De Thriller à Twilight, du chaperon rouge à Reggiani: qui a peur du loup (garou) ?
En septembre dernier, le Réseau Loup confirmait la présence d’une troisième meute en Wallonie, relançant les débats entre éleveurs et protecteurs de la faune sauvage. Le point sur les liens entre loups et humains dans la pop culture, entre terreur et fascination.
En 2020, la Wallonie se dotait d’un «Plan pour une cohabitation harmonieuse avec le loup» visant à faciliter son retour dans nos contrées. Trois ans plus tard, le come-back de cet animal strictement protégé en Europe depuis 1992 semble confirmé puisqu’en septembre dernier, les experts du Réseau Loup attestaient, selon leurs indices, la présence d’une troisième meute dans les Hautes Fagnes. La Région Wallonne a tenu, «avant toute chose» à rappeler que «le loup ne constitue pas un risque pour l’être humain, qu’il craint»: «S’il s’approche des villages, c’est uniquement pour se nourrir de bétail domestique, en particulier les ovins et caprins.» Mais cette mise au point est-elle suffisante pour calmer notre ancestrale peur du loup, nourrie depuis l’enfance par d’innombrables fables, comptines et jeux?
L’animal symbolise aussi le prédateur sexuel. La métaphore est restée puissante.
Prédateur
Parmi les contes traditionnels tels que collectés par Charles Perrault et les frères Grimm, si plusieurs dépeignent un loup prédateur d’animaux (cochons, chevreaux, agneau, etc.), le plus terrifiant de tous est sans conteste Le Petit Chaperon rouge, repris dans Les Contes de ma mère l’Oye, où c’est bien une fillette, un être humain, qui se fait dévorer par le rusé canidé. Le Grand Méchant Loup engloutissant le Petit Chaperon et sa grand-mère est à ranger dans la même catégorie que les ogres et ogresses, la sorcière d’Hansel et Gretel ou encore le boucher cannibale de la légende de saint Nicolas. Ceux-ci font tous terriblement écho à ce que les psychanalystes appellent «l’angoisse de la dévoration»: «Pendant la première année de l’enfance, l’oralité est le mode privilégié de la relation au monde. Connaître les choses passe alors, avant tout, par la bouche. […] Au début, l’alimentation est purement liquide et le sein maternel est l’objet central du désir. Avec la poussée des dents, l’enfant apprend à couper, déchirer et mastiquer la nourriture. L’objet demande à être détruit pour être incorporé et assimilé. […] Mais le retournement actif-passif est une donnée commune de la logique psychique. L’enfant se dit que, s’il dévore, il peut être aussi dévoré», écrit par exemple le psychologue et psychanalyste Bernard Chouvier dans son ouvrage La Médiation thérapeutique par les contes (Dunod, 2023, 304 p.).
Dans le cas du Petit Chaperon rouge, la chair est à prendre dans toutes ses acceptions, puisque, comme on ne peut en douter face à la célèbre gravure de Gustave Doré illustrant le conte où la petite fille partage le lit du loup déguisé en Mère Grand, l’animal symbolise aussi le prédateur sexuel. La métaphore est restée puissante, comme en témoignait le célèbre cartoon de Tex Avery Red Hot Riding Hood (Le Petit Chaperon chauffé à blanc en VF), en 1943, où, dans un cabaret, le loup en smoking hurle, siffle, tape des poings et fait sortir ses yeux de leurs orbites face à un Chaperon adulte devenue pin-up et chanteuse de swing. Dans le même registre, le tube belge des années 1980 de Philippe Lafontaine Cœur de loup déroulait des paroles qui avaient déjà fait bondir certaines féministes canadiennes à l’époque, et qui semblent certainement moins innocentes 35 ans plus tard, à l’ère post- MeToo. Rappelez-vous du refrain: «Je n’ai qu’une seule envie, me laisser tenter / La victime est si belle et le crime est si gai», suivi de «Yep, elle aura beau rougir, de toute façon, il faut qu’elle m’aime».
Il vaut mieux se méfier du loup, incarnant à l’occasion l’ennemi à abattre, y compris dans les relations politiques internationales. En 1942, Tex Avery, toujours lui, avait détourné le conte des Trois Petits Cochons dans un court métrage de propagande antinazie, Blitz Wolf (Der Gross Méchant Loup), où le loup incarnait de façon manifeste Adolf Hitler et finissait en enfer grâce aux efforts des trois cochons soldats. Cette lecture du loup symbole du nazisme s’est retrouvée plus tard dans Les Loups sont entrés dans Paris de Serge Reggiani en 1967 (paroles d’Albert Vidalie), interprété par certains comme une évocation de l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale et une ode à la Résistance, même si le chanteur lui-même a contesté cette lecture.
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Loup intérieur
Mais il y a pire que le Grand Méchant Loup: il y a le loup-garou, où tout le mal que la bête incarne surgit de l’intérieur. Présent dans de nombreux mythes et légendes européens, le lycanthrope s’est trouvé une incarnation particulièrement saisissante dans le clip vidéo le plus célèbre de tous les temps, qui propulsa Michael Jackson comme premier Afro-Américain superstar de MTV et son album à la tête des charts: Thriller, en 1983. Si la postérité a tendance à ne retenir que la chorégraphie centrale et certes ultraculte des zombies, c’est par la figure du loup-garou que ce clip historique commence et se termine. John Landis, réalisateur sollicité par Jackson qui avait fortement apprécié son Loup-garou de Londres (1981), dédie une part non négligeable des treize minutes et 43 secondes du clip aux détails de la transformation du jeune Michael en monstre poilu quand apparaît la pleine lune: poussée des dents, des oreilles et des poils, déformation des mains et apparition des griffes. A la fois séducteur et effrayant, protecteur et menaçant, le chanteur promet à sa belle que «personne ne pourra te sauver de l’attaque de la bête» et qu’il est capable de la faire «frémir» (thrill, donc) «plus que n’importe quel fantôme qui oserait essayer», prolongeant là, presque sans équivoque, l’image du prédateur sexuel.
Dans l’éventail de métamorphoses célébrées depuis Ovide, le loup-garou présente une particularité: sa transformation n’est pas définitive. Là où Actéon est mué définitivement en cerf, Arachné définitivement en araignée, les deux sœurs Procné et Philomèle en rossignol et hirondelle, le loup-garou reprend de jour une apparence humaine. Plus dangereux que le loup, il peut donc profiter de sa face diurne pour approcher et amadouer ses victimes, à l’instar du doux Michael offrant une bague à sa fiancée juste avant de se transformer.
Comme dans le jeu de société d’ambiance Les Loups-garous de Thiercelieux, où chaque participant est un lycanthrope tueur potentiel, le loup-garou peut se nicher en n’importe qui. Même si certaines circonstances peuvent contribuer à faire jaillir le mal, comme le suggèrent les frères Ludovic et Zoran Boukherma dans leur film Teddy. Sorti en 2020, il met en scène Teddy Pruvost, adolescent sans parents gagnant sa vie comme masseur intérimaire dans un petit village des Pyrénées-Orientales, qui est mystérieusement griffé dans les bois par une créature non identifiée alors que des troupeaux entiers de brebis sont décimés et que la colère des habitants gronde contre le loup.
«Notre envie de faire un film de genre a précédé l’idée d’intégrer la figure du loup-garou, retracent les jumeaux cinéastes presque d’une seule voix. On savait que, formellement, on avait envie de faire un film fantastique parce que ça correspond à nos premières amours cinématographiques. Si on s’est arrêtés sur la figure du loup-garou, c’est parce qu’elle trouvait alors un écho assez fort dans l’actualité en France. C’était en 2017, après les attentats, avec ces jeunes qui avaient cette rage en eux et qui étaient passés à l’acte. On a revu Le Loup-garou de Londres de John Landis à ce moment-là et on s’est dit qu’en respectant la structure du film de loup-garou – quelqu’un qui se fait griffer, qui développe des symptômes et qui finit par commettre une attaque de masse –, il y avait une sorte de parallèle avec ces attentats, avec la radicalisation.»
Le film met en évidence l’opposition entre Teddy, déscolarisé et marginalisé, et les autres adolescents de son âge, qui passent tous les épreuves du bac, et qui finiront victimes du loup-garou. «On peut parler de complexe de classe aussi, poursuivent les réalisateurs. Teddy vient comme nous d’une classe populaire, plus modeste en tout cas que celle de sa copine Rebecca, qui est tout ce qu’il a. Quand il la perd, sa colère déclenche la tuerie. L’idée de base, c’est que l’exclusion entraîne la violence. Teddy est un personnage qui se prend des coups et qui finit malheureusement par les rendre au centuple. C’est une tragédie.»
Christianisme et colonisation
Si face à Teddy le spectateur hésite entre empathie et horreur, d’autres lycanthropes suscitent totalement la sympathie. C’est le cas notamment d’un des plus vieux loups-garous de la littérature française, bien antérieur au Remus Lupin de Harry Potter et au Teen Wolf incarné par Michael J. Fox, apparaissant dans le Lai de Bisclavret, écrit par Marie de France au XIIe siècle: un baron victime de son épouse, qui lui vole ses vêtements lui permettant de retrouver forme humaine après sa transformation. On s’apitoie sur son sort, peut-être aussi parce qu’au lieu de devenir un hybride monstrueux, ce personnage se transforme complètement en loup, avec tout ce que cet animal conserve, malgré la crainte qu’il inspire, de noblesse et de beauté. Autres exemples, bien plus récents, de ces loups-garous «gentils», positifs et attachants: Mebh, petite fille le jour et louve la nuit, dans le film d’animation Le Peuple loup (2021), troisième volet d’une trilogie consacrée par le réalisateur Tomm Moore au folklore irlandais ; et Jacob Black, de la tribu amérindienne Quileute, héros de la saga Twilight écrite par Stephenie Meyer, incarné au cinéma par Taylor Lautner (lui-même d’ascendance autochtone par sa mère).
Pour ces deux personnages, l’opposition entre humains et loups fait écho à une opposition «civilisation» versus «sauvagerie» dans un contexte de colonisation. Le Peuple loup se situe en effet au milieu du XVIIe siècle, une période où l’Angleterre cherche à «civiliser» l’Irlande. Les forêts sont abattues et les loups sont pourchassés. Quant à Jacob, dans le chapitre «Vampires civilisés versus loups-garous sauvages, race et ethnicité dans la série Twilight» de l’ouvrage collectif Bitten by Twilight (éd. Peter Lang, 2010), Natalie Wilson souligne que dans l’opposition entre les deux prétendants de Bella, Edward, le chaste vampire au teint blême, et Jacob, le loup-garou à la peau sombre se promenant la plupart du temps torse nu («dans la lignée des représentations traditionnelles des peuples colonisés», précise Natalie Wilson), «le récit fait écho aux histoires anciennes de conquête et d’impérialisme, avec à la place des cow-boys et des Native Americans peuplant les films de western, des vampires et des loups-garous se faisant concurrence pour les frontières et les femmes.»
Dans un entretien publié sur le Web au sujet du Peuple loup, l’historien Michel Pastoureau, qui a consacré au loup tout un ouvrage publié en 2018, déclarait ceci: «Les loups étaient vénérés par des cultes païens que le christianisme a voulu éradiquer. Pour lutter contre le paganisme, le christianisme a fait la guerre à ces bêtes qui étaient trop admirées et vénérées.» Mais le christianisme n’est parvenu à écraser complètement ni le loup en tant qu’animal ni le loup en tant que divinité et l’image positive du loup a traversé les siècles. Particulièrement à travers sa femelle: depuis la louve romaine allaitant Romulus et Rémus à la déesse-louve Moro du film d’Hayao Miyazaki Princesse Mononoké, qui a elle aussi recueilli une jeune humaine, en passant par Raksha, qui adopte le petit Mowgli dans Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling.
Dédramatiser
Une image plus positive du loup a pris place chez nous depuis la fin du XIXe siècle, selon Michel Pastoureau, au moment où, presque éradiqué, il ne faisait plus peur et que le vaccin mis au point par Louis Pasteur en 1885 avait tempéré la crainte de la rage. Au Croc-Blanc de Jack London, à Chaussettes dans Danse avec les loups (tant dans le roman de Michael Blake que dans l’adaptation cinématographique de Kevin Costner) ou encore aux loups de Mongolie-Intérieure du roman de Jiang Rong Le Totem du loup (adapté par Jean-Jacques Annaud), on peut également ajouter Loup, héros pour les petits créé en 2009 par Orianne Lallemand et Eléonore Thuillier et qui fait les beaux jours des éditions Auzou à travers plusieurs dizaines d’albums et sa déclinaison pour tout-petits P’tit Loup.
«Orianne voulait renverser l’image de loup méchant véhiculée par les contes traditionnels», raconte l’illustratrice Eléonore Thuillier. Elle trouvait ça amusant de prendre cette image à contre-pied et de créer un loup gentil et rigolo, aussi pour dédramatiser la peur que pouvaient en avoir les enfants. Moi, j’ai toujours aimé ce que le loup représentait, j’avais des posters de loups dans ma chambre quand j’étais adolescente. J’aimais son esthétique et le mystère qui l’entoure, et je trouvais intéressant de changer son image négative.» Depuis Le Loup qui voulait changer de couleur, album inaugural abordant à la fois les jours de la semaine et les couleurs, Loup a fait son chemin, en francophonie et à l’international, jusqu’à s’imposer, sous forme de peluche, dans le lit des enfants, qui ne craignent plus du tout de se faire croquer et se sentent même réconfortés par sa présence. «Les commentaires que nous recevons sont toujours très positifs, souligne Eléonore Thuillier. Certains parents nous disent que leur enfant n’a plus peur du loup depuis qu’il lit Loup, ou qu’ils ont appris à aimer la lecture grâce à nos livres. Ça fait plaisir.» De la dédramatisation dans les récits à la réconciliation dans la vie réelle, il n’y a peut-être qu’un pas… De loup, bien sûr.
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