Mélanie Geelkens
Une sacrée paire de rues: « 139 rues portent des noms féminins sur les 19 communes bruxelloises » (chronique)
Dans une carte interactivite, l’association Noms Peut-être! a transcrit le nom des rues portant des noms de femmes en mauve ou d’hommes en jaune. Sur toutes les appelations de rues désignant des personnes, uniquement 6,7% porte des noms féminins.
C’est qui, cette Louise? On ne voit qu’elle, là, en mauve, en plein milieu de la capitale. C’est pas parce qu’elle fut princesse de Belgique y’a un siècle qu’elle peut se pavaner comme ça. Marie de Hongrie, elle était reine, elle, mais elle fait la discrète, à l’ouest de Ganshoren. Pareil pour Elisabeth, épouse d’Albert Ier, qui se remarque à peine à Schaerbeek, pas davantage que Marie-Henriette, à Ixelles.
En plus, Louise, c’est pas pour dire, mais si t’as donné ton nom à l’une des plus grandes avenues bruxelloises, c’était juste pour faire plaisir à ton papa, Léopold II. Pareil pour la place de ta soeur Stéphanie, pas loin. Alors, faites pas trop les malignes. En plus c’est facile, quand on a le sang bleu, de s’offrir un bout de bitume. Y’a quasi que ça, des porteuses de couronnes, sur les plaques. Ou alors il faut être mère du Christ, comme Marie, à Woluwe-Saint-Lambert. Ou mère de la mère du Christ, comme Anne, à Laeken. A la limite sainte (Thérèse d’Avila, Alice de Schaerbeek). L’essentiel, en fait, c’est d’être liée à un monsieur important. Si pas par la foi, alors par alliance. Ainsi Marie-Thérèse Jeanne Camusel a légué son patronyme à une artère de Bruxelles-Ville, mais sa fiche Wikipedia mentionne juste, comme faits d’armes, qu’elle était la fille et l’épouse de deux avocats, bien bourgeois. Pareil pour Alice de Castonier, mais elle, même pas une notice dans l’encyclopédie en ligne. On sait juste qui c’est parce qu’elle est mentionnée dans celle de son époux (encore un type en toge) et qu’apparemment, c’est tout ce qui est digne d’être su à son propos.
Evidemment, la liste est courte. 139 noms féminins sur les territoires des 19 communes, soit 6,7% de toutes les appellations de rues désignant des personnes. Pour 93% d’hommes, selon le relevé minutieux établi par l’association Noms Peut-être! , qui a tout transcrit sur une carte interactive en ligne. Les premières y sont dessinées en mauve, les seconds en jaune. Le déséquilibre saute aux yeux. Et s’il n’y avait pas cette Louise, la crâneuse de la grande avenue, les autres pourraient passer complètement inaperçues.
Il faut bien zoomer pour les dénicher, les Andrée Payfa (première bourgmestre de l’agglomération), Marie Janson (première sénatrice belge), Eliane Vogel-Polsky (juriste qui s’est battue pour la reconnaissance de l’écart salarial), Séverine (alias Caroline Rémy, écrivaine et journaliste féministe française)… Les artistes, tiens, ça marche aussi: la violoniste Lola Bobesco, la mezzo-soprano Marie Malibran, la soprano Nellie Melba… Et c’est super, vraiment.
Mais ce serait cool aussi qu’il ne faille pas faire de la jolie musique (classique, bien sûr) pour que le territoire urbain leur rende hommage. Un boulevard Janine Lambotte (photo), première présentatrice du JT en Europe, pas loin de la RTBF? Une chaussée Isala Van Diest, première femme médecin belge, près de l’ULB? Une route Sophie Wilmès aux alentours du quartier européen? Une allée Charlotte E. Ray, première avocate noire américaine, vers le palais de justice? Parce que, ah oui, elles sont toutes blanches, les 139. Evidemment.
Alors, qu’on vire quelques gars. Lazare de Béthanie ne va plus ressusciter pour s’indigner d’avoir cédé sa place à une dame, à Saint-Josse. Archimède est resté célèbre depuis 212 avant Jésus-Christ et, en plus, il s’accrocherait à une allée à Bruxelles? Faut pas pousser! Et Léopold II! A lui seul: une avenue, un square, un tunnel. Partagez un peu, sire, le monde change, la ville le doit aussi. Et puis vous étiez bien content, que des morceaux de macadam rendent gloire à vos deux filles.
Noms peut-être! Des idées?
Dénoncer, c’est bien. Proposer un changement, c’est mieux. La « collective » Noms Peut-être!, qui a réalisé une carte interactive des noms de rues à Bruxelles, a décidé de lancer un appel aux idées. Quelles femmes (y compris non blanches et non cisgenres) pourraient baptiser de leurs matronymes les artères bruxelloises? Les propositions peuvent être adressées à l’association via son site Web et une liste sera envoyée aux 19 communes. Au cas où elles manqueraient, comme par le passé, d’inspiration…
M’explique pas la vie, mec!
Tel est le titre de la nouvelle bande dessinée de la militante et journaliste française Rokhaya Diallo et de l’illustratrice Blachette (éd. Marabout). Un livre (inspiré des propres expériences de l’auteure) qui évoque le mansplaining. Les Canadiens ont traduit le concept par mecsplication: le fait que les femmes, lorsqu’elles discutent avec des hommes ou prennent la parole dans un débat public, se font régulièrement soit interrompre par ces messieurs, soit expliquer une thématique qu’elles maîtrisent pourtant parfaitement. Aux Etats-Unis, le terme avait été inventé par une écrivaine, Rebecca Solnit, à qui un confrère avait conseillé la lecture d’un ouvrage… qu’elle avait elle-même rédigé!
La phrase
« Même si je suis peut-être la première femme à occuper ce bureau, je ne serai pas la dernière, parce que chaque petite fille qui [nous] regarde ce soir voit que c’est le pays des possibles. » Kamala Harris, première vice-présidente des Etats-Unis, lorsque la victoire de Joe Biden a été confirmée, le 7 novembre.
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