Claude Demelenne
« Willy Borsus diabolise la FGTB: le retour de la haine de classe »
Pour Willy Borsus (MR), la FGTB est » l’ennemie de la Wallonie « . Le ministre-président wallon diabolise les représentants des travailleurs. Syndicat bouc émissaire ?
Ce 13 avril, dans les colonnes du « Soir », le « Premier ministre » wallon, Willy Borsus, est carrément sorti de son rôle en désignant la FGTB comme « l’ennemie de la Wallonie ». Le propos est d’une rare dureté. Willy Borsus aurait pu évoquer un « adversaire », venant d’un élu de la droite libérale, cela n’aurait guère surpris. Il a ciblé une « ennemie ». Avec un adversaire, on noue des alliances, on élabore des compromis. Avec un ennemi, on cherche la bagarre, on ne se concerte pas, on s’affronte, sans conciliation possible.
Haine de classe
Les déclarations de Willy Borsus méritent d’être citées plus amplement, tant elles sont polémiques, sinon violentes : « Je m’oppose à une attitude rétrograde comme celle de la FGTB qui raisonne exclusivement en termes de droits acquis… La FGTB a souvent été l’ennemie de la Wallonie. Ce syndicat a conquis au fil du temps une position de pouvoir très importante… Dans le passé, certains au gouvernement ont été soumis aux diktats de cette organisation. C’est une des causes de la situation actuelle de notre Région. Et je ne suis pas rassuré de voir que l’influence du syndicat va jusqu’à se trouver sur les listes électorales du PS, avec Monsieur Gomez ou Monsieur Goblet ».
On attend d’un ministre-président, même en période électorale, qu’il prenne un peu de hauteur, qu’il se soucie de jeter des ponts entre ses administrés. Or que fait Willy Borsus ? Il attise une haine de classe qui ne dit pas son nom. Il donne l’image d’un pouvoir qui ne supporte plus l’existence d’un contre-pouvoir. Contrairement aux propos simplistes de Willy Borsus, la FGTB n’occupe évidemment pas « une position de pouvoir très importante ». Comme les autres organisations syndicales, elle tente de résister, le dos au mur, aux thèses néolibérales aujourd’hui dominantes quasiment partout en Europe. Les syndicats sont des contre-pouvoirs indispensables dans une démocratie. Ces contre-pouvoirs sont de moins en moins tolérés par certains gouvernants qui tendent à les diaboliser.
Droits « conquis » et pas « droits acquis »
On attend d’un ministre-président qu’il ait un minimum de connaissance de l’histoire sociale et politique de sa région. Willy Borsus fait mine de se scandaliser de « l’influence du syndicat » sur le PS, parti présentant sur ses listes plusieurs « figures » du syndicat. Cette alliance entre le PS et le syndicat remonte à l’époque du Parti Ouvrier Belge (POB). Sans pression de la base, les socialistes ne réussissent pas à « changer la vie ». Toutes les grandes conquêtes ouvrières – suffrage universel, congés payés, journée des huit heures, salaire minimum garanti… – ont été arrachées en Belgique à l’issue d’importants mouvements de grève orchestrés sur le terrain par les syndicats et le POB. Les liens ont toujours été étroits entre la FGTB et le PS, au sein de l’Action commune. Même si le parti et le syndicat sont des entités indépendantes – et aux positions pas toujours totalement convergentes – le « téléphone rouge » fonctionne en permanence entre l’un et l’autre. Et pour cause : sans alliance entre les gauche politique et syndicale, pas de réformes sociales.
Contre l’arrogance des dominants, le bouclier syndical reste plus que jamais indispensable.
La FGTB, selon Willy Borsus, « raisonne exclusivement en termes de droits acquis ». La ritournelle sur les « droits acquis » est non pertinente. Les syndicalistes seraient-ils assez benêts que pour applaudir l’amputation de leurs droits ? Ils ne le sont évidemment pas. Ils n’oublient pas que ces fameux droits ont été conquis de haute lutte, souvent suite à des actions dures, voire violentes.
Syndicat bouc émissaire
La Wallonie se porte mal, c’est la faute à la FGTB. Il pleut, c’est la faute aux syndicalistes. C’est une vieille rengaine, un slogan cher à beaucoup de libéraux. Willy Borsus fait semblant d’ignorer l’évidence : la FGTB, comme d’ailleurs les autres syndicats, est globalement sur la défensive. Sa priorité du moment : éviter le détricotage des conquêtes sociales, l’index, la sécurité sociale, les soins de santé… Le rapport de forces actuel n’est guère favorable aux syndicalistes, caricaturés comme des extrémistes rouges le couteau entre les dents. Une caricature qui ne colle pas à la réalité d’un syndicalisme tout sauf radical, absolument pas révolutionnaire, mais au contraire guidé par une démarche réformiste.
La désignation de boucs-émissaires est une vilaine habitude d’une partie de la droite, pas vraiment la plus éclairée. Jusqu’à un passé récent, Willy Borsus semblait appartenir à une droite modérée, ne mettant pas ses convictions en poche, mais évitant la démagogie caractérisant certains « bouffeurs de syndicalistes ». Ses récents propos sur la FGTB illustrent la radicalisation d’un parti vivant dans la hantise d’une claque électorale d’envergure.
L’arrogance des dominants
Le dérapage – comment l’appeler autrement ? – de Willy Borsus, est tout sauf une maladresse. Le MR craint une percée des « listes Destexhe », qui séduiront une fraction peut-être non négligeable de l’électorat libéral. Alors, il panique. Jusqu’à l’incohérence : les principaux leaders du MR affichent leur mépris pour les « listes Destexhe » mais copient leur discours, notamment anti-syndical.
N’en déplaise à Willy Borsus, notre société de plus en plus inégalitaire et impitoyable avec les faibles, a besoin de davantage de contre-pouvoirs. Davantage de syndicalistes, impertinents et irrévérencieux envers tous les pouvoirs. Contre l’arrogance des dominants, le bouclier syndical reste plus que jamais indispensable.
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