Pierre Havaux

Vent du Nord de Pierre Havaux: maîtres flamands en leur salle fermée… (chronique)

Pierre Havaux Journaliste au Vif

La Flandre ferme les yeux. Tente d’imaginer. Le Louvre qui se priverait de la vue de la Joconde, par exemple. Impensable.

Et c’est la Flandre qui en est fort courroucée. Pieter Brueghel l’Ancien, Rubens, Jordaens, Memling, Dirk Bouts, la fine fleur de la peinture flamande privée de visites pour six mois, avec pour compagnons d’infortune Rembrandt ou encore Frans Hals. Mais que leur vaut donc pareille mise à l’isolement dans leur section Old Masters sise aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique (MRBAB) à Bruxelles, tout de même capitale de la Flandre? Motif avancé par la direction de l’institution fédérale: trop peu de gardiens sous la main pour veiller sur leurs tableaux alors qu’il y a d’autres chats à fouetter en ce moment. Un musée Fin-de-Siècle qui retrouve son public après un an de fermeture, deux expositions temporaires à assumer, l’une dédiée à Pierre Alechinsky et l’autre à l’art aborigène. Que les Vlaamse Meesters s’accommodent donc de leur mise à l’ombre temporaire, il y a des priorités dans la vie d’un musée, surtout quand on a plus trop le sou.

La Flandre ferme les yeux. Tente d’imaginer. Le Louvre qui se priverait de la vue de la Joconde, par exemple. Impensable.

Alors pour un instant, la Flandre ferme les yeux. Tente d’imaginer. Le Louvre qui se priverait de la vue de La Joconde, par exemple. Impensable, inconcevable. A croire qu’en Belgique, tout est devenu possible, sans que ce possible soit forcément admissible. Il ne l’est en aucun cas pour la ministre en charge du Tourisme au sein du gouvernement flamand, Zuhal Demir (N-VA). Comment pourrait-il l’être alors que les Vlaamse Meesters sont précisément les vedettes d’un prestigieux parcours touristique lancé par Toerisme Vlaanderen, alors que rien n’a été trop beau pour mettre ces génies du pinceau à l’honneur jusqu’à l’étranger et qu’1,6 million d’euros d’argent flamand a été dégagé pour, entre autres, restaurer les lieux aujourd’hui fermés au public?

Posé sans concertation, le geste « défie toute imagination », en tout cas celle de la ministre. « Moi, je ne fais pas de hiérarchie entre l’art ancien et le fin-de-siècle. Ce n’est pas de gaieté de coeur que nous devons fermer en alternance l’un puis l’autre, mais nous y sommes forcés à cause des coupes budgétaires »: la défense du directeur des MRBAB, Michel Draguet, n’entame pas la conviction en Flandre qu’il y a là un manque flagrant de respect, une marque de dédain et peut-être même une volonté de « sabotage ». Grave.

Ne pas se laisser submerger par l’émotion. Une réplique, ça se mijote, ça se bétonne pour qu’elle soit à la hauteur du préjudice subi à moins que celui-ci ne soit réparé sans tarder. Un accord de coopération n’est pas un chiffon de papier et l’article 6, paragraphe 4, premier alinéa du contrat passé avec l’institution fédérale est formel: par ici les subsides en cas de dérobade. Satisfait ou remboursé, la loi du genre sera appliquée, menace Zuhal Demir sur l’air populaire de feu Madame Thatcher I want my money back. « J’ai cru comprendre que 250 000 euros n’avaient pas encore été versés. Ils ne le seront pas. Et si le musée persiste à dire qu’il ferme la section Old Masters, nous devrons évidemment récupérer notre argent. » Chaque chose en son temps, la riposte sera graduée. D’abord l’envoi d’une lettre sans encore la faire porter par huissier de justice, histoire de rappeler courtoisement mais fermement la direction du musée à ses devoirs et la prier de laisser voir les Vlaamse Meesters. Et pas uniquement pour les beaux yeux de Brad Pitt.

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