiné au grand public vient d’être publié, Du café liégeois au soldat inconnu. La Belgique et la Grande Guerre.
GWB ( The Great War from Below) est également un projet de recherche financé par Belspo. Il se penche sur l’impact social de la Grande Guerre sur la société belge. Quatre groupes sociaux spécifiques sont envisagés : les anciens combattants, les déportés, les résistants et les collaborateurs. Une autre recherche envisage l’incidence de la guerre sous l’angle démographique, en particulier l’impact de celle-ci sur les mariages.
» Commémorer 14-18 en Belgique « est un troisième projet collectif, financé par le FNRS en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il compte trois chercheurs étudiant l’impact de la guerre en Belgique sur l’évolution du droit international, ainsi que sur le projet colonial belge.
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