Mélanie Geelkens

« Une sacrée paire de degrés »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Au plafond de la rédaction du Vif/L’Express sont accrochées deux grandes feuilles d’un vieux calendrier 2019. Il fallait le voir, ce gentil collègue (bonjour, Pierre !), grimper sur les bureaux pour tenter de scotcher ces A3 sur les bouches d’aération, à la place des deux (trop petites) instigatrices de cette étonnante décoration.

D’autant plus aimable que ses acrobaties furent vaines : elles se les gèlent toujours autant, dans l’open space. Il ne lui a pas fallu deux semaines, à la nouvelle rédactrice en chef du magazine, pour s’équiper d’un châle. Son prédécesseur, lui, se promenait pourtant la fine chemise allègrement déboutonnée, tandis que des collègues masculins (essentiellement ceux soulevant de la fonte en salle) défient constamment l’hiver de leurs tee-shirts manches courtes. Pendant ce temps-là, les femmes s’emmitouflent dans des doudounes ou d’épais gilets tout juste bons, paraît-il, à sortir les poubelles.

Putain d' » homme référence « . La quarantaine, Blanc, svelte. Banal. Dans les années 1960, des gars qui devaient fort lui ressembler ont décidé qu’il servirait de modèle pour fixer le nombre de degrés dans les bâtiments, comme l’ont épinglé deux scientifiques néerlandais, en 2015, dans la revue Nature. Pas trop grave : à l’époque, bobonne restait aux fourneaux, ça réchauffait. Sauf que la norme a perduré, même quand ces dames se sont mises à bosser. C’est sans doute pour ça, que tant d’entreprises discriminent encore les femmes à l’embauche. Par égard pour leur confort thermique…

Parce que, voilà, c’est scientifiquement établi : il leur faut du 24, 25 degrés pour ne pas cailler. Eux peuvent se contenter de 21, 22. Question de corps. Le métabolisme masculin est ainsi fait qu’il transforme plus rapidement les calories ingérées en énergie, par rapport à sa version féminine. Puis, il y a les hormones, qui influent sur la perception de la température. Or, elles fluctuent, chez les femelles, merci cycle menstruel. Les pieds gelés, les mains froides, les thermostats augmentés en cachette des compagnons, c’est aussi de la faute de la peau, de la graisse, de la taille… Bref, de raisons physiques. Naturelles.

 » La biologie ne suffit pas à fournir une réponse à la question qui nous préoccupe : pourquoi la femme est-elle l’ Autre ?  » Love you, Simone (de Beauvoir) (1). Que la moitié de la planète soit physiologiquement différente est un fait, pas un problème. Le hic, en revanche, c’est que seules les caractéristiques de l’autre moitié comptent. Pour décider du nombre de degrés dans les bureaux, mais aussi pour élaborer des médicaments, pour urbaniser les villes, pour concevoir les smartphones, pour tester les ceintures de sécurité dans les bagnoles… Tellement d’exemples que la journaliste britannique Caroline Criado-Perez en a même tiré un livre de 432 pages, Femmes invisibles. De son sous-titre :  » Comment le manque de données sur les femmes dessine un monde fait pour les hommes « . Elle a reçu le prix McKinsey du business book de l’année 2019. Pas vraiment le genre de récompense attribuée à des délires féministes hystériques.

 » Partout dans le monde, écrit Caroline Criado-Perez, les femmes continuent d’être désavantagées par une culture […] fondée sur la conviction idéologique que les besoins des hommes sont universels.  » Simone (encore elle ! ) le scandait déjà il y a septante ans : les caractéristiques masculines (virilité, force, capacité à se balader en tee-shirt par moins cinq degrés…) ne s’imposent comme des normes que par construction sociale. Or, tout ce qui a été construit peut être déconstruit. Voilà voilà, c’est dit : Monsieur Référence n’existait pas. Maintenant que ça se sait, faudrait commencer à évoluer.

(1) Dans Le Deuxième Sexe.

C’est pas gagné

Etre réglée en Inde, ça craint. S’acheter des protections périodiques est un parcours bien difficile puisqu’elles ne se vendent pas toujours dans les supermarchés (rendez-vous dans le petit magasin flippant caché entre deux ruelles). Une mentalité qui n’a pas épargné, mi-février, des étudiantes d’une université hindoue de la ville de Bhuj. Elles ont été forcées de se déshabiller pour vérifier si elles étaient réglées, car l’école les oblige de se mettre à l’écart pendant leurs menstruations.  » Cachez ce sang menstrué que je ne saurais voir !  »

28,5

L’âge moyen auquel les femmes recourent à un avortement, selon le dernier rapport de la Commission nationale des IVG, présenté le 11 février, après neuf ans d’absence statistique sur le sujet. Un mémorandum adressé au Parlement propose une série de recommandations pour permettre de diminuer le nombre d’IVG : délivrance de la pilule du lendemain gratuite et sans ordonnance, distributeurs de préservatifs gratuits dans les écoles, sensibiliser les femmes de plus de 25 ans (qui n’ont pas toujours accès à la contraception gratuite)…

 » Woman  » : paroles de femmes

© DR

Un des indicateurs qui révèlent la bonne santé d’un pays est la place qu’il accorde aux femmes. Le constat mondial est loin d’être glorieux : moins de 10 % des pays sont gouvernés par une dirigeante, une femme sur trois subit des violences durant sa vie, 70 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes. Le film Woman, réalisé par Anastasia Mikova et Yann Arthus-Bertrand, a interrogé près de 2 000 femmes, de 40 pays différents, pour souligner ces injustices mais surtout montrer comment elles les surmontent. Sortie prévue le 11 mars. E. M.

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