Yves Coppieters: « Les vaccins actuels ne permettent pas d’envisager une obligation »
L’épidémiologiste Yves Coppieters (ULB) se dit contre l’obligation vaccinale pour la population. « Lorsqu’un vaccin est obligatoire, il faut que son innocuité soit nulle », explique l’expert, qui n’est pas convaincu par certaines méthodes proposées actuellement. A la veille d’un Codeco qui marquera le retour de restrictions, il plaide pour une meilleure application des gestes « simples mais efficaces » et s’oppose fermement à la refermeture de secteurs. « Il ne faut vraiment pas revenir dans nos angoisses antérieures », dit-il. Entretien.
Le Comité de concertation marquera le retour de certaines restrictions. On parle de CST+, de masque obligatoire pour les enfants et retour du télétravail obligatoire. Ces mesures sont-elles justifiées, selon vous?
Trouver les moyens pour limiter les contacts sociaux et stabiliser les contaminations, c’est justifié. Par contre, je suis moins convaincu par certaines méthodes proposées. Un retour au télétravail pendant un mois est important. Car diminuer la mobilité des personnes est une mesure efficace. On ne doit pas aller jusqu’à la restriction des déplacements ou la fermeture des frontières, mais limiter les déplacements professionnels a tout son sens. L’élargissement du port du masque à l’intérieur est également sensé.
Sur quels points êtes-vous plus sceptique?
Je suis davantage dubitatif concernant la question du port du masque pour les enfants à l’école. Le principe sanitaire est compréhensible, mais il faut penser aux conséquences pédagogiques et aux troubles d’apprentissage que cela pourrait engendrer. Pour les enfants, il est très compliqué de porter un masque pendant de longues heures. On imposerait aux enfants des choses qui ne vont pas fondamentalement changer le cours de l’épidémie.
Vous plaidez pour des mesures différentes?
Il faut réappliquer les gestes barrières le plus possible. Les habitudes se perdent. Comme la désinfection des mains. Quand on regarde les distributeurs de gel hydroalcoolique, ils sont de moins en moins utilisés. Il y a quelques mois, on désinfectait tous son caddie avant d’entrer dans un magasin, par exemple. Ce n’est plus beaucoup le cas. Il faut donc retourner vers ces gestes simples mais très efficaces sur un plan individuel. La question de la ventilation des espaces intérieurs est aussi une vraie solution : mettre des capteurs CO2, renouveler l’air, etc. Les avancées sur ce point sont très faibles dans le domaine public, un peu meilleures dans le privé.
Une possible refermeture du monde de la nuit est évoquée çà et là. Elle est même demandée par le Gems. Est-ce qu’on doit en arriver là, selon vous?
Non, sûrement pas. Il ne faut vraiment pas revenir dans nos angoisses antérieures, avec des refermetures de secteurs. Par contre, on peut accentuer le contrôle dans certains de ces secteurs. Dans le monde de la nuit, il y a de vraies promiscuités. Les contaminations sont très faciles, à la fois chez les vaccinés et les non-vaccinés. On pourrait donc ajouter une stratégie complémentaire, comme les tests antigéniques rapides avant d’aller en boite de nuit ou dans des lieux à fort risque de contamination. Je ne parle pas ici des restaurants, par exemple.
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Yves Coppieters
Le Gems recommande à ce propos de rendre le pass sanitaire uniquement valable pour les personnes vaccinées ou pour celles qui ont contracté le virus récemment, avec, en plus, un test à l’entrée. Une bonne solution?
Sur ce point, les experts du GEMs ont raison. Evidemment, je ne suis pas favorable à ce système pour tous les lieux où l’on demande le CST, comme le cinéma, les cafés ou restaurants. Mais concernant les lieux où la foule en intérieur est importante, dans les milieux festifs,… à ce stade-ci, oui, c’est intéressant. Certaines boites de nuit proposent déjà des tests rapides sur place, ça me semble donc réalisable.
La solution « autrichienne », qui confine tous les non-vaccinés, pourrait-elle être pertinente en Belgique?
Non, pas du tout. De façon générale, tout dépend de l’objectif. Si, comme en Autriche, le but est d’augmenter la couverture vaccinale, alors oui, la mesure est forcément efficace. Sauf qu’en Autriche, cette couverture est nettement plus faible que chez nous. Si l’objectif est de diminuer les contaminations dans la population, l’Autriche se trompe. Car les vaccinés tout comme les non-vaccinés font circuler le virus. Si on veut protéger -dans un objectif plus humaniste- les non-vaccinés des formes graves, c’est à nouveau une erreur. Parce que parmi les non-vaccinés, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas à risque de faire des formes graves. Donc, non, je ne suis pas en faveur de cette mesure car je ne vois pas à quel objectif de santé publique elle peut correspondre, si ce n’est l’obligation vaccinale cachée.
Comment justifier au citoyen belge vacciné que l’on va, dès demain, lui refermer des petites vannes de liberté? N’y-a-t-il pas là un risque de perte de confiance?
Le discours politique a été trop centré sur la vaccination. Bien sûr, la vaccination reste l’arme principale. Mais elle n’est pas suffisante. Il faut que le discours s’élargisse aux autres méthodes, en expliquant honnêtement les limites actuelles de ces vaccins de première génération. Avec les vaccins actuels, l’efficacité sur les contaminations est limitée. Sur les formes graves, elle reste bonne malgré le variant Delta. Mais très clairement, l’efficacité du vaccin sur la transmission du virus est moins bonne qu’espérée.
Il faut que le discours s’u0026#xE9;largisse aux autres mu0026#xE9;thodes, en expliquant honnu0026#xEA;tement les limites actuelles de ces vaccins de premiu0026#xE8;re gu0026#xE9;nu0026#xE9;ration.
Yves Coppieters
A-t-on trop présenté le vaccin actuel comme la solution parfaite?
Personne ne s’est trompé. Mais le variant Delta n’était pas prévu au moment d’élaborer ce vaccin. Les connaissances scientifiques sur le virus évoluent également au fil du temps. Au regard de ces éléments, on espère avoir un vaccin de deuxième génération qui pourra aussi avoir une efficacité sur les transmissions.
L’obligation vaccinale arrive de plus en plus dans le champ lexical des politiques. Certains affirment qu’il est temps d’entamer le débat parlementaire sur la question. Pensez-vous que rendre le vaccin obligatoire est une solution adéquate? Dans quelle mesure y voyez-vous un problème éthique?
Non, ce n’est pas une bonne solution. D’abord, il faut savoir de quel type d’obligation on parle. Sectorielle, de métiers, de tranches d’âge, de population à risque, de la population en général ? Une obligation vaccinale chez les plus de 80 ans ou les personnes à risque, a priori, ça ne me dérange pas, étant donné qu’on propose un vaccin actuel qui est très efficace sur les formes graves.
L’obligation vaccinale chez le personnel soignant? On va du0026#xE9;structurer le systu0026#xE8;me de soins de santu0026#xE9;. C’est une erreur d’un point de vue pratique.
Yves Coppieters
Chez le personnel soignant de première ligne, ça ne me choque pas sur un plan scientifique et éthique, mais je ne pense pas qu’on y arrivera. Car au final, on va juste déstructurer le système. Les 10 ou 15% d’aides-soignants non vaccinés sont convaincus de leur choix. Et ce n’est pas une obligation vaccinale qui leur fera changer d’avis. Cela va juste les motiver à quitter le système de soins de santé, qui souffre déjà de carences de personnel. L’obligation vaccinale va encore diminuer les forces disponibles. Je pense que c’est une erreur d’un point de vue pratique.
Et concernant la population générale?
Je ne suis pas du tout pour. Car le vaccin actuel n’est pas assez efficace sur les transmissions. Pour l’envisager, il faudrait un vaccin de deuxième ou troisième génération qui est vraiment efficace contre toutes les souches circulantes, qui protège des formes graves mais aussi des contaminations. Et surtout, il faudrait un vaccin pour lequel l’innocuité est faible. C’est-à-dire dont on est sûr que les effets secondaires sont très faibles et tout à fait maîtrisables. Pour l’instant, il y a des effets secondaires, certes rares, mais il y en a. Jusqu’où peut-on se permettre des effets secondaires de médicaments ou de vaccins…? Il s’agit aussi d’une question éthique. Car dans une société riche, on peut stimuler les firmes pour la recherche, et trouver rapidement quelque chose qui n’entraîne plus ces effets secondaires.
Avant de penser u0026#xE0; une obligation, il faut attendre ce vaccin dont l’efficacitu0026#xE9; est excellente mais aussi dont l’innocuitu0026#xE9; est bien documentu0026#xE9;e et tru0026#xE8;s faible.
Yves Coppieters
C’est d’ailleurs ce qui a été fait pour le vaccin contre la polio. Lorsqu’un vaccin est obligatoire, il faut que son innocuité soit nulle. Pour le Covid-19, c’est la même chose. Il faut attendre ce vaccin dont l’efficacité est excellente mais aussi dont l’innocuité est bien documentée et très faible. Dans ce cas, il y aurait un argument vis-à-vis de la population. On pourrait dire « On a le ‘super outil’ qui va vous protéger et nous permettre de sortir de cette crise. » Dans ce cas, alors, on pourrait envisager l’obligation.
Dès avril, le personnel soignant non-vacciné sera mis au chômage. Qu’en pensez-vous?
C’est dramatique. Sur un plan social, mais aussi pour le système de soins de santé qui aura moins de ressources humaines. Ce qu’on risque aussi, c’est d’augmenter les inégalités sociales. Parce qu’en plus de la précarité de santé avec la non-vaccination, s’ajoute la précarité économico-sociale. Je pense donc que c’est dramatique au niveau sociétal.
Selon vous, jusqu’où peut-on placer le curseur pour garder un équilibre entre mesures sanitaires et respect des libertés? Est-ce que, durant cette crise, on a déjà dépassé certaines limites?
Je pense qu’on a déjà dépassé la limite avec certaines stratégies. Avec le CST, c’est là où on a le plus dépassé cette limite, fondamentalement. On la redépasserait si on établissait des mesures particulières pour les non-vaccinés. Et de façon générale, elle serait franchie pour toutes les mesures qui ne sont pas proportionnelles à la situation épidémiologique. J’espère que la Belgique ne va pas suivre les mauvais exemples européens que sont l’Autriche, voire parfois la France.
Avec le CST, on a du0026#xE9;passu0026#xE9; cette limite entre mesures sanitaires et respect des libertu0026#xE9;s.
En observant ces disparités dans les mesures prises par chaque pays européen, ne trouvez-vous pas -sur un plan épidémiologique mais aussi politique – que l’Europe y gagnerait à davantage coordonner ses mesures sanitaires?
L’Europe a joué un rôle par rapport au vaccin, mais elle n’a pas à jouer de rôle vis-vis des politiques sanitaires nationales. Les politiques nationales restent souveraines. Ce n’est pas tellement la politique européenne qui manque, mais des instructions d’organismes scientifiques européens reconnus. Je trouve, par exemple, que l’ECDC est un organisme sous-utilisé en Europe.
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