A court et moyen terme les voyageurs devraient voyager moins loin, avant de revenir en 2021 aux comportements habituels? © MALTE MUELLER/GETTY IMAGES

Voyager autrement… avant de mieux repartir comme avant?

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Il y a ceux qui ne partent pas, ceux qui partent près, ceux qui partiront dès que possible. Le coronavirus a chamboulé les projets de vacances des Belges. Proximité, nature, location, voiture : les tendances pour cet été. Avant un retour à la normale, comme si rien ne s’était passé ? Probablement. Mais certains changements antérieurs pourraient avoir bénéficié d’un coup d’accélérateur.

Les canaux de Venise étaient redevenus limpides. Les calaos, les lamantins et les tortues luth s’étaient réapproprié les plages thaïlandaises, qui n’avaient jamais été aussi propres. Pendant ce temps-là, un loup vagabondait sur les pistes désertes de Courchevel, des dauphins vaquaient autour d’un port en Sardaigne et les Parisiens entendaient même les oiseaux chanter. Dingue !

C’était cool, les animaux, vous avez bien profité ? Parce que c’est terminé. Les touristes vont à nouveau rappliquer. En Europe, cette drôle d’espèce a recommencé à voler, depuis le 15 juin. Pas sur tous les territoires : certains pays continuent à garder leurs frontières closes. Les migrations longue distance restent interdites au-delà des frontières européennes, jusqu’à nouvel ordre.

Ils reviennent, donc, mais pas aussi nombreux. C’est qu’ils ont peur d’une petite bête qui, ces trois derniers mois, a réussi à manger un gros morceau – leur vie. L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) table sur une chute de 60 à 80 % du tourisme international en 2020. Depuis 1950, aucune guerre, attentat, épidémie ou récession économique n’avait engendré pareille désertion. La crise économique de 2008, suivie de la grippe H1N1 en 2009, n’avaient fait chuter le secteur  » que  » de 4,2 %.

Wallonie-les-bains

Ils réapparaissent, donc, mais pas là où ils en avaient l’habitude. Il y a d’abord les prudents, qui ont décidé de ne pas partir du tout. Soit 53 % des habitants du royaume, selon un sondage Dedicated Research effectué début mai.  » Il faut tout de même rappeler qu’en temps normal, un Belge sur deux ne part pas « , mentionne Alain Decrop, professeur de marketing à l’UNamur et spécialiste de l’économie du tourisme.  » Par contre, ce qui est tout à fait atypique cet été, c’est le nombre de personnes qui choisiront une destination touristique.  » 27 % envisagent un séjour en Wallonie (contre 8 % en temps normal) et 25 % à la côte (contre 11 % habituellement). Staycation : anglicisme désignant un touriste préférant excursionner à domicile.

 » Je pense qu’il faut distinguer le court des moyen et long termes, analyse Alain Decrop. Dans les trois à six mois, effectivement, on devrait assister à une autre manière de voyager.  » Plus domestique, limitrophe, voire locative, au détriment de l’hôtellerie classique. En voiture, moins en avion. Et à la dernière minute.  » Mais, à partir de 2021, on risque de revenir à des comportements de vacances habituels. Le touriste a habituellement la mémoire courte : il faut trois à six mois pour constater une reprise après un événement « traumatisant ». Les années suivant une crise enregistrent même, en général, un rebond des voyages.

Depuis l’annonce de la réouverture de certaines frontières, les réservations ont en tout cas repris.  » On sent des frémissements. Avec de l’intérêt, surtout, pour les vacances en voiture, dans l’hôtellerie de plein air ; c’est comme ça qu’on appelle désormais le camping, sourit Jean-Luc Hans, vice-président de l’ABTO (Association of belgian tour operators). Les gens ne vont pas se ruer sur les plages bondées.  »

Les jeunes, plus impatients

Quoique : les réservations pour les billets d’avion redémarrent également.  » Bien, assure Sarah Saucin, porte-parole de Tui. Les chiffres sont très encourageants.  » Principalement pour l’Italie, l’Espagne et… la Grèce, alors que cette dernière ne sera pas accessible avant le 1er juillet, si tout va bien.  » Nous avons réalisé deux enquêtes après des Belges, qui démontrent que 80 % d’entre eux veulent encore voyager « , détaille Wencke Lemmes-Pireaux, porte-parole de Brussels Airlines, qui enregistre actuellement des réservations pour l’Espagne, l’Italie et le Portugal, principalement.  » Plus les passagers sont âgés, plus ils ont tendance à reporter à septembre ou octobre.  »

Reporter, pas annuler. Un retour à la normale est attendu vers 2021, selon certaines prédictions. Comme si de rien n’était ? Peut-être, mais pas tout à fait. Les acteurs du tourisme vont être contraints de changer, un peu, beaucoup, complètement.  » C’est un accélérateur de choses qu’on devait mettre en place ; on n’a maintenant plus le choix. On a pris trois ou quatre ans d’avance « , considère Anne-Sophie Sneyers, secrétaire générale de l’UPAV (Union professionnelle des agences de voyages).

u0022Plus de voyageurs, mais moins de touristes.u0022 C’est ma phrase fétiche ; j’y crois vraiment ! u0022

Le fameux staycation prenait déjà de l’ampleur, ces dernières années, boosté par l’appel environnemental à moins prendre l’avion, l’écotourisme, la recherche de l’authenticité… Si les city-trips restaient toujours aussi populaires, les tendances précovid montraient le succès de nouvelles villes, moins connues, moins bondées. Des agences de voyages avaient entamé une reconversion vers l’organisation de séjours de niche, plus de masse. Dans l’urgence de la pandémie, certaines ont dû opérer une transformation radicale, au moins pour cet été. En se recentrant sur les pays européens, en cherchant à faire découvrir des coins méconnus, en dénichant des circuits alternatifs, etc. Connections, spécialisé dans les vols long-courriers, s’est par exemple lancé dans le… glamping (comprenez :  » camping haut de gamme « ), à Durbuy.

 » Tout le monde est en train de se remettre en question, observe Anne-Sophie Sneyers. Les bateaux de croisière qui transportaient 5 000 personnes ont-ils encore leur raison d’être ? Les hôtels all-in, qui ne vont plus pouvoir servir de buffets, vont-ils se rendre compte qu’ils peuvent gagner leur vie en proposant moins d’abondance ? Sera-t-il encore raisonnable de se rendre à New York pour trois jours ? Peut-être se dirige-t-on vers des voyages plus raisonnés. « Plus de voyageurs, mais moins de touristes. » C’est ma phrase fétiche ; j’y crois vraiment ! « 

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