Relisez notre interview de Bertrand Blier: quand le réalisateur revenait sur sa carrière en 4 temps
Bertrand Blier est décédé à l’âge de 85 ans. En 2010, nous publiions une interview du réalisateur à l’occasion de la sortie de son film Le Bruit des glaçons. Il commentait une filmographie faite de hauts, de bas et d’anticonformisme.
Malgré une pipe toujours vissée au coin des lèvres, Bertrand Blier n’a jamais eu la langue dans sa poche. Encore moins aujourd’hui qu’hier. Sereinement installé à la terrasse d’un grand hôtel parisien, ce briscard de 71 ans est persuadé de connaître (enfin !) un retour en grâce auprès du public avec Le Bruit des glaçons, face-à-face corrosif entre un homme (Jean Dujardin) et son cancer (Albert Dupontel). Enjoué, il revient sur sa carrière en quatre temps.
1. Laisse aller les Valseuses!
«J’avais travaillé sur le scénario et les dialogues de Laisse aller à c’est une valse ! de Georges Lautner. Mais quand, pour son film suivant, il me préféra Francis Veber, je l’ai vécu comme une trahison. Pris d’une fureur noire, je me suis assis devant ma vieille machine à écrire et j’ai pondu d’un trait les vingt premières pages des Valseuses, qui s’appelait alors ‘Ça sert à rien d’être sympa’. C’était les années 1970, j’avais en tête Orange mécanique et La Grande Bouffe, les films de Godard n’étaient pas loin. J’avais envie de prendre des risques, de tout casser. Indépendamment du succès du film, il s’est passé une chose qui n’arrive qu’une fois dans une vie: la rencontre avec l’alter ego. J’en avais même rencontré deux: Gérard Depardieu et Patrick Dewaere.
Après mon oscar pour Préparez vos mouchoirs [en 1979], j’ai écrit Buffet froid. En quinze jours. Alain Sarde est le seul producteur à avoir ri en le lisant. Tous les autres m’assuraient que ce projet allait me couler. A propos de noyade, j’y ai écrit une scène où mon père [Bernard Blier] doit tomber à l’eau. Or il avait une peur phobique de l’eau. Sur le coup, je n’y avais pas pensé. Mais c’est tout de même étrange, non? C’est probablement pour ce genre de choses que je ne suis jamais allé voir de psy. Mon analyse, je la fais à travers le cinéma.»
2. Quand Bertrand Blier voulait Delon
«La sortie de Beau-Père [1981] a été douloureuse, massacrée par une affiche imposée par le distributeur, dont le côté gênant a rebuté le public. Un an plus tard, Patrick [Dewaere] se suicidait. Coluche l’a remplacé dans La Femme de mon pote [1982], un film pas très bon. Alors je me suis passé une commande: tourner avec Alain Delon. Cela a donné Notre histoire [1983]. Il existe deux Delon : l’homme et l’acteur. Avec l’acteur, aucun problème. C’est une Rolls-Royce. Faut pas l’emmerder, ce n’est pas la décontraction absolue, mais il fait le job. Le film n’est pas sélectionné à Cannes, il ne marche pas fort, mais Delon est nommé aux Césars. Donné comme favori. Et lui de dire à Georges Cravenne [créateur de la cérémonie] : « Je viens si je suis sûr de l’avoir. » Cravenne lui répond qu’il lui est évidemment impossible d’assurer quoi que ce soit. Du coup, Delon n’est pas venu. Ça, c’est l’homme.»
3. Putain de succès!
«Tenue de soirée [1986] est un sujet que j’avais en tête depuis longtemps. Sur le tournage des Valseuses, je disais à Gérard, à Patrick et à Miou-Miou : « Le jour où nos affaires iront mal, on fera Rimmel – le titre initial de Tenue de soirée. » Michel Blanc a remplacé Patrick, et le film a cartonné comme je m’y attendais. L’affiche, qui annonçait en énorme « Putain de film ! », a beaucoup aidé.
Après, vu la minceur du sujet de Trop belle pour toi [1988] – un mec trompe sa femme avec sa secrétaire – j’ai été obligé d’innover dans ma façon de raconter. Du coup, ce film est un virage. Le cinéaste y prend le dessus sur l’écrivain. De toute façon, ce métier n’est pas envisageable si on le pratique comme un rentier. Il faut tirer sur le tapis, quitte à se casser la gueule. J’ai tout récrit au montage. Et cela a donné un film que j’aime beaucoup. Et puis j’avais Schubert avec moi. Il m’a bien aidé. De bons compositeurs de musique de films me proposaient des choses souvent intéressantes. Mais bon, Mozart ou Schubert, c’est quand même mieux. Pourquoi se faire chier ?
Après, il y a Merci la vie [1990]. Un film fabuleux : une liberté de création totale, un scénario mélangeant les époques, deux acteurs qui jouaient le même rôle [Michel Blanc et Jean Carmet étaient le père de Charlotte Gainsbourg]à La prise de risque financière était énorme. Je voulais voir si j’étais capable de refaire Les Valseuses. Avec deux filles [Gainsbourg et Anouk Grinberg] à la place de deux mecs. Et je me suis aperçu que non. C’était bien, mais différent.»
4. L’ère glaciaire de Bertrand Blier
«Je me doutais qu’Un, deux, trois, soleil [1992] ne marcherait pas très fort. Mais il me tient à coeur. Il y a mille raisons pour qu’un film n’attire pas le public. Les Acteurs [1999], par exemple, était très bon sur le papier. Mais, au moment de tourner, j’apprends que, pour une histoire de budget, il faut couper au moins une demi-heure. A l’arrivée, il n’est évidemment plus vraiment comme je l’avais imaginé.
Pour Le Bruit des glaçons, je suis assez confiant. C’est une idée que j’ai depuis longtemps : « Un homme reçoit la visite de son cancer ». C’est scotchant comme départ, non ? Après, il n’y a plus qu’à dérouler. Je l’ai écrit en deux mois, l’année dernière, au cours de l’été. Avec un dénouement propre à mon âge. Mes films noirs sont derrière moi. Je ne suis pas plus optimiste, mais plus serein. Du coup, Le Bruit des glaçons est âpre, mais porteur d’espoir. Peut-être est-ce vrai qu’on s’améliore en vieillissant ».
Propos recueillis par Christophe Carrière.
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