Mélanie Geelkens

Une sacrée paire par Mélanie Geelkens: « le féminisme, seule révolution à avoir su rester digne » (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Valerie Solanas n’appelait pas à détester les hommes ni simplement à boycotter leurs réalisations. Mais bien à les « tailler en pièces ». Battue par son grand-père, violée par son père (sans doute aussi par son beau-père), SDF à 15 ans, deux fois enceinte avant sa majorité… La haine de Valerie Solanas a sans doute quelques circonstances atténuantes.

Son idée fixe: « toujours baiser, baiser ». Pour cela, il « n’hésitera ni à nager dans un océan de merde ni à s’enfoncer dans des kilomètres de vomi, s’il a le moindre espoir de trouver sur l’autre rive un con bien chaud ». Si minable qu’il faudrait l’exterminer, l’homme. Eradiquer de la surface de la Terre jusqu’au dernier porteur du gène Y, ce chromosome « incomplet », cet « accident biologique […], une fausse couche ambulante, un avorton congénital ».

Pauline Harmange, Alice Coffin (1), allez donc faire des origamis de vos livres soi-disant extrémistes. Valerie Solanas n’appelait pas à détester les hommes ni simplement à boycotter leurs réalisations. Mais bien à les « tailler en pièces », traduction de l’acronyme anglais Scum Manifesto, le titre de son manifeste publié pour la première fois en français en 1971. Cinquante ans plus tard, la maison d’édition Mille et une nuits proposera en février prochain une réédition de ce pamphlet dont le premier paragraphe suffit à donner le ton. « Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne reste qu’à […] supprimer le sexe masculin. » Accusé d’être responsable de: la guerre l’argent le mariage la prostitution la maladie mentale l’isolement l’impossibilité de la vie communautaire le conformisme l’autorité le gouvernement la religion les préjugés les classes sociales l’ennui l’impossibilité de l’amour et de l’amitié…

Eradiquer de la surface de la Terre jusqu’au dernier porteur du gu0026#xE8;ne Y, cet u0022accident biologiqueu0022.

Battue par son grand-père, violée par son père (sans doute aussi par son beau-père), SDF à 15 ans, deux fois enceinte avant sa majorité… La haine de Valerie Solanas a sans doute quelques circonstances atténuantes. Elle a essayé de tuer un homme, une fois. Un certain Andy Warhol, dont elle n’avait pas supporté qu’il refuse de produire sa pièce de théâtre. Radicale dans les gestes comme dans la parole.

(Re)publiée, pourtant. Une pensée subversive, mèche inflammable du débat public. Il faut parfois promettre une explosion pour que se déclenchent quelques petits foyers. Le féminisme est une révolte, un renversement de l’ordre établi. Scum Manifesto est d’ailleurs défini par son éditeur comme un « magnifique coup d’Etat verbal ». Mais si ç’avait été un homme, qui avait appelé à l’éradication des femmes? Si, sous couvert d’élans révolutionnaires, un auteur avait proposé de décimer les Juifs, les Noirs, les pauvres, les nantis, les élus, les patrons? Misogynie, racisme, terrorisme, incitation à la haine.

Aucune maison d’édition ne donnerait de tribune à ceux-là (et nul ne s’en plaindra). Parce qu’ils seraient pris au sérieux, eux. Personne n’essayerait d’y déceler un second degré humoristique, analytique, caché. Valérie Solanas, bien qu’appelant à l’assassinat, n’est estampillée que de « radicale ». Une divertissante, une originale. Une folle, peut-être (elle fut diagnostiquée schizophrène paranoïde et mourut dans le plus grand isolement en 1988). Mais pas une dangereuse, une inoffensive. Comme si ses lectrices étaient tout bonnement incapables de la prendre au mot. Le mythe de la brave fille. Gentille dominée.

Et, de fait, malgré les viols les violences les féminicides les brimades les inégalités, aucune porteuse d’ovaires n’a jamais pris un couteau, un flingue, pour percer au hasard la peau de salauds accusés de tous les maux. Aucun attentat misandre. Etonnant, tout de même. Le féminisme, seule révolution à avoir su rester digne. N’en déplaise à Valerie Solanas.

(1) Auteures respectivement de Moi les hommes, je les déteste et du Génie lesbien, éditions Seuil et Grasset.

Le livre

Un homme qui écrit sur le féminisme, c’est rare. Encore plus si ce n’est pas pour le critiquer. Le livre Un bon féministe, de l’Espagnol Iván Repila (éd. Chambon), est sorti en librairie le 6 janvier. L’auteur de ce roman raconte l’histoire d’un jeune journaliste qui, convaincu que l’égalité hommes-femmes ne s’atteindra qu’au prix d’une révolution, décide d’aider la cause en fondant… un groupuscule de sexistes radicaux, pour provoquer un électrochoc sociétal.

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stations de métro de la Stib, à Bruxelles, portent le nom d’une femme. Sur 59 arrêts (dont 29 dédiés à des hommes). La collective « Noms Peut-Etre », qui milite depuis deux ans pour davantage de parité au sein de l’espace public, a frôlé l’apoplexie en apprenant que l’arrêt de bus « Parc » venait d’être rebaptisé « Kris Lauwers », directeur adjoint de la société de transport, récemment parti à la retraite. Un cadeau de départ symbolique, a justifié la Stib. Et temporaire, puisqu’en avril la station sera définitivement rebaptisée. Par un patronyme féminin, cette fois?

Une Belge aux Oscars?

Matriochkas, réalisé par l’actrice et réalisatrice belgo-américaine Berangere McNeese, a été présélectionné pour les Oscars, dont la cérémonie doit se dérouler le 25 avril prochain. Ce court métrage, qui aborde la thématique de la grossesse chez une adolescente qui découvre sa sexualité, est aussi dans la short list des 24 films sélectionnés dans cette catégorie aux César. Le film a déjà remporté un Magritte et divers prix internationaux, dont un à Palm Springs, ce qui lui a donné accès à la prestigieuse remise de prix américaine.

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