Carte blanche
Réaménager le temps et le lieu de travail des enseignants: le Pacte d’excellence l’envisage et cela fâche (carte blanche)
L’approche orientante est un concept encore mal perçu, estime Bernard De Commer, ancien permanent syndical retraité et membre du Conseil de l’Education et de la Formation. Il est pourtant au cœur des réformes liées au Pacte.
Cette approche se définit se définit comme étant une « éducation au choix dans les pratiques scolaires » et doit permettre aux filles et aux garçons indifféremment de « développer leurs centres d’intérêt et leur permettre de découvrir le vaste champ des métiers, pour pouvoir au fil du secondaire poser des choix judicieux et construire un projet d’études supérieures en lien avec un projet professionnel et social » (CEF. Plaquette éditée à l’occasion du 10ème anniversaire du CEF. A propos de l’avis n°90. Chapitre 12, page 66.)
Dans les groupes de travail relatifs au Pacte pour un Enseignement d’excellence, et significativement dans celui qui aborde la thématique « Améliorer le parcours scolaire de l’élève et lutter contre les échecs et les inégalités scolaires », ce concept d’école orientante est largement évoqué.
Ainsi peut-on lire dans le rapport intermédiaire ceci (version février 2016) :
« Développer la capacité à s’orienter constitue un enjeu démocratique majeur puisque l’orientation vise à rendre tous les élèves plus compétents et actifs dans la planification et la gestion de leur parcours de vie, de formation et d’activité professionnelle. Elle permet à l’élève d’augmenter la maîtrise de son parcours et le prépare à faire face aux multiples transitions de formation et de carrière professionnelle auxquelles il sera confronté lors d’un parcours de moins en moins linéaire, dans un monde marqué par l’incertitude.
Le développement de la capacité à s’orienter n’est pas naturel, il fait l’objet d’une action d’éducation à s’orienter.
Le Groupe de travail considère que le modèle de l’approche orientante (même si une autre appellation, à connotation plus active, est à trouver) est un concept dynamique pour favoriser, dès le plus jeune âge, le développement de l’identité de l’élève et la prise de conscience des réalités du monde extérieur. Elle constitue donc une réponse éducative aux besoins généraux de tous les élèves en matière d’orientation et vise le développement de la capacité à s’orienter chez tous les élèves
L’approche orientante repose sur trois principes directeurs :
– le principe d’infusion : l’insertion de contenus liés à l’orientation dans les contenus des cours (connaissance de ses aptitudes et aspirations, connaissance du monde extérieur à l’école, à l’action citoyenne, notamment professionnelle (les métiers), à la formation);
– le principe de collaboration : la création de partenariats entre les professionnels de l’enseignement, les professionnels de l’orientation et des partenaires externes pour la mise en œuvre d’activités d’orientation ;
– le principe de mobilisation de l’élève dans la construction de son devenir assuré par une approche pédagogique de l’ensemble de l’équipe éducative. »
On pourrait, de prime abord, penser qu’il s’agit là d’une instrumentalisation intégrée de l’école par le monde économique. Les adeptes de l’approche orientante s’en défendent fermement, déclarant qu’il s’agit en fait de rendre toujours « plus signifiante pour chaque élève sa démarche scolaire » (CEF. Note de présentation remise aux participants au séminaire du 7 mars 2006). Donc de répondre à une demande de ces élèves.
Cette nécessité de rendre la scolarité signifiante, c’est-à-dire de lui donner du sens, est très largement mise en avant dans cette approche orientante.
L’approche orientante a la volonté avouée de répondre à cette question du « qu’est-ce que je peux en faire maintenant ? » Il s’agit donc, me semble-t-il, d’une approche pragmatique. A chaque époque, son école et son mode d’orientation. Celle d’aujourd’hui doit se positionner dans un concept de « donne-toi toi-même (individuellement) du sens à ta vie » et donner aux élèves les outils supposés les plus adéquats pour y parvenir. Ce pourrait n’être en fin de compte qu’une réponse pédagogique à un état de fait donné. Mais ne soyons pas dupes. Comme l’écrivent Vincent DUPRIEZ et Jacques CORNET : « Les pratiques pédagogiques sont des constructions sociales contextualisées » . (La rénovation de l’école primaire. Comprendre les enjeux du changement pédagogique. De Boeck. 2005).
Les tenants de cette approche se défendent d’être les bons serviteurs de ce dessein polico-social. Ils y opposent le fait que l’approche orientante constitue une véritable immersion et non un travail sur les images professionnelles. Pour faire court, il ne s’agit pas de vouloir former des plombiers, par exemple, en travaillant sur l’image véhiculée par cette profession, mais de mettre le jeune en situation de plombier pour qu’il expérimente et puisse choisir s’il échet. Cette expérimentation par ailleurs multidisciplinaire se fait au travers de projets collectifs au cours duquel l’élève est amené à répondre à sa question du « à quoi cela peut-il me servir maintenant » et progressivement à se poser celle du « de quoi ai-je besoin si je fais le choix d’être plombier » dans notre exemple ?
Ces mêmes tenants partent de l’hypothèse que ceux qui sont le mieux à même d’avoir cette approche orientante, ce sont les enseignants. A la question de la formation initiale et en cours de carrière à ce type d’approche, force est de constater qu’on en est aux balbutiements. Une bien mauvaise habitude à chaque réforme en Fédération Wallonie-Bruxelles.
On rappellera quand même utilement que le Contrat pour l’Ecole (31 mai 2005) dans sa priorité 3 parlait déjà explicitement de l’approche orientante et revendiquait qu’il convenait d’y former tous les agents des PMS et tous les enseignants.( « De Pisa 2000 au Contrat pour l’école » B DE COMMER. Courrier hebdomadaire du CRISP. 2005. N° 1878-1879.)
Le C.E.F a produit une note indicative, qui sans être révolutionnaire n’en insiste pas moins sur la nécessité pour les « écoles (de) se former à l’ouverture et à la réflexion en matière de choix des élèves » et de « sortir d’une logique de réorientation pour aller vers une logique de démarche progressive d’orientation » . Sont entre autres ici visées les attestations d’orientation délivrées par le Conseil de classe : AOA (réussite), AOB (réussite avec des restrictions quant à l’option, la forme) et AOC (échec). Mais surtout l’AOB trop souvent utilisée comme une attestation de relégation qui ne dit pas son nom .
Les mots du CEF sont soigneusement pesés, mais ils portent en filigrane le concept d’approche orientante comme défini par les tenants de cette approche.
La mise en place d’une école orientante exige du personnel non seulement un engagement à l’égard de la mission d’orientation de l’école, mais aussi une concertation dans le travail. L’école orientante est un projet d’équipe auquel toute l’école doit adhérer afin qu’il ait des chances de succès et de continuité.
On peut lire dans le rapport intermédiaire ceci : « La faiblesse actuelle du travail collaboratif renvoie en grande partie à une question organisationnelle, notamment à la « structure cellulaire » du système éducatif (c’est-à-dire l’organisation du système en une juxtaposition de classes isolées). Cette structure cellulaire est inscrite dans l’espace (absence d’espace commun dans l’école) et le temps (le temps de travail enseignant est défini comme le temps de présence en classe). Une telle structure cellulaire pousse les enseignants à travailler seuls, ou du moins n’encourage pas, voire complique le développement de pratiques collaboratives.
Pour favoriser le développement des pratiques collaboratives, il paraît dès lors essentiel d’agir d’abord sur le plan organisationnel… » (rapport intermédiaire janvier 2016)
Il s’agit, on l’aura compris, de réaménager le temps et le lieu de travail des enseignants.
Le Pacte l’envisage et, apparemment, c’est mal perçu, cela fâche.
C’est en tout cas ce que l’on pouvait deviner en lisant les calicots ou en prêtant l’oreille à certains chants entamés par les manifestants à Liège, le 5 mai dernier.
Ce malaise, ce ressenti négatif doivent impérativement être entendus par l’Autorité et des réponses y apportées si l’on veut que les réformes initiées par le Pacte rencontrent leurs objectifs.
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