Nicolas Baygert
Voyage en pathocratie
Burn-out ou névrose anxio- dépressive sous forme écrite, la carte blanche de Fientje Moerman (Open VLD) dans le Standaard, particulièrement commentée la semaine dernière, interpelle (pour le moins).
Le mot « peur » y figure à 22 reprises. L’élue se sent damnée et, puisant dans le registre métaphorique indien, compare la caste dirigeante flamande aux « impurs ». Rappelons d’emblée que ces « intouchables » (ou dalits) vivent dans des quartiers isolés et doivent accepter les emplois les plus dégradants et les violations de leurs droits élémentaires. En 2001, l’Unesco estimait que les deux tiers des dalits étaient analphabètes. Comparaison n’est pas raison, faut-il espérer.
Jusqu’ici, en politique comme en danse classique, tout le travail consistait à gommer l’effort sur les visages, donner une impression de légèreté et de maîtrise à tout instant. La « bête politique » s’apparentait au danseur étoile. Les signes de mal-être comme les aveux de fragilité étaient proscrits. Un constat qui transparaît encore dans certaines réactions suscitées par la litanie de l’ex-ministre libérale flamande : Emily Hoyos (Ecolo) estimant qu' »être travailleuse à pause ou insécurisé chez Arcelor, c’est dur. Mon boulot n’est pas dur. »
Mais les choses sont en train de changer. En France, tandis que François Mitterrand cacha son cancer de la prostate durant une décennie, la ministre Dominique Bertinotti brisa récemment le tabou de la maladie, multipliant depuis les interviews. Dans ce cas plus tragique comme dans celui de Fientje Moerman, perversité de la médiatisation du politique oblige, la mise en récit de la souffrance et du ressenti intime (la « séquence émotion ») devient une performance alimentant l’engrenage nocif auparavant dénoncé. Le pathos ainsi exhibé se voit immédiatement mis en boucle. Communiquer son mal-être, une « com » comme les autres » ? Le politique, ne trouvant plus les mots, épancherait ici ses maux.
« Nous incarnons ce que vous pensez, et nous essayons de résoudre les problèmes que vous (pensez) avoir. » De même, cette tirade issue de la même carte blanche traduit une brisure et la nostalgie d’une fonction (l’incarnation) depuis longtemps en berne. Aussi, comme être ressentant d’essence médiatique incarnant son propre mal-être à défaut d’idéaux, l’homo politicus contribue à sa propre extinction.
Reste à observer qui sont les rescapés de ce bûcher de Bénarès grandissant. Deux profils diamétralement opposés semblent surnager. Le premier concerne la caste des prestidigitateurs à papillon, les brahmanes lévitant au-dessus des partis et autres yogis de l’extrême, adeptes du jeûne et de la maîtrise du corps par l’esprit (« De kracht van verandering »). Chez eux, les inaugurations de piscine ou les plongeons dans l’eau glacée s’apparentent aux bains rituels purificateurs dans le Gange. Fakirs de la politique, aucun lit de clous ne leur résiste, ils recherchent en permanence le dépassement et la performance. En charmeurs de serpent ils parviennent à envoûter les Cobras des médias. Insensibles aux morsures, ils invitent les journalistes à entrer dans la danse, dont eux seuls dictent la cadence.
Le second profil vise ces élus qui se contentent de mener une vie vertueuse et d’accomplir leur dharma (devoir) – de quoi accroître leurs chances de se réincarner dans une caste supérieure (Premier ministre, qui sait ?). On songe bien entendu à l’incontournable Maggie De Block (Open VLD) distribuant sous prescription médicale ses remèdes au désenchantement politique sur les plateaux télévisés. La ministre semble ainsi priser les métaphores thérapeutiques : « Je fais l’anamnèse, je fais le diagnostic et je cherche le remède. » Un élément de langage censé souligner le bon sens du médecin, peu friand des médecines douces.
La « pariacratie » décrite avec emphase par Fientje Moerman exige-t-elle également un antidote ? « Parler moins et faire plus », estime Sabine Laruelle (MR), elle-même sur le départ de peur de finir aigrie.
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