Une transaction pénale de 5.000 euros pour la « maladresse » de Di Antonio
L’ex-ministre wallon CDH a payé 5 000 euros de transaction pénale pour enterrer une enquête judiciaire concernant l’expropriation, signée en tant que ministre, de terrains appartenant à une société dont il était actionnaire. Il n’y aura donc jamais de vérité judiciaire.
Si l’affaire des terrains expropriés éclate en mars 2016 dans les colonnes de L’Avenir, c’est une enquête du Vif/L’Express, publiée en mai 2017, qui mettra la justice en émoi. Dans « Le dourocrate« , notre collègue Nicolas De Decker recensait les multiples casquettes de Carlo Di Antonio – entrepreneur, actionnaire, propriétaire, bourgmestre, ministre… – et les risques de conflits d’intérêts que ces casquettes génèrent.
Quatre dossiers étaient évoqués: la signature d’un arrêté ministériel fin 2014 pour réaménager le site des Câbleries de Dour (Hainaut) à côté duquel le ministre possède de l’immobilier qui prendra, du coup, de la valeur; l’octroi systématique de permis communaux au bourgmestre « empêché » afin de transformer des immeubles au centre-ville; le fait que 60% du budget d’intervention de la zone de police locale sont consacrés au Festival de Dour dont le bourgmestre « empêché » est actionnaire; et, bien sûr, cette sombre histoire d’expropriation…
Dans la foulée de cet article, une information judiciaire est ouverte et le ministre Di Antonio est auditionné à Bruxelles par l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Jusqu’à ce jour, rien n’a jamais filtré de cette procédure, pas même son existence. « L’enquête comportait quatre volets sur lesquels j’ai dû me justifier en long et en large », soupire aujourd’hui Carlo Di Antonio. « Un premier volet a très vite été liquidé, deux autres ont été classés après plusieurs mois. Le quatrième, sur le contournement de Dour, a fait l’objet d’investigations durant deux ans. » Le contournement de Dour? Un vieux projet visant à désengorger le centre-ville aux heures de pointe en construisant une voie « coupe-circuit » reliant la N549 (sortie de Boussu) à la N552 (sortie de Dour). Les travaux sont actuellement en cours et l’inauguration de la nouvelle voirie est annoncée pour le printemps 2021.
Que reprochait donc la justice à Carlo Di Antonio, alors ministre wallon des Travaux publics? D’avoir signé, le 23 avril 2014, un arrêté ministériel d’expropriation ciblant 27 parcelles situées sur le tracé de la future voirie. Parmi ces parcelles, trois appartiennent alors à la société Mar’Bob et une à son frère Bob en nom propre. Or Carlo Di Antonio était actionnaire minoritaire de Mar’Bob (1 action) aux côtés de son frère (185 actions) depuis la création de la SPRL en janvier 2007, juste après son élection comme bourgmestre de Dour.
Le mystère du prix des terrains
Il y avait donc comme un conflit d’intérêts entre Carlo Di Antonio l’actionnaire exproprié et Carlo Di Antonio le ministre expropriateur. Et des soupçons de « prise d’intérêt », situation où un mandataire public privilégie ses intérêts privés à l’intérêt général. Interrogé, Carlo Di Antonio ne nous a pas précisé à quels prix ces quatre terrains ont été rachetés à Mar’Bob et son frère, ni si des plus-values ont été réalisées. « C’est le comité d’acquisition qui a fixé les montants », répond-il laconiquement…
Une chose est certaine: Mar’Bob est alors propriétaire de la plus grande (7 ha) des 27 parcelles expropriées en tout ou en partie. Et avec 6.655 m² expropriés sur les 18.480 m² visés par l’arrêté ministériel (36%), Bob et Mar’Bob sont les premiers bénéficiaires potentiels de cette opération d’expropriation (voir tableau ci-dessous), loin devant l’Intercommunale de développement économique et d’aménagement du coeur du Hainaut (IDEA).
La vérité judiciaire sur ces éventuelles plus-values et leurs bénéficiaires ultimes? On ne la connaîtra jamais: « Une transaction pénale simple a été conclue avec Carlo Di Antonio pour une affaire qui n’a pas été mise à l’instruction », a confirmé au Vif et au Soir le procureur général de Liège Christian De Valkeneer (étiqueté cdH). C’est en effet le parquet général de la cour d’appel de Liège qui a hérité du dossier « dans le cadre d’un privilège de juridiction dont bénéficiait monsieur Di Antonio », précise encore Christian De Valkeneer. Lorsqu’un dossier judiciaire touche un ministre (ou un magistrat), il est automatiquement traité au niveau d’une cour d’appel, pas d’un « simple » tribunal de première instance. C’est ce qu’on appelle un « privilège de juridiction ».
La « maladresse » était une infraction pénale
« En août 2019, au terme de l’enquête policière, j’ai été auditionné par le procureur général », explique Carlo Di Antonio. « J’ai plaidé ma bonne foi et rappelé que j’avais suivi le projet de l’administration qui était le moins coûteux. Néanmoins, le procureur général m’a indiqué qu’il aurait été plus prudent de confier, pour signature, la proposition de l’administration à un de mes collègues du gouvernement wallon dès lors qu’il pouvait y avoir une apparence de contrariété d’intérêts. Il m’a alors proposé une transaction qui mettrait fin à l’action publique sans reconnaissance de culpabilité. J’ai accepté cette transaction de 5.000 euros vu son montant raisonnable eu égard aux frais d’une éventuelle procédure en justice. »
Quand l’affaire des terrains expropriés a éclaté en 2016 sous la plume de nos confrères Martial Dumont et Yves Raisière, le ministre-président wallon Paul Magnette (PS) a évoqué « une maladresse » de la part de Carlo Di Antonio. Le ministère public, lui, y a vu une infraction pénale.
Transaction pénale « simple » ou « élargie »?
Mise en place en 1935, la transaction pénale « simple » est initiée par le ministère public au stade de l’information judiciaire, quand le parquet est seul aux commandes d’une enquête. Elle est laissée à la libre discrétion du magistrat en charge du dossier et des poursuites éventuelles. Plus de 97% des transactions pénales conclues en Belgique sont des transactions « simples », les plus fréquentes étant les amendes routières. Contrairement à la transaction pénale « élargie » mise en place en 2011 pour solder financièrement des affaires au stade de l’instruction voire du procès, la transaction « simple » ne doit pas être motivée par le magistrat et n’est soumise à aucun contrôle extérieur (chambre du conseil ou chambre des mises en accusation). Le procureur est seul « juge ».
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