Vin belge: comment le réchauffement climatique fera de la Belgique une grande terre viticole
L’augmentation des températures va remodeler en profondeur le visage de la viticulture belge, qui devrait s’épanouir mais aussi faire face à de nouvelles menaces.
La Belgique sera-t-elle le Bordelais ou la vallée du Rhône du futur? Cela semble bien parti, selon une étude publiée ce mardi 25 mars par plusieurs universités françaises chapeautées par le CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Ensemble, elles ont réalisé une cartographie mondiale de l’évolution des vignobles face au changement climatique. Résultat: alors que les régions méditerranéennes seront sous tension, la Belgique fera partie des «nouvelles régions viticoles» les plus prometteuses de la planète. À vrai dire, son développement a déjà commencé, notamment dans le sillon Sambre-et-Meuse. À l’avenir, les vignes devraient conquérir plusieurs parties du pays, avec des nuances selon les terroirs.
Vin belge: une «transition énorme» en vue
Si la Belgique est si prometteuse, c’est… grâce au réchauffement climatique. «Il y a notamment le fait que le pays aura des étés plus chauds, des hivers humides qui rempliront les nappes et donc un risque moindre de manque d’eau», explique Sébastien Doutreloup, climatologue à l’ULiège qui étudie actuellement la question.
Ses simulations sur l’évolution future de la viticulture belge sont éloquentes. En suivant les scénarios les plus probables du GIEC, c’est-à-dire avec 3°C ou plus de réchauffement, il prévoit que le vin belge, qui est aujourd’hui celui d’un climat froid, ressemblera à celui de la Bourgogne en 2050 et à celui des Côtes du Rhône voire du Languedoc en 2100. «Les viticulteurs vont devoir en une ou deux générations passer d’un pays froid à une région méditerranéenne. La transition est énorme».
Des cépages appelés à évoluer
Le revers de la médaille, c’est que cette évolution du climat pourrait être trop rapide pour que les cépages utilisés en 2024 restent viables à l’avenir. Pour savoir si ce sera le cas ou pas, il existe une sorte de baromètre: l’indice de Huglin. À partir d’une note de 1.500, il est possible de cultiver des vignes. En moyenne, la Belgique se situe en moyenne légèrement au-dessus de ce seuil. Le niveau était de 1.782 en 2020, de 1.608 en 2019. Parfois, c’est tout juste, comme en 2018 avec 1.504 et lorsque la météo n’est pas bonne, cela chute, comme en 2021 avec 1.381.
Avec le réchauffement climatique, ce score va considérablement évoluer, avec des disparités selon les cépages. Selon les calculs de Sébastien Doutreloup, des variétés comme la syrah, le grenache et le carignan verront leur indice de Huglin bondir à 1.800-2.000 dans la deuxième moitié du siècle, alors qu’elles sont cultivées avec difficulté aujourd’hui.
«Il y a aussi des cépages élastiques, comme le Chardonnay, qui s’adaptent assez bien à des climats différents mais en changeant totalement de goût. D’autres sont beaucoup moins adaptables, à l’instar du pinot noir qui n’est pas suffisamment bon dans le climat frais actuel, puis qui se portera bien dans celui de 2050, et ne supportera pas la chaleur de 2100».
Puisqu’il faut cinq à dix ans pour qu’une vigne puisse produire des raisins matures et rentables, les viticulteurs qui optent aujourd’hui pour ces cépages peu tolérants aux changements climatiques pourraient rapidement regretter leurs choix. À l’inverse, les cépages élastiques semblent assez intéressants. En ce sens, si des vins pétillants reconnus comme le Ruffus et le Chant d’Éole veulent persister, il leur faudra non plus se calquer sur un produit proche du champagne mais plutôt sur un similaire au prosecco.
Des menaces concrètes et d’autres plus hypothétiques
Pour se développer, les vignobles devront également faire face à d’autres défis. Le plus important, c’est probablement le gel. Car si les bourgeons des vignes sortiront de plus en plus tôt, le risque de gel ne reculera pas aussi vite. «Par conséquent, le risque de gelure des bourgeons augmentera a priori avec le réchauffement climatique», prédit Sébastien Doutreloup.
Le chercheur a également tenté de savoir si le réchauffement climatique allait favoriser l’apparition en Belgique de nouveaux parasites et des maladies de la vigne. «Mais c’est immensément complexe parce que leur évolution dépend d’énormément de facteurs. Par exemple, certains champignons se développent lorsque des gouttes se posent sur la feuille, d’autres apparaissent ou pas en fonction de la vitesse du vent, etc.». Il est donc impossible pour l’heure de prédire ce qui attend les vignes belges sur ce plan-là.
L’un des défis du vin belge: éviter les pesticides le plus possible
Actuellement, le grand débat qui agite le milieu ne porte pas sur la crainte d’une hypothétique maladie créée par le dérèglement climatique, mais sur l’utilisation actuelle et future des intrants (pesticides et autres). «On a deux écoles. Il y a ceux qui utilisent les cépages nobles pour lesquels il faut utiliser des pesticides vu leur sensibilité aux parasites, afin de préserver leurs qualités gustatives. Puis il y a ceux qui optent pour les interspécifiques, dont la qualité est jugée moindre mais qui sont plus résistants.»
Entre les deux, Sébastien Doutreloup préfère clairement le deuxième groupe: «À l’avenir, je pense qu’il faut utiliser davantage ces derniers pour utiliser moins d’intrants, surtout vu l’évolution du climat. Les pesticides détruisent la matière organique qui permet la pénétration de l’eau dans le sol, ce qui est très bénéfique en cas de sécheresse ou d’importantes précipitations. Je milite pour éviter ça. Je pense notamment au cépage solaris, qui est interspécifique et qui peut être d’une qualité exceptionnelle. Pour moi, il représente une excellente option».
«C’est fou. Ils sont en train de détricoter toutes les mesures qui pourraient nous sauver.»
Sébastien Doutreloup
ULiège
Il ne comprend d’ailleurs «pas du tout» l’abandon au niveau européen de plusieurs règles environnementales ces dernières semaines. «C’est fou. Ils sont en train de détricoter toutes les mesures qui pourraient nous sauver. On fonce tête baissée dans tout ce qui est chimique et non adapté au réchauffement climatique», déplore-t-il.
Une surface viticole à la croissance rapide
Une dernière grande question subsiste quant à l’avenir de la viticulture belge: où seront implantées les cultures viticoles? Depuis une dizaine d’années, quelques grands terroirs belges se dessinent: les Côtes de Sambre et Meuse, le Hageland (est du Brabant flamand) et la Hesbaye (surtout limbourgeoise).
Aujourd’hui, l’Ardenne est trop froide, sauf en cas de microclimat très particulier. «Mais par la suite, il devrait être possible de cultiver du vin de climat plus frais là-bas. L’Ardenne sera donc peut-être une zone de repli pour les viticulteurs», assure Sébastien Doutreloup. Les côteaux de cette région bénéficiant d’un sol caillouteux, calcaire ou schisteux semblent particulièrement propices pour l’installation de vignes durant les prochaines décennies, là où il n’y a pour l’instant que des prairies.
Les viticulteurs ont déjà commencé leur conquête de nouvelles terres. En 2021, les surfaces dédiées aux vignes en Belgique ont augmenté de 18% en une seule année, et de 58% en deux ans. En 2022, on comptait 800 hectares de cultures viticoles en Belgique, soit huit fois plus qu’en 2010. «On est clairement dans une phase d’accélération, avec un vrai engouement et de plus en plus de personnes qui veulent faire de la viticulture. C’est une augmentation exponentielle, et cela continuera par la suite», conclut l’universitaire liégeois.
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