Nicolas Baygert
Wallonie : l’oxymore comme avenir
En terme d’oxymore politique, après la « guerre propre », il y eut donc le « nationalisme d’ouverture » ; un concept sur mesure confectionné par Rudy Demotte pour la Wallonie. Un nationalisme (positif) au préalable bisounoursisé, en version light, épargnant l’ivresse des peuples telle une bière sans alcool : un nationalisme Zéro.
Sur cette stratégie d’enfumage visant à travestir la réalité sémantique et s’attaquer à l’univers mental du citoyen, on renverra le lecteur vers l’ouvrage de Bertrand Méheust : La Politique de l’oxymore (1), ou vers Philippe Muray, qui signalait que l’oxymore, loin d’être une faiblesse, constitue en politique un puissant outil pour nier le réel : « Ainsi se réalise, mais sous une forme sinistrement cocasse, une sorte de dépassement de la dialectique […] un franchissement décisif, quoique carnavalesque, des anciennes nécessités historiques » (2).
Or, la sortie du double-casquetté ministre-président lève une nouvelle fois le voile sur l’état schizophrénique du « nous francophone » – une dualité institutionnelle incarnée par sa propre personne. Entre Wallonie (Région) et Fédération-Wallonie-Bruxelles (Communauté), l’obtuse entreprise de branding identitaire symbolisée par la récente valse des logos, tangue mais ne tranche (toujours) pas. « Jusqu’ici, c’était Rudy le communautariste, il n’avait que le mot « francophone » à la bouche », commenta José Happart (PS), se sentant tout à coup moins seul : « Si on se dit nationaliste dans le sens où l’on souhaite présider à son propre destin, gagner son droit à l’autodétermination, je trouve cela positif. J’ai toujours été un autonomiste et ce discours me plaît. » Jean-Claude Marcourt (PS) préféra quant à lui euphémiser les propos de son ministre-président : « patriotisme Wallon » et « fierté » plutôt que « nationalisme ». Bientôt une Walloon Pride ? Et Bruxelles ?
« Faute politique » selon Denis Ducarme (MR), mais surtout erreur de timing et méconnaissance du récit médiatique des dernières semaines. En juillet, le pays connut sa quinzaine royale. Une hystérie (collective) monarchiste en boucle. Encensé par le roi démissionnaire, Elio Di Rupo vécut l’événement en vice-roi, se fondant tout entier dans le folklore monarchique.
En parallèle, la Belgique connut son été des sports : les Diables Rouges tous Kompanysés, la fratrie Borlée, les Red Panthers chantant La Brabançonne a capella en version bilingue. L’ultra-consensuel plébiscite autour du dernier album de Stromae – maelstrom de néo-belgitude à lui tout seul – et la déformolisation du Grand Jojo (Mondial au Brésil oblige) vinrent conclure le roman de plage d’une Belgian Pride retrouvée.
Et tandis que les Belges s’enthousiasment pour Tom Boon, l’attaquant-vedette des Red Lions, à l’instar d’une Ségolène Royal, les responsables politiques francophones brillent par l’incohérence de leur Désirs d’Avenir (au pluriel). Comment expliquer ce complet décalage ?
Contrairement au Premier Di Rupo, aucun parti francophone ne semble vouloir capitaliser sur la marque « Belgium ». Pis, Rudy Demotte, en Garibaldi du Tournaisis, semble singer les procédés de poétisation sous-nationale des autonomistes flamands. La priorité donnée au « nation-building » wallon traduit en effet une Deweverisation des esprits au stade avancé. Soft-nationalisme ou nationalisme « sympa », cette hasardeuse sortie prouve ainsi que Bart De Wever, quasi-absent des médias cet été, continue de hanter nos dirigeants en mal d’avenir.
(1) La Politique de l’Oxymore, par Bertrand Méheust, La Découverte, 2009.
(2) Après l’Histoire, par Philippe Murray, Gallimard, 2000.
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