Viol d’une étudiante de la KU Leuven: « Les universités flamandes ont encore une structure féodale »
Le tribunal correctionnel de Tongres a condamné jeudi un ancien professeur de la KU Leuven à 54 mois de prison pour le viol d’une étudiante. Le rôle exact de l’université et de son recteur dans les suites de l’affaire pose toutefois question. Au courant depuis 2016, la Kuleuven aurait attendu 2018 pour prendre des mesures.
Dimanche, la ministre flamande de la Justice Zuhal Demir (N-VA) a affirmé qu’elle allait bloquer un subside d’1,4 million d’euros destiné à l’université catholique de Louvain, la KU Leuven, jusqu’à ce que lumière soit faite sur le rôle exact de l’institution et de son recteur dans les suites données à l’affaire de viol d’une étudiante par un professeur. L’université a elle-même indiqué être restée discrète sur demande de la justice, et avoir désormais l’intention d’imposer une sanction disciplinaire au professeur.
Les faits remontent à 2016, alors que Luc Sels n’était pas encore recteur de l’université. Le professeur dont il est question a violé une étudiante lors d’un congrès à Barcelone. Au moment des faits, le professeur d’université était aussi le promoteur de l’étudiante, qui évoluait alors dans la faculté de psychologie et sciences pédagogiques de l’institution louvaniste. Il avait proposé à son étudiante de l’accompagner à Barcelone pour un congrès lors duquel il devait donner une conférence, arguant que le thème du colloque rejoignait celui du mémoire de la jeune femme.
Une fois sur place, cette dernière avait découvert que le professeur n’avait pas loué de chambre dans l’hôtel accueillant le congrès, mais un AirBnB d’une seule chambre. L’homme avait finalement proposé de dormir sur le canapé, dans une autre pièce. Durant le séjour, le Limbourgeois avait également voulu acheter de la lingerie et un sac à main à l’étudiante. Une nuit, cette dernière avait été réveillée par son professeur qui, à moitié nu, s’était introduit dans son lit. Le lendemain, il avait tenté de la faire boire tout en la touchant, avant de l’agresser sexuellement. L’homme avait en outre essayé de convaincre la jeune femme de faire un tatouage commun mentionnant en anglais « ce qui se passe à Barcelone reste à Barcelone ».
Séjours en psychiatrie
À leur retour en Belgique, le professeur lui a indiqué explicitement qu’elle n’avait pas intérêt à dire qu’elle a été en Espagne avec lui, ni qu’elle l’avait rencontré sur place. Il lui a par ailleurs signé plusieurs lettres de recommandation pour un doctorat à l’étranger, dans des pays particulièrement éloignés. Après l’agression, l’étudiante a effectué plusieurs séjours en psychiatrie et a tenté de se suicider à plusieurs reprises.
Jeudi dernier, le tribunal correctionnel de Tongres a condamné l’ancien professeur à 54 mois de prison. « Les faits témoignent d’une disposition pathologique et d’un manque de respect flagrant envers la victime, pour qui ces faits ont été particulièrement traumatisants« , indique la motivation du tribunal.
L’affaire est donc bouclée sur le plan judiciaire, mais la réaction, ou plutôt l’absence de réaction de l’université, selon les proches de la victime, pose question. Plusieurs quotidiens flamands (les journaux Mediahuis) révélaient ce week-end avoir appris que le service de médiation de l’université, ainsi que le doyen de la faculté de Psychologie et pédagogie (de laquelle dépendait ce professeur), avaient été mis au courant du récit de l’étudiante dès 2016. Au-delà d’un entretien avec le professeur, il n’y aurait eu aucune réaction. À noter qu’il n’y avait cependant pas non plus eu de plainte auprès de la police.
Ce n’est qu’en mars 2018 que l’affaire revient vers l’université, quand les parents de la jeune fille, ayant appris ce qu’il s’était passé, contactent Luc Sels, devenu entre-temps recteur, pour porter les faits à son attention. Il y a un nouveau contact avec le service de médiation, et la jeune fille, suivant les conseils de ce service, finit par porter plainte. Alors que le professeur de pédagogie est alors officiellement suspecté de viol, il faudra encore plusieurs mois avant que l’université ne le mette en « non-actif », en septembre 2018, lui permettant même entre-temps d’aller réceptionner un prix au nom de l’équipe de professeurs.
« Silence assourdissant »
La ministre Zuhal Demir affirme, via communiqué, ne pas pouvoir accepter « le silence assourdissant du rectorat actuel », duquel elle n’aurait pas reçu de réponse ce week-end. Elle compte donc retenir, dans l’attente de clarté, un subside relevant des agences qui tombent sous ses compétences, qui était prévu pour des travaux relatifs à l’occasion des 600 ans de la KU Leuven. « Les subsides sont inscrits au budget flamand, mais l’accord de coopération pour les affecter doit encore passer au gouvernement », indique le porte-parole. La ministre a donc simplement décidé « de ne pas l’amener au gouvernement, jusqu’à nouvel ordre ». Pour la ministre, « les personnes qui savaient ce qu’il s’était passé et se sont tues n’ont pas leur place dans le monde académique », justifie-t-elle.
Interrogé par De Morgen, Dirk Van Damme, ancien spécialiste de l’éducation à l’OCDE, n’est guère étonné. « Les universités flamandes ont encore une structure féodale : un système très hiérarchisé où les professeurs sont tout-puissants. Cette culture organisationnelle devrait être beaucoup plus horizontale et les évaluations devraient être effectuées davantage en équipe. »
La KU Leuven a réagi dimanche soir, sobrement, en expliquant la procédure mise en place. Selon l’université, la personne de confiance de la faculté, mise au courant du récit dès 2016, n’a cessé ensuite de tenter d’avoir un contact direct avec l’étudiante, qui jusque-là était passée par un intermédiaire et restait anonyme. « Dès que la victime était prête pour le faire, il y a eu un signalement formel en 2018, et l’université a alors pris des mesures, en accord avec la police et la justice« , se défend l’institution. « La justice a demandé explicitement à l’université de ne rien faire qui pourrait alerter le suspect et mettrait en danger l’enquête judiciaire et le procès ». L’université avance que ce n’est qu’en septembre 2018 qu’elle a pu, avec l’accord de la justice, prendre des mesures et immédiatement bloquer au professeur l’accès aux bâtiments universitaires et aux étudiants.
« Maintenant que l’information issue de l’enquête judiciaire est disponible pour la KULeuven (la condamnation étant tombée, NDLR), l’université va immédiatement poursuivre et boucler sa propre procédure disciplinaire« , qui devrait aboutir à une sanction (licenciement ou autre) dans 3 à 6 mois, résume l’institution. Cette dernière ajoute vouloir évaluer de manière critique sa gestion des cas de comportements abusifs, avec une commission d’experts mise sur pieds « la semaine dernière » et un travail en cours sur un parcours décisionnel clair en cas de signalements. (Avec Belga)
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