Budget: voici comment nos communes pourront sortir la tête de l’eau
La situation financière des communes de Wallonie et de Bruxelles est préoccupante, mais certaines pistes doivent leur permettre de sortir de l’impasse. Une seule certitude: il faudra de plus en plus se serrer la ceinture, même si c’est à contrecœur. Certains remèdes risquent d’être douloureux.
On sent poindre l’inquiétude, alors que l’automne approche. Dans les villes et communes, l’attention se porte déjà sur les budgets 2023, qu’elles doivent idéalement présenter à la fin de cette année ou au début de la suivante. Tous les niveaux de pouvoir ont de quoi s’arracher les cheveux. Mais les villes et communes, elles, disposent d’une marge de manœuvre particulièrement restreinte, car elles sont tenues de présenter un budget à l’équilibre (la Wallonie autorise, il est vrai, de légers déficits depuis 2020) et n’ont pas la possibilité d’emprunter pour renflouer leur budget ordinaire.
Il faudra pourtant s’en sortir. Pour cela, pas de remède miracle mais quelques pistes, dont il est évidemment impossible d’établir une liste exhaustive.
Faire le gros dos
Attendre que l’orage passe, c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais c’est peut-être une partie de la solution.
En effet, les communes prennent de plein fouet les effets de l’inflation cette année. Ce sera probablement le cas, dans une certaine mesure, l’an prochain. Mais à terme, l’impact s’atténuera en vertu de ce qu’on appelle «l’effet ciseaux», à savoir le décalage dans le temps entre l’augmentation des dépenses et celle des recettes. Autrement dit, l’inflation actuelle aura un effet positif sur certaines recettes, mais pas tout de suite.
Du côté fiscal, cela signifie que les recettes des centimes additionnels au précompte immobilier (PRI) augmenteront, puisque le revenu cadastral est indexé. Or, ces centimes additionnels représentent un apport essentiel: environ 40% des recettes fiscales des communes wallonnes et 57% des recettes fiscales des communes bruxelloises (sur la base des budgets 2022).
En 2024, la taxe additionnelle à l’impôt des personnes physiques (IPP) suivra un mouvement similaire, l’indexation automatique des salaires induisant une augmentation de la base imposable. Cette taxe-là représente environ 37% des recettes fiscales des communes wallonnes et 17,5% des communes bruxelloises.
A noter que la dotation générale aux communes de la Région bruxelloise, de l’ordre de 400 millions d’euros, et le fonds des communes de la Région wallonne, environ 1,5 milliard d’euros, seront également revus à la hausse, du fait de leur indexation.
Augmenter les impôts
Toucher aux impôts n’est pas la recette la plus populaire, surtout lorsque la fin de la mandature approche. Mais certaines communes pourraient être tentées d’utiliser ce levier.
Peu avaient fait ce choix pour 2022. En Wallonie, seules Jodoigne, Flobecq, Ouffet et Bertogne avaient revu leurs centimes additionnels au PRI à la hausse. Le taux additionnel à l’IPP avait été augmenté à Bertogne.
Côté Bruxellois, Evere, Jette et Woluwe-Saint-Lambert avaient augmenté les centimes additionnels au PRI. Mais Jette et Woluwe-Saint-Lambert, de même que Ganshoren, avaient en même temps diminué leur taxe additionnelle à l’IPP. «Les communes bruxelloises, en particulier, connaissent une sorte de tax shift ces dernières années, avec une diminution progressive de la taxe sur l’IPP et, parallèlement, une augmentation des centimes additionnels au PRI», observe William Verstappen, conseiller en finances locales chez Brulocalis, l’association des villes et communes de la Région. On y mise donc de plus en plus, assez logiquement, sur la fiscalité immobilière plutôt que sur celle des revenus. Reste à savoir combien de communes, indépendamment de l’effet ciseaux, s’aventureront dans un renforcement de la fiscalité au cours des prochaines années.
Toutes n’ont cependant pas les mêmes capacités à augmenter leur fiscalité, certaines appliquant déjà des taxes conséquentes. En Wallonie, des taux maximaux sont recommandés par le pouvoir régional: 2 600 centimes additionnels et 8,8% sur l’IPP. Ainsi, par exemple, 190 communes sur 262 ont déjà ces centimes additionnels égaux ou supérieurs à 2 600. Et une dizaine ont franchi la barre des 3 000 centimes additionnels. Les grandes villes se situent toutes au-dessus de la moyenne.
De tels plafonds n’existent pas à Bruxelles. Si le taux additionnel à l’IPP est en général inférieur à celui des communes wallonnes, les centimes additionnels y sont plus élevés: 3 890 à Jette, 3 810 à Schaerbeek, 3 800 à Evere, pour ne citer que le trio de tête.
Nombreuses sont les communes dans lesquelles, d’un point de vue politique, il serait difficile de faire avaler des augmentations de la fiscalité. Même si, comme le précise Julien Flagothier, de l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW), «des mandataires qui augmentent la fiscalité ne sont pas forcément de mauvais gestionnaires. Et une fiscalité élevée ne rapporte pas nécessairement beaucoup». A taux égal, une commune percevra plus ou moins, en fonction du niveau des revenus sur son territoire. Ce qui tend à pénaliser les centres urbains, au demeurant.
Réduire les dépenses
L’ équation est simple: en période de disette, on cherche à augmenter ses recettes, mais aussi à diminuer ses dépenses. Les communes seront de plus en plus amenées à rogner sur leurs dépenses de fonctionnement. On raclera les fonds de tiroir, partout où c’est possible.
Mais il est des dépenses en particulier qui risquent de faire souffrir les budgets: celles du personnel. On parle ici de plus de 17 000 équivalents temps plein dans les administrations communales bruxelloises et presque 37 000 en Wallonie. Les dépenses de personnel représentent 43% des dépenses ordinaires des communes bruxelloises et 42% de celles des communes wallonnes, selon Belfius.
Parmi les élus locaux, on se refuse souvent à faire des employés des variables d’ajustement. Il y a par contre fort à parier que des réductions de personnel s’opèrent d’une manière «soft» dans certaines communes: moins d’engagements, non-remplacement des départs, etc. D’autres interlocuteurs sont franchement pessimistes et prévoient des licenciements massifs, avec ce que cela suppose comme perte de services rendus à la population.
Sabrer dans les investissements
Ce n’est guère réjouissant non plus, mais les difficultés budgétaires, de même que la hausse du prix des matériaux, risquent de pousser les communes à réduire la voilure dans leurs investissements. Pour sauver leur peau et réduire leurs dépenses de dettes.
«Les budgets initiaux pour 2022 traduisaient néanmoins une volonté de relancer les investissements», note Arnaud Dessoy, spécialiste des finances locales chez Belfius. Mais «la situation actuelle peut effectivement brimer la capacité d’investissement».
C’est en soi regrettable, dès lors que les communes jouent un rôle déterminant dans les investissements dans la mobilité, la transition, la modernisation des équipements et des bâtiments publics, etc. Elles sont désignées comme des acteurs clés de la relance économique, puisque les pouvoirs locaux assurent, à eux seuls, 35 à 40% des investissements publics en Belgique.
«A réduire ses investissements, on risque aussi de renforcer une forme de dette cachée», ajoute Julien Flagothier, de l’UVCW. C’est classiquement le cas de voiries dont le manque de réparations risque, à terme, de nécessiter des travaux qui coûteront plus chers à la collectivité.
Demander de l’aide
Puisque les communes ne peuvent théoriquement pas tomber en faillite, les Régions assurent un filet de sécurité lorsqu’elles sont techniquement dans l’incapacité de présenter des budgets à l’équilibre. Tel est le rôle alloué au Crac (Centre régional d’aide aux communes) en Wallonie et au FRBRTC (Fonds régional bruxellois de refinancement des trésoreries communales) en Région bruxelloise.
En résumé, les communes en pareille situation se font aider d’un prêt, moyennant une supervision assez conséquente du Crac et du FRBRTC, mais aussi le respect de balises en matière d’investissements, de dépenses, d’embauches, etc. Elles y vont souvent à reculons, vivant cette tutelle comme assez contraignante, mais n’ont guère le choix, une fois au pied du mur.
Les communes concernées sont loin de faire exception, en réalité. En Région bruxelloise, dix des dix-neuf communes se trouvent sous plan financier auprès du FRBRTC. En Wallonie, 51 communes étaient sous plan de gestion au 1er janvier 2022. Parmi elles, l’ensemble des villes de plus de 50 000 habitants. De nombreuses autres entités seront-elles amenées à y entrer? Cela reste une inconnue, mais quelques-unes prennent leurs renseignements. Une dizaine, selon la directrice générale du Crac, Isabelle Nemery.
D’autres coups de pouce sont octroyés. On songe au plan Oxygène mis en place par le gouvernement wallon. Il s’agit d’un droit de tirage sous forme d’emprunt d’une durée de cinq ans qui doit soulager les communes éprouvant le plus de difficultés face au financement des pensions, des zones de police et de secours, des CPAS. Moyennant des contreparties dans leur gestion financière, une fois de plus.
Plus globalement, l’idée défendue par les tutelles est que la sauvegarde des communes dépendra aussi de leur capacité à se réformer, à repenser leur mode de fonctionnement, leurs auto- matismes budgétaires, etc.
Pratiquer la neutralité budgétaire
Les communes supportent de moins en moins les reports de charges qui s’exercent sur elles, à partir de décisions prises à des niveaux de pouvoir supérieurs. Il s’agit souvent de compétences du fédéral, à travers la police, l’aide sociale, les zones de secours, sans oublier le casse-tête des pensions.
Une partie de la solution devra donc passer par davantage de neutralité budgétaire dans les décisions. Celui qui décide paie, ou, à tout le moins, prévoit des compensations pour les pouvoirs locaux qui sont affectés budgétairement.
Ce contentieux a poussé, en mai dernier, le ministre wallon des Pouvoirs locaux à saisir le Comité de concertation pour évoquer le sujet. «Ce qui est positif, c’est que sur ce thème, il y a une convergence d’intérêts entre les différentes Régions, souligne Christophe Collignon (PS). On a déjà fait deux Codeco. Ce n’est pas simple car il faut aussi rassurer le fédéral, éviter d’amenuiser ses compétences. On n’y est pas encore, mais j’ai bon espoir que la situation s’améliore dans le futur.»
Mutualiser
Les communes, à l’avenir, devront faire des choix et sans doute cesser d’assumer à elles seules certaines charges. Il s’agira, comme le résume Isabelle Nemery, de «mettre en commun les expertises, les services, les infrastructures, de faire des investissements très rationnels. Peut-on se contenter d’une piscine plus petite? A-t-on besoin d’une piscine alors qu’il y en a une à quelques kilomètres?» Tel est le principe de la supracommunalité: mutualiser les moyens et les ressources. A vrai dire, cette approche est déjà une réalité mise en œuvre par la majorité des communes. Mais leur viabilité passera probablement par un renforcement de cette mise en commun.
La mutualisation peut aussi s’organiser à l’intérieur du territoire communal, notamment par le rapprochement de services de la commune et du CPAS, en matière informatique ou de ressources humaines, par exemple. D’autres charges n’ont peut-être plus leur place dans le périmètre communal. «On doit se demander quelle est la bonne échelle pour exercer certaines fonctions, suggère, par exemple, le bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette (PS). Les zones de secours pourraient très bien s’organiser à l’échelle de la province.»
Il y a enfin la fusion des communes, sujet qui attise les passions dans les localités. Pour certaines d’entre elles, de petite taille surtout, elle pourrait représenter une partie de la solution. D’autres ont étudié la question, n’y voyant finalement aucun intérêt. Selon une étude de l’économiste de l’UCLouvain Jean Hindriks, la taille «optimale» d’une commune, d’un point de vue budgétaire, est de 15 000 habitants. Peu sont pourtant candidates à la fusion.
La Wallonie a en effet adopté un décret invitant les communes, sur une base volontaire, à se lancer dans un processus de fusion qui prendra effet en 2024. Les candidatures doivent être envoyées le 31 octobre au plus tard. Il y a fort à parier que seules Bastogne et Bertogne concrétiseront l’union. Mais, selon Christophe Collignon, le décret a eu le mérite de remettre le sujet sur la table, de faire germer la réflexion dans les communes. Il n’exclut pas un engouement un peu plus prononcé pour des fusions qui pourront avoir lieu au tour suivant, en 2030. Qui vivra verra.
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