Les couturières de Shein travailleraient 75 heures par semaine… © GETTY IMAGES

Shein, la marque de fast fashion, veut (enfin) jouer la transparence et devenir durable

L’entreprise chinoise Shein a conquis le marché de la mode en ligne avec des vêtements bon marché. Les critiques fustigent son manque de transparence et de durabilité. Donald Tang, son président, promet des améliorations.

Shein est sans doute l’entreprise de mode la plus controversée au monde. Elle produit quotidiennement plusieurs milliers de nouveaux modèles, propose sa fast fashion à des prix dérisoires sur Internet et expédie directement de Chine vers le monde entier. Selon ses détracteurs, le vrai coût de tout cela est supporté par les travailleurs qui assemblent près d’un million de pièces par jour, et par l’environnement.

Donald Tang (61 ans) est le président exécutif de Shein depuis près de deux ans. Né en Chine, il a déménagé aux Etats-Unis à l’adolescence. Lorsqu’il s’assoit face à nous, il porte un jeans, une veste et une chemise ornée de petits teckels. Il admet que sa tenue n’est pas appropriée pour une interview, mais il arrive tout droit de l’aéroport et ses bagages n’ont pas encore été livrés.

Shein polarise comme peu d’autres entreprises de votre secteur. Pourquoi?

Nous aimerions aussi le savoir. Notre objectif est de rendre la mode accessible à tous. Sans doute avons-nous trop peu parlé de notre business model par le passé…

Shein semble très secrète. Même la date précise de sa création n’est pas connue.

Shein existe depuis 2012. Au début, nous nous concentrions principalement sur les vêtements pour les jeunes femmes. Aujourd’hui, nous proposons également des produits pour les hommes, les enfants et les animaux domestiques.

Quand avez-vous entendu parler de Shein pour la première fois?

Au début de la pandémie. Ma femme commandait parfois chez eux. Plus tard, j’ai rencontré le fondateur et nous avons échangé quelques idées sur la mission de l’entreprise.

Ce fondateur, Xu Yangtian, cultive le mystère. Il n’apparaît jamais en public.

Je vous assure qu’il s’agit bien d’un homme de chair et de sang. Je lui parle tous les jours. C’est un visionnaire et un résolveur de problèmes. Quotidiennement, il réfléchit à comment aider nos clients à réaliser leur rêve de mode.

On dit que beaucoup d’employés de Shein n’ont jamais rencontré ou vu le fondateur. Des rumeurs se propagent d’ailleurs sur le fait qu’il ne serait plus à la tête de l’entreprise. Est-ce vrai?

Il est le fondateur et le PDG. Il vit à Singapour et il est toujours aux commandes. L’une de mes tâches, en tant que président, est d’être le visage de l’entreprise, notamment en répondant à vos questions.

En 2021, nous avons tenté de contacter Shein pour la première fois. Les e-mails sont restés sans réponse, et lorsque nous nous sommes rendus à Guangzhou, dans le sud de la Chine, un agent de sécurité posté devant les bureaux nous a prié de quitter les lieux.

C’est bien que nous nous parlions maintenant, même si cela a pris trois ans. Nous répondrons à toutes les questions à l’avenir.

«Notre taux de retour est inférieur à la moyenne de l’industrie.»

Est-il vrai que vous proposez désormais des vêtements non encore produits, histoire de tester la demande?

Non. Nous fabriquons toujours d’abord en petites quantités, par exemple 100 ou 200 nouveaux tee-shirts. Nous les mettons ensuite en ligne. Si la demande augmente, nous en fabriquons plus. Si la demande baisse, nous retirons le modèle de la collection. Auparavant, un styliste imaginait ce que les gens voudraient peut-être acheter, et le vêtement était alors confectionné en grandes quantités, stocké et mis sur le marché. Cela fonctionne pour les voitures ou les téléphones, car ce sont des produits fonctionnels. Avec les vêtements, les gens veulent pouvoir exprimer leur personnalité. C’est pourquoi nous travaillons d’une manière différente.

Combien de clients renvoient les articles achetés?

Notre taux de retour est inférieur à la moyenne de l’industrie. Et les produits retournés restent généralement dans nos entrepôts sur le continent concerné, d’où ils sont revendus.

Shein a annoncé qu’elle ouvrirait sa plateforme à d’autres entreprises. Vous appelez cela «la chaîne d’approvisionnement de service». Quelle en est l’essence?

De nombreuses marques sont très compétentes en design, mais peu dans la gestion de leur chaîne d’approvisionnement. Nous pensons pouvoir les aider en la matière. Nous nous assurons que les pièces sont produites et atteignent les clients. Ainsi, les entreprises augmentent leurs profits et évitent les déchets, ce qui est bon pour la planète.

«Nos clients portent nos produits plus longtemps et plus souvent que ceux d’autres marques.»

La mode bon marché n’est pas réputée être durable. Shein souhaite devenir neutre en carbone d’ici à 2050. Pourtant, l’année dernière, ses émissions de CO2 ont presque doublé.

Parfois, dans la vie, on n’obtient pas ce que l’on souhaite. Nous voulons continuer à croître tout en produisant davantage localement. Pour l’Europe, nous produisons en Turquie, et nous utilisons de plus en plus nos centres logistiques en Pologne et en Italie.

Cela ne suffira pas à tenir vos engagements climatiques, surtout si Shein continue de croître…

Je suis aussi préoccupé par ce sujet que vous et le reste du monde. Je suis convaincu que nous trouverons une solution avec le temps, grâce à nos efforts de localisation. En France, nous encourageons déjà les consommateurs à revendre des vêtements au lieu de les jeter grâce à une plateforme de seconde main. Selon une enquête, nos clients portent désormais nos produits plus longtemps et plus souvent que ceux d’autres marques.

Donald Tang est convaincu que Shein trouvera, avec le temps, une solution à ses émissions de CO2.

Votre dernier rapport de durabilité mentionne qu’une «majorité» des clients interrogés portent leurs vêtements Shein plus de dix fois. Cela semble donc indiquer que près de la moitié les portent moins de dix fois. Beaucoup de ces vêtements finiront probablement à la poubelle.

Nous ne voulons pas que les gens consomment trop. Nous voulons que nos clients aiment ce qu’ils achètent. C’est notre mission de nous assurer qu’ils n’achètent pas un modèle qu’ils ne voudront plus porter demain.

Mais c’est précisément pour cela que les gens font leurs achats chez Shein. Pour des occasions uniques et pour suivre les tendances.

Nous souhaitons continuer à développer notre business model afin que nos clients puissent vraiment acheter ce qu’ils désirent.

«C’est exact, nous n’avons pas de revenus en Chine.»

Vous produisez en Chine, mais vous n’y vendez pas. Pourquoi?

C’est exact, nous n’avons pas de revenus en Chine. La République populaire est un marché très compétitif. Nous voulions d’abord nous faire une place hors de Chine.

Pourtant, vous dépendez de la Chine. Il se dit que vous avez besoin du feu vert de Pékin avant de pouvoir entrer en Bourse. Pourquoi?

Je ne fais pas de déclarations concernant l’entrée en Bourse. Une règle générale est qu’à partir du moment où l’on a un certain nombre d’employés et où l’on est opérationnel en Chine, il faut suivre certains processus. Notre principe est de respecter la loi dans chaque région où nous sommes actifs.

Les couturières de Shein dans le sud de la Chine disent souvent travailler douze heures par jour et 27 jours par mois. Cela représente plus de 75 heures par semaine. C’est bien plus que ce qui est légalement autorisé en Chine.

Nous faisons tout ce que nous pouvons pour éviter que cela se produise. Nous avons réalisé des progrès significatifs. L’an dernier, des auditeurs indépendants et internationalement accrédités ont contrôlé de manière inopinée un grand nombre de nos fournisseurs. Ils représentent plus de 95% de notre valeur de production nette.

Parmi eux, un sur cinq a reçu l’une des deux évaluations les plus basses lors de ces audits. C’est ce qui est noté dans votre rapport de durabilité. Rencontrez-vous un problème dans votre chaîne d’approvisionnement?

Je le reconnais, et nous devons en faire plus à ce sujet. Depuis septembre 2023, nous avons renforcé nos normes. Nous mettons fin immédiatement à la relation commerciale avec les fournisseurs qui violent nos règles de tolérance zéro. Notre fondateur et moi avons décidé que notre rémunération serait liée à l’atteinte de nos objectifs ESG (NDLR: les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance): 30% de notre rémunération à court et long terme dépendra de l’atteinte de ces objectifs.

Ces objectifs seront-ils clairement définis?

Oui, nous serons très transparents à ce sujet. Nous sommes également ouverts aux suggestions sur ce que nous devrions inclure dans ces objectifs.

La cliente type de Shein? Une jeune fille qui souhaite toujours suivre les tendances. © GETTY IMAGES

Vous avez fait des recherches pour connaître l’origine de votre coton. Apparemment, du travail forcé aurait cours lors de la récolte du coton dans la région occidentale chinoise du Xinjiang. Ce coton est souvent mélangé quelque part dans la chaîne d’approvisionnement, ce qui est difficile à prouver. Chez Shein, seulement 1,7 % du coton proviendrait du Xinjiang, ce qui est moins que chez d’autres producteurs.

C’est exact. Nous importons notre coton des Etats-Unis, d’Australie, du Brésil et d’Inde.

Est-ce un choix délibéré? Le coton du Xinjiang ne peut pas être importé aux Etats-Unis. La Chine, en revanche, nie l’existence du travail forcé et considère même l’utilisation du coton du Xinjiang comme patriotique.

Différents pays ont différentes lois, et parfois ces lois sont contradictoires.

Actuellement, vous faites du lobbying à Bruxelles et à Washington pour influencer la législation. La Commission européenne et le gouvernement américain envisagent d’abolir le seuil de franchise fiscale pour les envois issus de l’étranger. Les commandes chez Shein seraient alors taxées. Jusqu’à présent, il n’y a pas de taxes dans l’UE pour les commandes de moins de 150 euros. Souhaitez-vous que tout reste en l’état?

Pour moi, il est important de savoir ce qui préoccupe les gens. D’après ce que je comprends, la question principale est de savoir si les conditions de concurrence sont équitables. Deuxièmement, la chaîne d’approvisionnement est-elle transparente? Et la troisième question est «quelles seraient les conséquences d’une telle mesure?».

Les prix augmenteront-ils si le seuil de franchise fiscale est supprimé?

Je ne sais pas. Le passé nous enseigne que cela pourrait influencer les prix. Mais le plus important est que nous ayons une chaîne d’approvisionnement transparente.

Concernant la transparence de votre chaîne d’approvisionnement, justement, Shein a obtenu la note de 0 sur 100 points possibles dans l’Index de transparence de la mode mondiale de 2023, établi par l’ONG Fashion Revolution.

J’aimerais examiner ces données avec vous et comprendre quels paramètres ils utilisent.

Dans une interview avec le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung en juillet dernier, vous avez déjà fait une réponse similaire. N’avez-vous toujours pas vérifié les données?

C’est la première fois que j’entends cela. Mais si j’ai promis quelque chose à l’époque et que je ne l’ai pas respecté, je rectifierai le tir.

© Der Spiegel

Donald Tang

1963
Naissance, à Shanghai.
1982
Emigre aux Etats-Unis.
1986
Diplômé en génie chimique de l’université polytechnique de Californie.
1993
Président et PDG de la banque d’investissement Bear Stearns Asia.
2003
Président de la holding Bear Stearns. Jouera un rôle clé dans l’introduction des acteurs médiatiques chinois dans l’industrie cinématographique américaine.
2021
Rejoint officiellement Shein.
Août 2023
Devient président exécutif de Shein.

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