Carte blanche
Une politique de relance ne suffit pas pour sortir gagnants de la crise du coronavirus (carte blanche)
Adopter une politique de relance n’est pas suffisant. Nous n’aurons une chance de sortir gagnants de la crise du coronavirus que si nous profitons de l’élan insufflé pour le convertir en volant d’inertie au profit de la qualité de notre gouvernance. Et cela doit également se traduire au cours de la phase cruciale qui nous attend.
Pour beaucoup, la relance économique n’est qu’affaire de mots : « timely, targeted, temporary ». Temporary : la relance doit donner un coup de pouce temporaire à l’économie. Targeted : les dépenses de stimulation ne peuvent être saupoudrées aléatoirement, mais doivent être ciblées sur certains secteurs spécifiques, aptes à en faire le meilleur usage. Timely : il est essentiel que les ressources soient affectées en temps opportun dans un secteur qui, au moment considéré, performe encore largement en deçà de son potentiel afin de pouvoir profiter d’un effet de levier maximal.
Vision panoramique
Il s’agit d’identifier les zones d’action où les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle temporaire. Il est essentiel que notre pays pose des choix stratégiques au lieu de se contenter de donner un coup de pouce à l’économie. La promotion de la formation continue, l’instauration d’une culture de l’apprentissage, la remédiation aux inadéquations du marché du travail : pour acquitter la facture, nous avons besoin de ce genre d’interventions qui portent leurs fruits à long terme et renforcent les fondements économiques. Or, en Belgique, dont la culture de la responsabilité est déficiente, il est plus aisé de trouver un consensus sur la distribution de l’argent que sur les choix intelligents à faire. À cet égard, notre patience arrive à ses limites. La crise du coronavirus marque plus qu’un simple coup d’arrêt temporaire de l’économie. Le monde de l’après-coronavirus sera différent.
Handicaps
Dans l’optique d’une politique de relance efficace, la Belgique présente une série de handicaps. L’un d’eux résulte de sa culture budgétaire chaotique : en temps de vaches grasses, on trouve toujours de bonnes excuses pour ignorer les conseils visant à la création de tampons. À présent que nous devons faire face à une catastrophe avérée, nous sommes confrontés d’emblée à des niveaux d’endettement astronomiques. Une politique prudentielle anticipe les chocs en dégageant des marges. En second lieu, on part assez vite du principe que nous resterons assez longtemps dans une situation où les taux d’intérêt seront inférieurs à la croissance économique. C’est là une hypothèse cruciale qui présuppose qu’une explosion temporaire de la dette restera temporaire. L’importance de la croissance économique ne peut être sous-estimée.
Dans certaines circonstances, le choix de dépenses judicieuses peut exercer un effet de levier positif, mais dans notre pays, ces circonstances sont extrêmement précaires. La Belgique expose déjà d’importantes dépenses pour certaines priorités comme l’enseignement, la santé et l’innovation et le défi consiste avant tout à effectuer un saut qualitatif en matière d’efficacité et de choix intelligents. Avant la crise du coronavirus, un examen de l’efficience et de l’efficacité des dépenses consenties dans les secteurs de l’enseignement, des pensions, des soins de santé et de la politique climatique était déjà essentiel ; une fois cette crise passée, il en va toujours ainsi. Une bonne gouvernance implique qu’en lieu et place de l’improvisation actuelle, un travail de réflexion sérieux soit engagé alors que ce genre de considération est souvent mis au frigo.
Une relance mûrement réfléchie devrait à présent activer les volets intelligents du pacte d’investissement. À titre d’exemples, citons l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments publics ainsi que le développement de réseaux électriques intelligents et des capacités de stockage. Une numérisation intelligente de nos services publics apparaît également indiquée. L’équilibre entre politique qualitative et quantitative doit être le fil rouge à suivre. Nos transports publics ont-ils simplement besoin de plus d’argent à injecter dans la SNCB ou cela n’a-t-il de sens que si cette solution est utilisée à la manière d’un pied-de-biche, pour forcer l’instauration d’une bonne gouvernance au sein de nos sociétés de transport ?
Tabous
L’importance que revêt une relance effective après la crise du coronavirus impose que l’on brise certains tabous. Pensez à l’obstacle du travail de soirée et de nuit qui a fait rater le train de l’e-commerce à notre pays. La simplification administrative et une véritable avancée enregistrée au niveau de la paralysie des grands chantiers dans notre pays, grâce à une réforme du droit administratif, illustrent ce que pourrait être la relance la plus efficace sans que cela ne coûte le moindre centime.
Tout cela n’est possible que si les partenaires sociaux prennent leurs responsabilités. Allons-nous profiter de l’élan induit par la crise du coronavirus pour combattre nos syndromes structurels ? Les décideurs politiques qui privilégient l’impact d’un pacte de relance plutôt qu’une politique de redistribution servant simplement à acheter un capital sympathie savent quoi faire.
Ivan Van de Cloot – Économiste en chef de l’Itinera Institute et professeur à l’Antwerpen Management School
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