Carte blanche
Violences faites aux femmes: la juge manque-t-elle d’instruction ? (carte blanche)
En refusant de prendre en compte la situation spécifique des femmes face aux violences, la juge Anne Gruwez ignore les statistiques et des textes contraignants signés par l’Etat belge.
Introduire le féminicide dans le code pénal ? Elle est contre et elle le dit partout. Anne Gruwez nous fait rire par son franc parler. On la suit quand elle dénonce les moyens indécents accordés à la Justice. Mais aujourd’hui, on ne rit plus du tout : la tournée de promotion de son livre « Tais toi ! » vire au carnage en ce qui concerne les droits des femmes.
D’autant que son statut de juge d’instruction hypermédiatisée lui donne évidemment valeur d’autorité, de référence, dont tous les machos du Royaume s’empressent de s’emparer. La polémique fera sans doute parler de son livre (Regardez : même moi, j’y contribue). Mais au passage, ça fait du mal aux femmes.
Loin de moi, bien entendu, de contester son autorité ni son humanité. Moins encore son absolue légitimité. Je ne prendrais pas la parole si le débat n’était que juridique. Encore que. Déclarer que « les violences envers les femmes ne représentent aucune spécificité », n’est ce pas ignorer la Convention d’Istanbul, ce texte signé par la Belgique et qui reconnaît l’existence d’une violence de genre ?
Ou encore tourner le dos au dernier Plan National de Sécurité, publié par les ministres de la Sécurité et de l’intérieur, et… de la Justice ? La discrimination de genre dans le cadre des violences intra familiales y figure parmi les priorités, entre le terrorisme et la cyber sécurité. Au point de prescrire « une analyse genrée de l’évolution du nombre de plaintes enregistrées par les services de police en tant que faits de violence entre partenaires. »
Nier la réalité de l’aspect genré des violences intrafamiliales, c’est oublier que le bracelet anti-rapprochement qui est entré en vigueur en France la semaine dernière concerne des conjoints plus que des conjointes.
Anne Gruwez est mille fois plus compétente que moi dans cette matière. Elle sait que la racine du mot « homicide » est « homo », qui signifie « homme ». Donc le terme s’applique à l’humanité entière (on se demande alors pourquoi les juristes ont dû ajouter un « infanticide ») Mais « homo » signifie aussi « égal », comme dans « homogène ». Et tel est le problème : lorsque le pourcentage d’hommes est écrasant quand il s’agit de violence intra familiales et de délinquance sexuelle, on ne joue pas à armes égales. Egaux en droits, d’accord, mais quid du nombre de celles qui meurent sous les coups de leur partenaire ou ex ou wannabe ?
Une vingtaine de femmes assassinées par leur jules en Belgique en 2019, 115 en France. Les chiffres décrivent un vrai phénomène de société. Son nom : féminicide. L’introduire dans le Code pénal est plus que symbolique : plus que des peines spécifiques, c’est lui donner une visibilité. C’est aussi permettre la mise en place de moyens de prévention, de toute une chaîne de solutions.
« Je ne veux pas séparer les hommes et les femmes », avance encore Madame la Juge pour s’y opposer. Ici, je me permets de glisser que (moi non plus et que) l’argument sent moins le Code pénal que l’expérience d’une pionnière qui a bâti sa carrière dans un monde pas tendre aux valeurs plutôt masculines. Y passer pour une virago fait mauvais genre. (Et là, je sais de quoi je parle 😉
Alors, on se calme : ce qu’on demande, ce n’est pas la tête des hommes violents au bout d’une pique. C’est de faire évoluer le droit, ce qu’il fait depuis toujours. Les juristes et les chercheuses de l’association Fem&Law viennent pour cela de publier chez Larcier un « Code Commenté » qui relit la Loi avec des lunettes de genres. Car non, elle n’est pas toujours neutre. La presse a commencé à faire ce travail. Les journalistes ne parlent plus de « crime passionnel » (« Il l’aimait trop alors il l’a tuée ») quand une femme est assassinée par son partenaire.
On remercie enfin Anne Gruwez d’avoir inspiré et ouvert les portes à une cohorte de jeunes avocates, juristes et juges. Et pour ses propos d’aujourd’hui : ils démontrent que le féminisme, ce n’est pas les femmes contre les hommes, c’est ceux qui connaissent les chiffres contre ceux qui ne les connaissent pas.
Béa Ercolini
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