« Woke », un terme flou utilisé pour dévaloriser
Le « wokisme » est « un nouvel obscurantisme »: le ministre de l’Éducation français Jean-Michel Blanquer comparait, en octobre dernier, le wokisme à du « totalitarisme ». Mais qu’est-ce qu’être « woke » ou « wokiste »? Ce terme, dont la signification originelle était plutôt émancipatrice, est devenu « flou » et est utilisé pour « dévaloriser », explique Laurence Rosier, linguiste et conseillère pour la politique de genre de la rectrice de l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
Le terme « woke », au sens de « j’ai pris conscience de la place que j’occupe dans la société et des discriminations que je subis », est apparu dans les années 1960 aux États-Unis dans le mouvement de lutte pour les droits des personnes afro-américaines, rappelle Mme Rosier. « C’est un terme à la base émancipateur, mais qui a été dévoyé de deux manières« , expose-t-elle.
D’une part, « woke » a perdu de sa force – comme à chaque fois qu’un « mot est beaucoup utilisé », souligne la linguiste -, et « en est venu à désigner un engagement superficiel ». D’autre part, le dérivé « wokisme » a été créé et est « surtout utilisé par celles et ceux qui veulent le combattre. C’est un terme assez flou », utilisé « pour s’attaquer aux personnes qui s’attaquent aux discriminations sur base du genre, du sexe, au mouvement décolonialiste… », poursuit Laurence Rosier.
« Cela touche aussi les universitaires, pour faire une différence entre ce qui serait scientifique – donc objectif et valide – et une espèce de militantisme outrancier, comme si la science n’était pas toujours située et que le militantisme était un gros mot. » Les termes « woke » et « wokisme » sont utilisés « comme une assignation pour dévaloriser des travaux de chercheurs et de chercheuses. Donc c’est un terme que je ne vais pas utiliser: je vais me dire féministe mais pas wokiste car c’est un terme trop flou, utilisé pour me dévaloriser », explique la conseillère de la rectrice de l’ULB pour la politique de genre.
Ce terme plutôt émancipateur et positif a été rendu négatif, alors que bien souvent c’est l’inverse qui se produit: les militantes détournent le sens de mots à la base utilisés comme une insulte – queer, gouine, sorcière par exemple – pour se les réapproprier, relève encore la linguiste.
L’utilisation du terme « wokisme » entre dans le cadre d’une « sorte de culture de la panique, en associant le militantisme, la lutte contre les discriminations, à des mouvements puritains », poursuit Laurence Rosier. « Cela peut être dangereux. On est dans une culture de la peur, comme si on allait éradiquer l’Histoire en enlevant des statues, alors que les archives, les documents restent pour témoigner des atrocités que certains ont fait. Cette culture de la panique est utilisée pour bloquer des combats émancipateurs », conclut-elle.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici