Une plainte contre l’Etat belge pour crime contre l’humanité au Congo introduite jeudi
Quatre femmes nées au Congo citent l’Etat belge devant le tribunal civil de Bruxelles pour avoir organisé l’enlèvement systématique d’enfants métis pendant la période coloniale. Il s’agit d’une action en responsabilité civile, sur base d’une plainte pour crime contre l’humanité.
C’est la première fois qu’une demande de qualifier la politique coloniale d’un pays de crime contre l’humanité est déposée en justice. L’action sera introduite jeudi matin devant le tribunal. L’audience sera consacrée uniquement à l’élaboration d’un calendrier d’échange de conclusions entres les parties.
Les cinq plaignantes, quatre Belges et une Française, réclament justice à la Belgique pour avoir organisé une ségrégation raciale dont elles sont parmi les victimes. Ces femmes sont toutes nées au Congo, entre 1946 et 1950 – alors que le pays était une colonie belge – de l’union d’une Congolaise et d’un Belge. Elles ont été arrachées à leur foyer pour être placées dans des orphelinats comme de nombreux autres enfants métis.
En 2018, Charles Michel, alors Premier ministre, a présenté ses excuses au nom de l’Etat belge pour la ségrégation des enfants métis au Congo, au Rwanda et au Burundi. Mais pour les plaignantes, ces excuses ne suffisent pas. Elles réclament réparation, demandant une somme provisionnelle de 50.000 euros chacune, dans l’attente de l’évaluation de leur dommage par un expert.
Durant la période au cours de laquelle le Congo était une colonie belge, entre 1908 et 1960, l’Etat belge a cherché à empêcher les unions interraciales et à en cacher les conséquences. Comme en témoigne le Congrès des Races, organisé à Londres en 1911, toutes les puissances coloniales européennes se préoccupaient de ces relations entre colons et autochtones.
Dès la même année, sur base de deux décrets destinés à protéger les enfants abandonnés au Congo, l’administration belge a placé dans des orphelinats de nombreux enfants métis qui n’étaient ni abandonnés ni délaissés, ni orphelins ni trouvés. Plus tard, en 1952, ces deux décrets ont été remplacés par un autre qui accordait à des commissions administratives le pouvoir de décider quels enfants relevaient ou non de la tutelle de l’Etat.
« Ce sont des rapts d’enfants métis qui sont organisés par l’Etat belge et mis en oeuvre avec le concours de l’Eglise. Les enfants issus d’une union mixte doivent être placés dans des missions catholiques qui se trouvent sur le territoire du Congo belge », exposent dans leur citation les avocats de la partie demanderesse, Me Michèle Hirsch et Me Christophe Marchand. « Les fonctionnaires de l’Etat colonisateur belge reçoivent à l’époque des instructions pour organiser les enlèvements des enfants métis. C’est le Recueil à l’usage des fonctionnaires et Agents du service territorial qui encourage les agents territoriaux à contraindre les mères congolaises, même lorsqu’elles sont immatriculées au ‘registre de la population indigène civilisée’, à l’abandon de leur enfant au profit d’un placement dans une mission d’éduction soumise au contrôle de l’Etat », citent-ils sur base d’archives et de témoignages.
Les cinq plaignantes ont ainsi été arrachées à leurs mères alors qu’elles étaient âgées entre 2 et 4 ans. « Certaines d’entre elles sont nées de père déclaré inconnu sur leurs documents, alors qu’il ne l’était pas. Dans tous les cas le père n’exerçait pas l’autorité parentale. Elles sont enlevées à leur mère par l’administration belge qui menace leurs familles congolaises de représailles en cas de refus », déclarent les avocats.
« Elles sont placées à la mission religieuse de Katende, dans la province du Kasaï chez les Soeurs de Saint Vincent-de-Paul, où elles résident avec une vingtaine d’autres jeunes filles métisses et des orphelins. Les conditions de vie y sont extrêmement difficiles […] Certaines y subissent des maltraitances et des privations de nourriture. Les locaux sont insalubres et les enfants à peine vêtus, mais le plus douloureux reste le manque de repères et d’affection. Pendant toute leur enfance [elles] ont été qualifiées ‘enfants du péché’, ‘enfants de la honte’, et elles portent encore aujourd’hui les stigmates de ces mots blessants […] », avant d’être abandonnées et livrées à elles-mêmes après l’indépendance du Congo en 1960, relatent les conseils de ces cinq femmes.