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Une pilule belge « anti-obésité » bientôt commercialisée, que faut-il en attendre ?

Le professeur Patrice Cani (UCLouvain) est, avec son équipe, à la base de la découverte d’une bactérie intestinale ayant un impact sur le la prise de poids : Akkermansia muciniphila. Commercialisée cette année, cette bactérie qui sera sous forme de complément alimentaire est très attendue. Est-ce pour autant une solution miracle ? Pas pour le chercheur. Entretien.

Akkermansia muciniphila, ce nom aussi compliqué à prononcer qu’à écrire est pourtant une bactérie intestinale qui pourrait changer la vie de beaucoup de personnes en surpoids. Près d’un Belge sur deux possède un IMC (indice de masse corporelle) au-dessus de la moyenne, et un Belge sur six souffre d’obésité, selon Sciensano. L’une des conséquences majeures est le diabète, dont sont atteints plus de 6% des Belges. Alors oui, il faut avoir une alimentation saine. Oui, il faut faire du sport. Mais d’autres facteurs entrent en jeu, notamment le microbiote intestinal, qui a plus de pouvoir qu’on ne le croit. Il est devenu le terrain de jeu de Patrice Cani, à l’origine de la découverte des effets de la bactérie Akkermansia. À la fois professeur à l’UCLouvain, directeur de recherches FNRS et investigateur WELBIO, il travaille depuis plus de vingt ans sur le tube digestif. Son motto ? « In gut we trust » (en l’intestin, nous croyons). Rencontre.

Comment en êtes-vous arrivé à découvrir que la bactérie Akkermansia était liée à l’obésité et au diabète ?

C’était vraiment par hasard. Je travaillais sur les mécanismes d’interaction entre le diabète de type 2, associé à l’obésité et au surpoids. Nous avons lancé des expériences sur des souris en surpoids en émettant l’hypothèse qu’en leur donnant des prébiotiques (c’est-à-dire des substances alimentaires qui nourrissent certaines bactéries intestinales), le microbiote allait être modifié. Jusque-là, c’était attendu. Mais en analysant de plus près, nous avons remarqué que la bactérie Akkermansia muciniphila (découverte en 2004 par le professeur Willem De Vos) était fortement impactée et que les animaux en bonne santé en avaient naturellement beaucoup, tandis que les sujets obèses ou diabétiques en avaient très peu, voire pas du tout. Et c’est une observation que nous avons faite par après chez l’humain.

Au-delà de cette corrélation, qu’est-ce que cette bactérie fait au corps qui peut favoriser ou non la prise de poids ?

Au début, on n’en savait rien et encore moins que Akkermansia avait des effets bénéfiques sur la santé. Et ça, ça a été notre contribution scientifique, c’est-à-dire de décortiquer ses mécanismes d’action. Avant cette découverte, nous avions déjà constaté que la fonction barrière de l’intestin était altérée lorsqu’une personne était atteinte de diabète ou d’obésité, en quelque sorte la barrière était plus poreuse. Et grâce aux expériences en laboratoire, nous avons découvert que chez les animaux traités avec Akkermansia, leur barrière intestinale était renforcée, et donc, plus imperméable.

En quoi cela a un impact sur le poids ?

Si la barrière intestinale est diminuée, certains constituants peuvent passer comme des toxines bactériennes qui modifient le fonctionnement de nos organes. En diminuant la perméabilité de l’intestin à l’aide d’Akkermansia, le passage des toxines diminue et cela va de pair avec moins de gain de poids corporel, moins de masse grasse, un taux de sucre dans le sang plus bas,… On a découvert qu’Akkermansia était le gardien de but de la barrière intestinale !

Pourquoi certains sujets en ont moins à la base que d’autres ?

La principale raison identifiée chez les souris est une alimentation riche en graisses, surtout saturées. Elles altèrent la couche de mucus qui forme la barrière intestinale, et c’est la principale source d’énergie d’Akkermansia. Par exemple, les personnes qui adoptent une alimentation méditerranéenne (riche en graisses insaturées, fibres et oméga 3) ont une meilleure teneur en Akkermansia, donc manger plus de fruits et de légumes contribue aussi à l’augmenter.

Donc il « suffit » de faire en sorte d’avoir plus d’Akkermansia à travers l’alimentation ?

Théoriquement oui, sur base de toutes les études qu’on avait faites en laboratoire, je me disais la solution était simple : les prébiotiques augmentent le taux d’Akkermansia dans la flore intestinale, donc il suffit d’en prendre en tant qu’humain et le tour est joué. Mais en fait, nous avons remarqué, en passant aux expériences chez l’humain, qu’elle n’augmentait pas aussi spécifiquement. Ça veut dire qu’une fois qu’on a perdu cette bactérie suite à une mauvaise alimentation, par l’obésité ou le diabète de type 2, une alimentation plus riche en prébiotiques pourrait augmenter un peu le taux d’Akkermansia mais pas chez tout le monde.

Pourquoi ?

On n’en sait rien. C’est là qu’il y a encore une inconnue. On a juste pu identifier que, à poids équivalent et à diète équivalente, les personnes qui ont plus d’Akkermansia répondent mieux à un régime alimentaire. Ce qui est intéressant avec cette découverte, c’est que ça démontre qu’il faut arrêter avec les discours culpabilisants tels que « si vous êtes obèse, c’est de votre faute ». C’est plus complexe. Dans toutes les études que j’ai réalisées, les gens ont beau être très assidus, même mieux que d’autres, parfois ils n’ont pas les mêmes résultats. Je ne dis pas que c’est uniquement de la faute du microbiote, mais ça peut être un avantage. Donc ensuite, l’idée c’est de supplémenter ceux qui en ont moins ou qui sont à risque.

Comment faire si ce n’est avec une meilleure alimentation?

Dans nos premières études, nous avons étudié la forme vivante d’Akkermansia, présente naturellement dans l’intestin. On a donc essayé de l’administrer morte, en la tuant par un traitement à la chaleur à de hautes températures, et là nous avons observé que ce n’était plus efficace, ce à quoi on s’attendait. Mais on a ensuite essayé la pasteurisation, c’est-à-dire de la tuer à des températures plus basses (70°), et qui n’altère pas sa structure interne et externe. Et bien là on a observé qu’elle était encore plus efficace ! C’était inespéré, si j’avais dû parier, j’aurais tout perdu. Ça nous a donné un avantage énorme pour l’administrer chez l’homme, car cette forme de la bactérie est très stable et plus facile à administrer.

Ça peut permettre une commercialisation sous forme de gélule ?

Oui. Il y a encore des études en cours dans différents pays, avec une gélule de bactérie pasteurisée en poudre, mais la société spin-off qu’on a créé avec Willem De Vos, The Akkermansia Company (A-Mansia), va commercialiser un complément alimentaire qui arrivera probablement fin de cet été ou fin d’année.

C’est donc la solution pour traiter l’obésité ?

Non ! On a souvent vu ma tête dans la presse avec écrit: « Il va soigner l’obésité », mais je crois qu’on ne doit pas parler de traitement. Akkermansia n’est pas une solution miracle. Ce sera un complément à la prise en charge classique et elle sera destinée à toute personne qui a envie de faire attention à sa santé. C’est là la difficulté. Mon rêve est de faire en sorte que les gens se sentent mieux, mais il ne faut pas que ce soit un rêve inatteignable. On n’est pas là pour dire « c’est la boulette magique ». Perdre du poids, ça prend du temps. Et là ce sera la même chose. Par contre, ce sera peut-être une aide supplémentaire. Trop souvent, les personnes qui désirent perdre du poids veulent des résultats rapides mais physiologiquement ce n’est pas possible. Et outre le poids, elle aidera sans doute davantage pour limiter l’augmentation de certains facteurs de risques cardiovasculaires comme la résistance à l’insuline, l’inflammation de bas grade, etc.

Vous ne craignez pas que ce soit justement trop perçu comme miraculeux ?

C’est un risque. Je peux vous dire que je reçois des demandes par e-mails… je ne sais pas combien par semaine. Des personnes qui me demandent quand est-ce que Akkermansia sera disponible, si elles peuvent en avoir. Je leur dis toujours attention, votre attente est à un niveau tellement élevé que vous allez être déçu. Ce n’est pas pour remplacer d’autres moyens nutritionnels, c’est peut-être plus simple mais la prise de poids est multifactorielle. Vous devez appuyer sur tous les boutons pour que la machine fonctionne. C’est difficile de faire comprendre ça.

Sarah Duchêne

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