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Voici pourquoi former un gouvernement prend un temps démesuré (analyse)

Olivier Mouton Journaliste

Bien des Belges se demandent comment il est possible qu’un tel parcours du combattant soit nécessaire pour mettre en place une majorité fédérale. Le problème est structurel… et la Vivaldi ne va rien y changer.

Mais comment est-il possible que les négociations de la Vivaldi s’éternisent à ce point! La nouvelle majorité fédérale (socialistes, libéraux, écologistes et CD&V) aurait dû voir le jour il y a deux semaines, mais c’était sans compter la contamination du préformateurs Egbert Lachaert (Open VLD) au coronavirus, une crise « majeure » autour de Georges-Louis Bouchez ou, désormais, des comptes d’apothicaires sur le budget. Cela ressemble « furieusement à la révision, en catastrophe, de l’ensemble des matières un jour avant le début des examens », sourit, jaune, un observateur averti. Humain, trop humain…

https://twitter.com/tdupiereux/status/1310929547504898053Thierry Dupiereuxhttps://twitter.com/tdupiereux

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L’attente est d’autant plus insoutenable que l’on n’osait plus rêver à une sortie de crise depuis les multiples tentatives avortées d’arc-en-ciel, de bourguignonne, de tripartite, de coalition-miroir et tant d’autres formules, depuis les élections du 26 mai 2019. Le problème, en Belgique, est structurel à plus d’un titre. Cela explique les blocages de longue durée comme les incidents de dernière minute.

Deux opinions publiques séparées

Le premier problème structurel n’est autre que la façon dont les Belges votent désormais de façon très différentes en Flandre et en Belgique francophone. La source première du casse-tête réside dans la difficulté à former une majorité qui tienne en considération les sensibilités d’un Nord plus à droite et d’un Sud plus à gauche. C’est le cas de façon plus marquée depuis une quinzaine d’années, avec déjà des gouvernements minoritaires dans une communauté sous Di Rupo et Michem. Cette fois, il a fallu énormément de temps pour « décanter » la Vivaldi, dont l’aile nordistereste sous (forte) pression des deux premiers partis de Flandre, N-VA et Vlaams Belang. Cela a pesé, ces derniers jours. Une solution pourrait consister à revoir le système en profondeur via la création d’une circonscription fédérale, mais elle est devenue l’un des monstres du Loch Ness de la politique belge.

Un paysage politique morcelé

Sept partis sont autour de table pour composer la Vivaldi, c’est un record, du moins pour la composition d’une majorité en tant que tel. Forcément, cela prend du temps pour les convaincre de monter à bord, dans un premier temps, puis pour faire en sorte que chacun d’entre eux obtienne de quoi satisfaire sa base. Le morcellement de plus en plus prononcé du paysage politique et le nivellement des partis – il n’y a plus de formation toute-puissante comme le CVP d’antan – rendent les discussions périlleuses et les concurrences assassines. Avant, la formation d’une tripartite ou l’appui d’une formation ‘communautaire’ (de type Volksunie ou FDF) rendait déjà la gymnastique ardue, c’est désormais une obligation structurelle, faute de majorité facile à composer avec un plus petit nombre de composantes. La réforme de la justice et de la police post-Dutroux ou la sixième réforme de l’Etat avaient déjà été négociées à huit, mais le spectre des discussions était soit plus limité, soit plus ‘existentiel’ pour le pays. Une révision du système électoral ou une recomposition politique pourraient faciliter la donne. D’autant que s’ajoute à tout cela le poids des extrêmes: le Vlaams Belagn et le PTB représentent trente sièges à la Chambre qui sont « perdus » pour la composition d’une majorité.

Le centre démantelé

Dans ce contexte difficile, il convient d’ajouter que les partis du centre de l’échiquier politique, singulièrement les partis chrétiens, ont été laminés au fil du temps. Or, ceux-ci composaient le ‘tampon’ entre les forces antagonistes et jouaient un rôle de conciliateur. Le CDH ne compte pour ainsi dire plus et le CD&V n’est plus en mesure de jouer ce rôle : tous deux sont au contraire malmenés par le risque de disparaître, purement et simplement. D’où une nervosité palpable tant ans les hésitations à entrer en négociations qu’à celle de perdre son au cours de celles-ci. Les libéraux ont repris une part de ce rôle pivot et ce n’est pas un hasard si Charles Michel avait construit un axe avec le CD&V lors de la législature passée. Mais tant le MR que l’Open VLD restent situés plutôt à droite sur l’un des axes fondateurs politiques belges, le volet socio-économique.

Des egos surdimensionnés

Chacun joue sa peau dans un paysage morcelé et chacun doit exister, faire connaître au peuple belge ses acquis et ses victoires : c’est le cas tant pour les partis que pour les hommes et les femmes qui les président. Les réseaux sociaux ajoutent une dose d’irrationnel à cette réalité instantanée. Les politiques sont devenus des toupies qui tournent souvent au gré du vent ou des egos surdimensionnés qui cherchent en permanence à accroître leur notoriété. Précision importante : ils ne sont, comme souvent, que le reflet d’une société de plus en plus obnubilée par son image reflétée sur Instagram ou TikTok.

Des crises profondes et des budgets racrapotés

Les élus sont en outre, par la force des choses, devenus des super managers de crise : financière, migratoire, communautaire, climatique, sanitaire… Les unes et les autres s’enchevêtrent bien souvent alors que nous vivons à une époque obsédée par le court terme. Ajoutez à cela, la phase finale de la négociation Vivaldi en témoigne, que les marges budgétaires sont misérables (même si la crise sanitaire a montré qu’elles n’étaient pas inexistantes… en cas d’urgence) et vous obtiendrez un cocktail détonnant. Voilà pourquoi les solutions sont souvent compliquées à élaborer ou à mettre en oeuvre, voilà pourquoi aussi c’est souvent au pied du mur que nos responsables agissent.

Pas d’obligation de résultat

Enfin et c’est la cerise sur le gâteau, les représentants du peuple n’ont pas d’obligation de résultats sous la forme de délais stricts, d’élections reprogrammées en cas de blocage de longue durée ou de sanctions financières en cas de procrastination. Tout au long de cette crise ont monté les suggestions de réformer le système afin de contraindre plus fortement les partis à atterrir. Tut ce qui précède montre évidemment que ce n’est pas simple, mais cela éviterait peut-être une inacceptable plage de blocage comme on en a connu depuis mai 2019 et d’inutiles crises irrationnelles comme on en a connu ces dernières semaines.

Le plus confondant? C’est qu’aucun de ces enjeux majeurs ne se trouve au menu de la Vivaldi!

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