" Théoriquement, il y a de la place " pour le Parti populaire de Mischaël Modrikamen. © BENOIT DOPPAGNE/BELGAIMAGE

« Une alternative antisystème est possible en Belgique »

Olivier Mouton Journaliste

Jean-Benoît Pilet, politologue à l’ULB, explique comment les partis traditionnels ont verrouillé le jeu démocratique. Pourtant, dit-il, « tous les éléments d’un cocktail explosif sont réunis ! »

Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays européens, de nouveaux partis peinent à émerger en Belgique. Pourquoi ?

Le système politique belge est saturé. Les partis traditionnels couvrent déjà les principaux enjeux pertinents et polarisants. C’est davantage encore le cas en Flandre qu’en Wallonie, où il n’y a pas encore d’offre consistante du côté de la droite populiste. Mais de façon générale, il n’y pas beaucoup de place chez nous pour un nouveau venu, sauf à faire disparaître un parti existant. La question qui se pose, dès lors, est de savoir comment les partis en place font pour ne pas être remplacés. Depuis les années 1990, ils installent une série de verrous pour fermer à double tour le système aux nouveaux venus. C’est une forme de cartellisation de la vie politique. Les partis traditionnels s’accordent entre eux pour ne pas permettre l’émergence de nouvelles forces et limiter la compétition entre eux. C’est comparable à un cartel d’entreprises qui entraverait la libre entreprise.

De quels verrous s’agit-il ?

Tout d’abord, le mode de financement public des partis se base uniquement sur les résultats des élections précédentes. Ce n’est pas la même chose qu’en France, par exemple, où les nouvelles initiatives politiques peuvent compter sur un remboursement de leurs frais de campagne en fonction des résultats obtenus. Ensuite, il y a la réglementation de l’activité médiatique sur les chaînes publiques en période de campagne électorale. Cela déteint aussi sur les médias non publics et constitue une prime aux partis déjà représentés au Parlement. Il y a aussi des règles internes propres aux différentes assemblées qui limitent la capacité d’action et les prises de parole des partis ne disposant pas d’un groupe parlementaire comme le PTB, le PP ou Jexiste. Enfin, le seuil électoral à 5 %, décidé pour éviter l’apparition de partis liberticides, et l’apparentement rendent extrêmement compliquée l’apparition de forces nouvelles. Même un parti installé comme Ecolo peut se retrouver embarrassé par ces règles. Mais il a, lui aussi, accepté de fermer le système en approuvant l’adoption de ce seuil à 5 %.

Le dernier parti à émerger en Belgique fut la N-VA

Cela explique-t-il le conservatisme de la politique francophone ?

Cela crée un système fortement fermé, c’est indéniable. Pourtant, les électeurs belges sont aussi volatils que les autres électeurs européens et ils le sont même de plus en plus, au vu des enquêtes menées lors des dernières élections. Il y a donc de la place pour l’apparition d’un nouveau parti. Ce qui pourrait rompre ce constat de conservatisme, ce serait l’émergence d’une formation cristallisée autour d’une personnalité charismatique. Le très bon exemple, c’est le Mouvement 5 étoiles, en Italie, qui s’est développé grâce à la notoriété de l’humoriste Beppe Grillo. On voit, chez nous, qu’une initiative comme E-change obtient une couverture médiatique sans commune mesure avec celle de petits mouvements comme Oxygène, EnMarche.be (devenu Volt) ou Belvox. Ce n’est pas illogique en raison de la présence, en son sein, de personnalités connues comme Didier Gosuin ou Jean-Michel Javaux. On a par ailleurs senti un frémissement quand Gino Russo a évoqué la possibilité de se lancer dans l’arène politique, il y a un an, ce qui aurait pu engendrer un attrait social très important. Un autre exemple provient d’Espagne avec l’émergence d’un mouvement comme Podemos, qui a réussi à développer une stratégie alternative avec, notamment, des médias propres pour contourner son manque de visibilité dans les médias traditionnels. Il a aussi réussi à transformer la mobilisation sociale du mouvement des Indignés en une force électorale participative. Le dernier parti à émerger en Belgique fut la N-VA, jusqu’à devenir le principal parti de Flandre. Bart De Wever a su profiter des circonstances pour se faire une place médiatique lors des négociations institutionnelles de 2007-2008. Et il a su utiliser son alliance en cartel avec le CD&V pour exploser alors qu’il ne représentait rien sur le plan électoral.

Du côté francophone, le PP a été lancé par une personnalité connue, Mischaël Modrikamen, et dispose de son propre média. Peut-il émerger ?

Pour Jean-Benoît Pilet,
Pour Jean-Benoît Pilet, « le tout est de savoir quand les électeurs feront le premier pas ».© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

Théoriquement, il y a de la place en Belgique francophone pour un tel parti. Si on regarde les enquêtes, on constate que les régions francophones ne sont pas très différentes des Pays-Bas ou de la Flandre, elles ne sont pas davantage promigrants que d’autres. La sauce du PP ne prend pourtant pas. Cela révèle aussi le fait que les partis traditionnels mènent des stratégies pour conserver leurs électeurs malgré tout. Soit en ayant des élus en leurs rangs qui tiennent un discours similaire, à l’image d’un Alain Destexhe au sein du MR, même si ce n’est pas toujours simple à gérer. Soit parce qu’ils gardent un fort ancrage de terrain en Wallonie, comme le PS, ce que son homologue français n’arrive plus du tout à faire. Tout cela permet de couper partiellement le potentiel électoral de Mischaël Modrikamen.

La Belgique francophone va-t-elle rester un îlot un Europe ?

Il n’y a pas encore eu de bouleversements électoraux avec l’arrivée au pouvoir d’alternatives radicales, mais personne ne peut prédire que ce ne sera pas le cas lors des prochains scrutins. Car la confiance dans notre système politique ne cesse de s’éroder depuis les années 1980 et cette évolution a tendance à s’accélérer. On ne peut plus exclure la possibilité que l’un des partis traditionnels soit balayé par une alternative antisystème. Pour l’instant, la Wallonie est préservée de cette évolution européenne, mais tous les éléments d’un cocktail explosif sont réunis. Le tout sera de savoir quand les électeurs oseront faire le premier pas. La Flandre l’a fait avec le Vlaams Belang dans les années 1990, ce qui a ouvert la voie à la Liste Dedecker ou à la N-VA.

Cela ne pourrait-il pas arriver en Wallonie et à Bruxelles avec le PTB ?

Oui, mais il se pourrait aussi qu’il entre rapidement dans une logique similaire à celle d’Ecolo, que plus personne ne considère comme un parti de rupture contre le système. Le PTB va-t-il suivre la même voie et s’installer dans le système à la gauche du PS ? La question ne semble pas tranchée à l’intérieur du parti, à tout le moins au niveau de ses dirigeants.

Si de nouveaux partis ont émergé en Flandre, n’est-ce pas dû à une identité régionale plus ancrée ?

Cela n’explique pas tout, même si ça peut expliquer l’apparition d’une droite populiste. Podemos, en Espagne, n’a pas eu besoin d’un tel contexte pour atteindre la barre des 20 %. Même chose pour le Mouvement 5 étoiles en Italie. Tous deux ont explosé au départ d’un rejet du système traditionnel que l’on perçoit aussi très fort en Wallonie et à Bruxelles.

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