Vers un MeToo politique ? Même si les élues sont arrivées, le sexisme est resté
Plusieurs dizaines de femmes politiques s’expriment pour l’émergence d’un «MeTooPolitique» en Belgique. Le milieu n’est pas épargné par les violences de genre. Certes, de nombreuses femmes sont entrées en politique, mais les mauvaises habitudes ont persisté.
Les hommes coupent la parole, accordent peu de crédit à celle des femmes, sont condescendants. A d’autres moments, les attitudes sont bien plus crues: propos graveleux, remarques sexistes, violences en tous genres, propositions sexuelles, voire davantage. Les sphères politiques, même si les choses évoluent, ne sont pas épargnées par les violences de genre. Les milieux académique, culturel ou de la nuit ont été secoués par des scandales. En politique belge, bien peu de choses.
Cela n’empêche pas la problématique d’être une réalité, qui transcende les partis et les niveaux de pouvoir. La politique reste ce milieu «pensé par les hommes et pour les hommes», empreint d’une «culture professionnelle sexiste». Ces termes ont été formulés dans une carte blanche signée par plus de 120 femmes, qu’elles soient mandataires ou travaillent dans l’environnement politique.
Les signataires veulent faire de cette tribune «le premier pas du mouvement MeTooPolitique belge», qui permettra de cesser de minimiser la parole des victimes, mais aussi de faire évoluer les procédures et le statut des mandataires «pour permettre une protection effective des élu.e.s victimes d’une agression présumée. Il s’agit notamment de leur offrir l’accès aux espaces d’écoute, de bien-être au travail, d’accompagnement, etc. qui existent pour les travailleuses et les travailleurs.» Les responsables de tous les partis sont invités à faire évoluer le cadre et les mentalités, pour instaurer un environnement «safe» pour les femmes engagées en politique ou y aspirant. Il faut briser l’omerta.
Parmi les signataires figurent des personnalités de tous bords: la coprésidente d’Ecolo Rajae Maouane, l’ex-présidente de Groen Meyrem Almaci, la ministre fédérale Zakia Khattabi (Ecolo), la vice-Première Petra De Sutter (Groen), la secrétaire d’Etat à l’Egalité des genres Sarah Schlitz (Ecolo), les députées bruxelloises Françoise De Smedt (PTB), Delphine Chabbert (PS), Gladys Kazadi (Les Engagés), la présidente du Sénat Stephanie D’Hose (Open VLD), plusieurs élues locales du MR, des membres de cabinets, etc.
L’élément déclencheur a été l’affaire Michel De Herde, cet échevin DéFI de Schaerbeek qui a fait l’objet d’une plainte, d’une étudiante, pour viol, en septembre. Une autre plainte avait été déposée quelques mois plus tôt par l’échevine Sihame Haddioui (Ecolo), l’accusant de propos sexistes et d’attouchements sur sa personne. Elle fait partie des élues à l’initiative de la carte blanche. Michel De Herde nie les faits qui lui sont reprochés. Inculpé, il a été mis en congé par le collège communal de Schaerbeek la semaine dernière. Le comité des sages de DéFI, dans la foulée, a décidé de le suspendre du droit de vote et d’éligibilité dans les instances du parti. Collège communal et parti politique rappellent toutefois le principe de présomption d’innocence qui est de mise.
A regarder de plus près la liste des signataires de la carte blanche, il apparaît que celle-ci est grandement – mais pas exclusivement – constituée d’écologistes. Ce qui s’explique, sans doute, dans une certaine mesure, par l’affaire à l’origine de l’écrit. «Mais aussi par le fait qu’une attention très importante est accordée à ces questions-là chez les écologistes», appuie Sarah Schlitz.
Des élues d’autres partis n’ont pas spontanément été sollicitées pour y contribuer. D’autres, au MR et chez DéFI notamment, disent souscrire à l’essentiel de la prise de position, mais regrettent un caractère «trop militant» à cette sortie, voire émettent quelques réserves sur le respect de la présomption d’innocence.
La députée fédérale Sophie Rohonyi (DéFI), par exemple, dit «rejoindre à 95% la carte blanche», mais regrette que certains amendements n’aient pas pu être apportés «pour modifier des éléments qui sont faux». Elle mentionne ce passage selon lequel, en politique, «le statut des élus ne permet pas aux autorités la possibilité de mettre en place des enquêtes internes, ou de décider d’une mise à l’écart suite à une inculpation, seul le mandataire peut décider de démissionner». Pour Sophie Rohonyi, l’affaire schaerbeekoise prouve l’inverse. La plupart des signataires considèrent a contrario que les choses se sont déroulées dans le mauvais sens: une échevine, victime présumée, qui porte plainte, mais qui n’est plus en mesure d’exercer sa fonction, pendant que l’agresseur présumé continue à siéger, jusqu’à ce que l’inculpation précipite son écartement.
Victimes: à qui s’adresser?
En attendant, une idée circule: celle de la création d’un organe, d’une instance indépendante, spécifiquement prévu pour ce genre de situations. «Le travail n’en est qu’à ses débuts. Il faut que cela se fasse en interparti, j’y tiens beaucoup», insiste Sarah Schlitz. Il s’agirait donc de mettre sur pied ce lieu d’écoute et de prise en compte de la parole des femmes victimes de violences, une analyse au cas par cas, des procédures claires, éventuellement des mesures d’écartement suspensives.
C’est là qu’un équilibre délicat doit être trouvé entre présomption d’innocence et écoute des victimes. «Cela étant, ajoute la secrétaire d’Etat, des mesures suspensives, le temps de faire la lumière sur les faits, ne sont pas nécessairement antidémocratiques.
Parmi d’autres, la députée bruxelloise Viviane Teitelbaum (MR), ancienne présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB), souscrit volontiers à l’idée, même si elle ne fait pas partie des signataires. « Ce qui est important, c’est d’avoir un organe externe qui peut se pencher sur les cas. L’enjeu, c’est de pouvoir objectiver les faits. Mais aussi de laisser la justice travailler, même si elle manque de moyens. Je pense qu’il est également important de distinguer deux types de victimes aussi: les élues et toutes les femmes qui travaillent dans les cabinets ou dans un cadre politique» sans nécessaire disposer de la liberté de parole ou des mêmes armes que les mandataires.
Les partis démocratiques se penchent tous sur les problèmes des violences faites aux femmes. Mais les sphères politiques elles-mêmes se caractérisent par une absence de procédures clairement établies. «Si tu travailles dans le privé, que tu as un problème de ce type, tu peux aller trouver la direction des ressources humaines. En politique, tu t’adresses à qui? Le bourgmestre, le ministre, le président de parti? Ce n’est pas clair», s’étonne une femme politique.
Un statut politique à repenser
La représentativité des femmes s’est améliorée, tant dans les cabinets que dans les assemblées, quotas et systèmes de tirette sur les listes électorales à l’appui. Mais ça n’a sans doute pas suffi à faire évoluer suffisamment des comportements très ancrés, dans ce milieu de pouvoir historiquement très masculin, fait remarquer Caroline Sägesser, politologue au Crisp, le Centre de recherche et d’information sociopolitiques.
«C’est éventuellement l’occasion de repenser quelque peu le statut des élus et élues politiques, qui pourrait être un peu plus semblable à celui des travailleurs ordinaires, suggère-t-elle. On peut le penser sous l’angle des privilèges dont bénéficient les politiques, mais aussi des protections face à ce type de comportements. Il faut peut-être cesser d’en faire une fonction d’exception, qui est tout de même restée celle d’une caste essentiellement masculine.»
La politique est un lieu de pouvoir «et plus on s’approche du pouvoir, plus vous verrez des stratégies pour tenter de le conserver», constate Delphine Chabbert (PS). Mais la temporalité dans laquelle s’inscrit cette carte blanche est intéressante, selon elle, alors que les femmes et/ou de nouvelles générations fournissent de nouvelles impulsions et apportent des thématiques neuves dans les cercles politiques. A côté de ces mouvements internes, c’est le reste de la société, dont le politique est censé être le relais, qui est questionné sur la problématique des violences faites aux femmes. Il n’y a pas de raison que la politique ne soit pas concernée.
« Cela me paraît d’ailleurs être la base pour une bonne gestion de la chose publique que le monde politique en finisse avec ces pratiques, puisqu’il est là pour porter ce qui se passe dans la société, faire grandir, légiférer et protéger. De mon point de vue, cela doit impliquer tout le monde, y compris évidemment les hommes qui soutiennent ce combat. Et ils existent», affirme Salma Haouach, porte-parole du MR, mais aussi vice-présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique. La cause lui tient à coeur, « avec ces deux sensibilités qui sont les miennes», indique-t-elle: libérale et membre du CFFB.
Ce travail «s’incarne au quotidien, ajoute Salma Haouach. Des femmes comme Sophie Wilmès ou Hadja Lahbib me prouvent que c’est en étant présentes et dans le dialogue qu’on fait avancer les choses».
Ne pas couper des têtes
Les conditions dans lesquelles elle s’exerce peuvent favoriser les contextes de violences. Pour ne citer qu’un exemple, «il y a la flexibilité des horaires inhérente à la politique. Entre moments informels, travail en soirée, repas parfois arrosés, etc.», analyse Aurélie Aromatario, sociologue et spécialiste des questions de genre.
Le fait que l’initiative s’inscrive dans le mouvement MeToo n’est pas anodin non plus, il traduit le caractère systémique du mal. La plupart des mandataires l’affirment d’ailleurs: il ne s’agit pas de couper des têtes, mais d’apporter une réponse globale, structurelle.
«Dans tous les milieux sociaux, on cumule les relations de genre, de pouvoir, de hiérarchie sociale, d’ancienneté. En politique, s’y ajoutent peut-être une dimension d’aura personnelle et une dimension très hiérarchique» qui peuvent éventuellement favoriser les abus.
Du chemin reste à parcourir, y compris hors des frontières belges. «Il y a la question de l’accès à la politique, de la représentation des femmes, mais aussi de leur expérience lorsqu’elles s’y trouvent», ajoute Jéromine Andolfatto, chargée de mission au Lobby européen des femmes. Elle cite une étude menée par l’Union interparlementaire, en 2018, auprès de députées de 45 pays européens: 85,2% avaient subi des violences psychologiques au cours de leur mandat, 46% des menaces de mort, de viol ou de passage à tabac, 58,2% des attaques sexistes en ligne.
«Il y a bien sûr un problème de normes de genre et de culture politique», ajoute-t-elle. Cela se manifeste aussi à travers la ségrégation horizontale, c’est-à-dire la répartition des rôles au sein du milieu politique. Parmi les commissions du Parlement européen, celle consacrée aux droits des femmes et à l’égalité des genres est occupée à 85,2% par des femmes, tandis que celle qui se penche sur les affaires constitutionnelles l’est à 85,7% par des hommes, et celle sur le budget à 77,5% par des hommes, précise Jéromine Andolfatto.
En Belgique, au fédéral, les portefeuilles des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Intérieur sont, certes, occupés par des femmes, ce qui constitue un progrès majeur, mais cela ne doit pas cacher une réalité moins reluisante dont font part un grand nombre de femmes, tous partis confondus.
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