Fuse : le Jeu de Balle politique et la mélodie du surréalisme (analyse)
La réouverture du Fuse -sous conditions- n’a pas tout résolu. Loin s’en faut. La décision de Bruxelles Environnement, saluée par Ecolo, laisse cependant un goût amer dans la bouche du monde de la nuit. Récupérée politiquement, l’affaire inspire incompréhension et méfiance. « On essaye de nous enfumer », déplore Brussels By Night Federation. Contacté par Le Vif, le cabinet du Ministre bruxellois de l’Environnement Alain Maron réfute les critiques et précise que l’Arrêté Bruit date du gouvernement précédent.
Personne, mais alors personne ne veut que le Fuse déménage! », s’exclame Lorenzo Serra, co-fondateur de Brussels By Night Federation. « Et encore moins sous la contrainte, sous des conditions qu’il n’a même pas acceptées et avec un délai qui rend ce déménagement purement et simplement infaisable! », dit-il.
Le Fuse, mythique boîte de nuit bruxelloise située à côté de la Place du Jeu de Balle, avait décidé, il y a près de deux semaines, de fermer ses portes suite aux plaintes d’un voisin jugeant l’établissement trop bruyant. Une décision de Bruxelles Environnement stipulait que le niveau sonore ne pouvait excéder 95 décibels et que le club devait couper la musique à 2h du matin. Des conditions jugées irréalistes par le Fuse, qui avait alors décidé de fermer ses portes en attendant la décision d’un recours formulé auprès de l’administration bruxelloise.
L’annonce brutale de la fermeture du nightclub a suscité l’émoi dans le monde de la nuit, mais a aussi fait sursauter le monde politique. Philippe Close (PS), bourgmestre de Bruxelles en tête, déclarait la semaine passée au Vif vouloir tout faire pour que le Fuse rouvre. « C’est fondamental. Il fait partie de l’ADN de Bruxelles », plaidait-il. Le socialiste se disait alors « abasourdi » par la décision de Bruxelles Environnement, avec qui les relations sont, semble-t-il, complexes. « Bruxelles Environnement ne sait pas très bien ce qu’est Bruxelles », lançait Philippe Close.
Fuse : une réouverture qui sonne faux
La décision de l’appel est finalement tombée ce 25 janvier. Selon Bruxelles Environnement, les conditions imposées à la boîte de nuit bruxelloise ont été revues, « le Fuse ayant proposé de déménager endéans les deux ans ».
« Dans deux ans, les activités du Fuse devront scrupuleusement respecter l’arrêté bruit. D’ici là, les conditions sont imposées pour réduire les nuisances sonores et pour donner le temps au Fuse d’effectuer des travaux ou de déménager, proposition que le Fuse a faite », a précisé l’opérateur bruxellois chargé de l’amélioration de la qualité de la vie au sein de la capitale et de faciliter la transition vers une société plus écologique.
Des conditions décrites comme « très restrictives » par le club qui « craint toujours de devoir fermer car il ne sera pas possible de travailler avec les niveaux de bruits imposés », dit-il dans un communiqué. Le Fuse a cependant confirmé qu’il rouvrirait ses portes ce week-end.
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Cette réouverture est loin d’être célébrée comme une victoire. Pour le club, il s’agit désormais d’une phase test. Il devra déterminer s’il est possible d’offrir la même expérience aux clubbers en prenant en compte les nouvelles contraintes de limitation de bruit à certaines heures de la nuit.
« C’est d’une fermeture qu’il s’agit et on cherche à nous enfumer en nous faisant croire à une réouverture », s’indigne Lorenzo Serra. « Une fois de plus, Bruxelles Environnement sort une information sans en avertir le secteur concerné. »
La Brussels By Night Federation demande en outre « que tout soit fait pour sauver le tissu nightlife existant à Bruxelles, dont le Fuse à son adresse actuelle fait partie, de revoir la définition des établissements de nuit, d’envisager la piste de reconnaître certains de ceux-ci comme patrimoine culturel immatériel de la Région et comme équipement d’intérêt public, de revoir les normes sonores d’application dans ces lieux ».
Fuse: cacophonie et renvoi de la balle
Suite à cette nouvelle décision qui n’arrange personne ou presque, Philippe Close a réitéré ses inquiétudes pour l’avenir du club. « Comme bourgmestre de Bruxelles, je ne peux me satisfaire du fait qu’un haut lieu de culture disparaisse dans 2 ans. Cette salle doit vivre. Notre projet de ville passe aussi par des lieux de nuit où s’exprime une culture urbaine », a-t-il écrit, ajoutant que « même si le Fuse souhaite déménager, je ne peux me résoudre à cette décision provisoire. Sinon qui sera le prochain ? ».
Chez Ecolo, la mélodie est différente. On se félicite d’une telle décision. « Je me réjouis que le dialogue entre toutes les parties ait permis que la fête puisse reprendre. Nous allons maintenant travailler à des solutions plus structurelles », tweete Alain Maron, ministre bruxellois de l’Environnement (Ecolo).
« Que la fête reprenne ! La réouverture du Fuse est une excellente nouvelle pour le monde de la nuit bruxellois. Je suis ravie qu’une solution équilibrée ait pu être trouvée », appuie la Secrétaire d’État à la transition économique Barbara Trachte. Même refrain chez Bénédicte Linard (Ecolo), vice-Présidente du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Que la fête reprenne! Merci à Alain Maron et Barbara Trachte qui ont soutenu la recherche d’une solution ».
Des autocongratulations politico-écologiques qui sonnent faux aux oreilles du monde de la nuit. Le DJ et producteur DC Salas, résident au Fuse, fustige. « A l’heure où l’incompréhension et la colère règnent dans le secteur concerné, la classe politique se félicite de cette ‘réouverture’ d’un côté et opère, comme bien trop souvent, une récupération politique honteuse. Le tout en passant sous silence les conditions irréalistes et contraires aux accords, discussions préalables réalisés avec les parties prenantes », déplore-t-il.
La députée MR au parlement bruxellois, Aurélie Czekalski critique pour sa part « un compromis à la sauce bruxelloise… où personne n’est gagnant. »
Sur les réseaux sociaux, la colère ne désemplit pas. Certains y voient une hypocrisie politique claire. Ecolo, en particulier, est pointé du doigt.
Alain Maron réfute les critiques de récupération politique : « L’Arrêté bruit dernière version date du gouvernement précédent »
Contacté par Le Vif, le cabinet d’Alain Maron réfute catégoriquement ces accusations. « Tout cela est bien évidemment faux. Les normes ont été établies bien avant notre arrivée. L’Arrêté bruit dernière version date du gouvernement précédent, et donc de la Ministre Céline Frémault (Les Engagés, ex CDH, NDLR.) », indique le cabinet Maron. « Le Ministre se réjouit juste qu’une solution ait pu être trouvée entre toutes les parties et va maintenant travailler à des solutions plus structurelles », nous précise-t-on.
En outre, le cabinet d’Alain Maron a souhaité réagir en quatre points.
« 1. Le bruit est la 1ère cause de plaintes adressées à Bruxelles Environnement par les Bruxellois·es. C’est donc un réel problème de qualité de vie et de santé pour les Bruxellois.e.s ;
2. Les autorités publiques d’une ville/région ont le rôle difficile d’établir des normes équilibrées, tenant compte des activités qui cohabitent dans une ville, puis de les faire respecter ;
3. Le Ministre rappelle néanmoins l’importance d’une vie festive et culturelle pour Bruxelles. C’est aussi constitutif de la qualité de vie en ville ;
4. Le gouvernement bruxellois a décidé jeudi de créer un groupe de travail chargé de se pencher sur les conditions d’existence de la vie nocturne dans la capitale.
Il sera dirigé par le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort (PS) et composé par ailleurs du ministre bruxellois de l’Environnement Alain Maron (Ecolo), des secrétaires d’Etat à l’Urbanisme Pascal Smet (one.brussels-Vooruit) et à la Transition économique Barbara Trachte (Ecolo), ainsi que du bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close (PS). Ce groupe de travail dans lequel le Conseil bruxellois de la nuit sera également impliqué aura notamment à se pencher sur une solution structurelle pour le Fuse et à évaluer le cadre légal existant.
Plus que jamais, l’affaire qui touche le Fuse devient éminemment politique. Elle démontre, malgré elle, la complexité politico-administrative belge. Ainsi qu’un certain décalage entre des lois théoriques et la réalité du terrain. Mais aussi, elle ouvre un débat, plus large, sur la place que doit occuper la culture alternative dans la Capitale et le degré d’importance -et d’exception-qui doit être accordé -ou non- aux institutions musicales underground. L’harmonie ne se trouvera en tout cas pas sans nouveaux accords.
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