« Une refonte de la loi relative aux étrangers s’impose »
La loi belge du 15 décembre 1980 qui régit l’accès au territoire, la résidence, l’établissement et l’éloignement des étrangers doit faire l’objet d’une « refonte en profondeur », a déclaré André Henkes, le procureur général auprès de la cour de cassation, lors de son discours de rentrée judiciaire.
Il a formulé deux propositions visant à l’améliorer. L’une invite à raccourcir les délais pour examiner la légalité des décisions de privation de liberté d’étrangers, l’autre plaide en faveur d’un pouvoir élargi des juridictions d’instruction qui sont amenées à examiner la légalité de ces décisions.
Le procureur général auprès de la cour de cassation a centré son discours de rentrée judiciaire sur le droit des étrangers. La cour de cassation a en effet été très souvent amenée, ces dernières années, à juger sur la forme les décisions rendues par des juridictions d’instruction à propos de la légalité de priver un étranger de sa liberté.
Le haut magistrat est convaincu qu’aujourd’hui, il faut « concevoir une vision durable de la politique d’asile et de migration » et la présenter « dans un texte […] énonçant de manière accessible et transparente les droits et obligations des ressortissants étrangers en matière de séjour ».
Pour celui-ci, une évolution s’impose au regard de l’actualité migratoire. La crise d’asile a sans conteste eu un impact sur la loi belge de 1980 régissant le statut des étrangers, selon le procureur. La loi a dû faire fasse à diverses réformes, notamment celle de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, celle de la Convention relative aux droits de l’enfant ainsi qu’à l' »européanisation » du droit des étrangers qui oblige la Belgique, en tant qu’état membre, à mettre sa réglementation en conformité avec les directives européennes.
« Face à ces évolutions, la loi est devenue extrêmement complexe voire illisible, donnant lieu à une sécurité juridique insuffisante pour l’étranger », a avancé André Henkes.
Dans son exposé, le procureur général a rappelé que les juridictions d’instruction (chambre du conseil et chambre des mises en accusation) ne pouvaient opérer qu’un contrôle de la légalité d’une mesure de privation de liberté d’un étranger, l’opportunité de prendre une telle mesure étant uniquement de la compétence de l’autorité administrative (Office des étrangers).
Et, lorsqu’une décision de privation de liberté est déclarée illégale, l’autorité administrative a toutefois encore la possibilité de délivrer un nouveau titre autonome de privation de liberté ou une mesure d’éloignement, a constaté André Henkes. Celui-ci en conclut que les recours auprès du pouvoir judiciaire contre ce type de décisions manque d’efficacité. Afin de permettre au justiciable de pouvoir exercer de manière effective le recours prévu par la loi, il avance deux propositions.
La première consiste à raccourcir les délais afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. « Par le passé, [cette cour] a déjà condamné la Belgique à plusieurs reprises en raison de la violation de l’article 5, paragraphe 4, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, parce que l’étranger détenu n’a pu obtenir que le juge statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si cette détention est illégale », a expliqué André Henkes.
La seconde vise à étendre la compétence des juridictions d’instruction afin qu’elles puissent se prononcer non seulement sur la légalité d’une mesure de privation de liberté d’un étranger mais aussi sur le bien fondé d’une telle mesure.
« La différence entre la compétence de la juridiction d’instruction en matière de détention préventive et celle qui lui est conférée en cas de recours de l’étranger contre une mesure administrative de privation de liberté est grande », a-t-il exposé. « Dans le cadre de la loi relative à la détention préventive, la juridiction d’instruction doit effectuer à la fois un contrôle de légalité et une appréciation sur l’opportunité. Autrement dit, elle doit veiller tant à la légalité du mandat d’arrêt qu’à la nécessité du maintien de la détention pour la sécurité publique », a-t-il poursuivi. Mais en ce qui concerne une mesure administrative de privation de liberté d’un étranger, les juridictions d’instruction ne peuvent qu’examiner la légalité de la décision.
« Toutefois, il ne serait pas illogique qu’un étranger n’ayant commis aucune infraction et privé de liberté au seul motif qu’il se trouve illégalement sur le territoire, puisse à tout le moins bénéficier du même contrôle par le juge qu’une personne privée de liberté parce qu’il existe des indices sérieux de culpabilité du chef d’une infraction grave et que la détention est absolument nécessaire à la sécurité publique. […] Le pouvoir judiciaire doit garantir le respect du droit à la liberté individuelle et protéger contre l’arbitraire et les abus de pouvoir. […] Toute personne privée de liberté – belge ou étrangère, coupable ou innocente – doit pouvoir bénéficier d’un recours de pleine juridiction auprès du pouvoir judiciaire », a avancé André Henkes.
Le procureur général s’est toutefois dit favorable au fait que le contrôle de la légalité de la mesure administrative de privation de liberté d’un étranger soit confiée au Conseil du contentieux des étrangers plutôt qu’au pouvoir judiciaire.
« À l’heure actuelle, certains juges du pouvoir judiciaire ordinaire ne sont que sporadiquement confrontés à une contestation en la matière et ne maîtrisent donc pas à suffisance les aspects techniques du droit des étrangers. Le Conseil du contentieux du droit des étrangers, en revanche, est une juridiction spécialisée déjà familiarisée avec la majeure partie du sujet », a-t-il dit.
Néanmoins, un tel changement nécessiterait une révision de la Constitution.