Fabrizio Cassol, Michel Hatzigeorgiou et Stéphane Galland éprouvent toujours, après trente ans, la magie de jouer ensemble. © Philippe Cornet

Aka Moon: Big band bang

Philippe Cornet Journaliste musique

Aka Moon revient avec un nouvel album vibratoire, Quality Of Joy, et trois concerts exceptionnels à l’invitation du Brussels Jazz Orchestra.

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Fabrizio Cassol s’est installé pour un mois à Cassis, en bordure de Méditerranée, à l’invitation de la fondation américaine Camargo. Le saxophoniste et compositeur d’ Aka Moon y a adopté son rythme de workaholic acharné. «L’ endroit est parfait pour travailler et proche de la nature. D’où mes horaires quotidiens, de 10 heures du matin jusqu’au cœur de la nuit.» Face à l’écran, le presque sexagénaire – il est né en 1964 – semble n’avoir rien perdu de sa large chevelure afro, ni du désir brûlant d’expliciter ses multiples intentions. Musicales ou autres. Une richesse lumineuse présente, aussi, dans le nouveau Quality of Joy (1), sept titres caoutchouteux, tournés vers le ciel. Voire le cosmos étoilé. A l’image de la stratosphérique pochette.

Je suis fasciné que le BJO ait fait appel à six arrangeurs internationaux pour travailler le répertoire d’Aka Moon.

Aka Moon a fêté ses trente ans en 2022. Comment résumer votre parcours, riche d’innombrables collaborations multiculturelles, de centaines de concerts et de plus de vingt albums?

Le trio formé avec Stéphane Galland (batterie) et Michel Hatzigeorgiou (basse) est indescriptible. Pas seulement musicalement, mais aussi dans la vie. De séjours communs dans des déserts aux repas de famille, nous avons partagé un nombre incroyable d’expériences en tous genres. Et tant qu’il restera un mystère, cette magie de jouer ensemble continuera. Notamment par le désir commun d’opérer des changements de direction. Les portes d’ Aka Moon sont toujours restées ouvertes, avec des choses qui sortent du trio et d’autres qui y rentrent. Et puis, il y a des sensations venues du «plafond», même si on ne sait pas trop ce que cela veut dire (sourire). Une vibration médiumnique traverse nos performances et nous oblige à travailler les émotions.

© National

Vous êtes le compositeur quasi exclusif d’Aka Moon. Par ego?

Pour moi, la composition est un processus vital, davantage encore que jouer du saxophone. La musique – socialement et spirituellement – est tellement importante qu’au moment de jouer, de créer, on essaie de s’effacer par rapport à elle. On laisse venir quelque chose qui nous dépasse: si on laisse aller l’ego à l’intérieur du travail, cela ne fonctionne pas. Encore moins pendant trente ans… Comme j’ai des visions, et qu’elles doivent être précises, c’est rarement pour me mettre en valeur. Ce qui serait une définition possible de l’ego négatif, contrairement à celui qui vous pousse vers le haut.

Quelles sont les intentions de votre vingt-quatrième et nouvel album, Quality Of Joy?

Il y a quatorze musiciens invités, en plus du trio, sur un disque qui parle de ce temps différent et libéré lors du confinement. J’ai retravaillé toute ma technique instrumentale et tout un système qui permet de jouer non pas l’octave divisée par douze mais par 24 ou 36. Et ainsi accéder à d’autres fréquences, d’autres espaces émotionnels.

Comment définir l’importance du live pour le trio?

C’est toujours une épreuve technique face à la qualité du son. Il faut garder la sensation physique mais aussi maîtriser l’échange entre sax, batterie et basse. Il faut correspondre à une forme d’expression du moment: on aime revisiter des morceaux, déjà sortis ou inédits, parmi les centaines du passé. De façon différente des originaux.

Qu’en est-il des trois concerts de février (2) avec le Brussels Jazz Orchestra, composé d’une quinzaine de musiciens?

J’ai été un peu surpris par l’invitation du BJO car, pendant longtemps, nous étions supposés être d’avant-garde et eux davantage mainstream. Une rencontre musicale aurait pu sembler incompatible, mais non… Nous sommes leurs invités et cela me fascine qu’ils aient fait appel à six arrangeurs internationaux pour travailler le répertoire d’Aka Moon, en plus d’une nouvelle pièce qu’ils m’ont demandée. Ce qui n’est pas évident: un big band n’est pas juste un grand ensemble, mais nécessite une science particulière, que je n’avais jamais pratiquée. On a travaillé trois jours avec les sessions rythmiques des deux formations, en explorant les morceaux, en jouant, en parlant des arrangements proposés. On a transmis ce qui nous semblait être l’essence de nos «standards». Une façon de gagner du terrain avant de répéter avec tout le BJO. Bien sûr, il y aura de l’improvisation. Je suis à la fois curieux et excité. Tout le monde a très envie…

L’improvisation est l’essence même du jazz. Un jeune musicien bruxellois récemment rencontré, le saxophoniste Ambroos De Schepper, définit le jazz comme étant moins un style qu’une notion de liberté…

Le seul lien au jazz, très ancré dans le genre, est celui de l’improvisation et de l’improvisation collective. Il faut pouvoir gérer et prendre des décisions sur tous les aspects, formel, harmonique, sonore, mélodique. Il faut prendre la matière et le potentiel émotionnel: le jazz, c’est réagir en temps réel. Maîtriser l’espace, la narration, l’architecture dramaturgique.

(1) Quality of Joy, distribué par Outhere Music.

(2) Le 16 février à Bozar, le 18 au PBA de Charleroi et le 19 à De Bijloke, à Gand.

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