Un torchon brûle entre Van Overtveldt et le Conseil d’Etat
Des projets de loi mal torchés, les magistrats du Conseil d’Etat en ont leur dose. Mais à la lecture d’une copie envoyée par le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA), ils ont eu la conviction de toucher le fond. Et l’ont fait savoir.
Les magistrats du Conseil d’Etat aiment comprendre. Normal, vu qu’ils sont payés pour ça. Même qu’un gouvernement est tenu de leur demander leur avis lorsqu’il s’avise de vouloir légiférer. C’est dire s’ils en voient défiler, des projets de textes de loi. Parfois assez bien ficelés, souvent plutôt mal torchés. Mais la copie qu’a osé leur remettre en décembre dernier le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) a eu le don de les faire sortir de leurs gonds.
L’intitulé fleurait déjà l’embrouille : avant-projet de loi « portant des dispositions diverses en matière d’impôts sur les revenus. » Un agglomérat d’ajouts, de corrections, d’adaptations à des dispositions elles-mêmes déjà modifiées par deux lois adoptées voici six mois à peine. Une cascade de modifications à des modifications ou de modifications à des dispositions qui ne sont pas encore entrées en vigueur…. Le tout à propos d’une matière horriblement fiscale, baladée entre revenus de dividendes exonérés dans le cadre de l’activation de l’épargne, régime incrémental des intérêts notionnels ou encore cotisation en cas de rémunération insuffisante d’un dirigeant d’entreprise.
Ajustements purement techniques, pas de quoi en faire un fromage, s’est-on sans doute dit au cabinet des Finances. Sauf que le Conseil d’Etat l’a très, très mal pris. Tant qu’à devoir donner son avis, il a exprimé sa façon de penser. Il a étrillé « une initiative législative imparfaite et prématurée ». Dézingué « l’usage débridé de la technique des lois « fourre-tout ». » Carbonisé cette façon de « procéder à la va-vite à des réformes dans le domaine fiscal ou à la concrétisation de nouvelles normes législatives ». Flétri « l’urgence avec laquelle les modifications en projet sont chaque fois rédigées et avec laquelle la Chambre doit les apprécier ». Avec en bout de course, la voie royale à « de nouvelles erreurs ou des estimations politiques inexactes qui appellent une nouvelle législation réparatrice ».
« On a de nouveau franchi une limite »
On répare, on bricole, on bidouille ? Au rayon fiscal, la suédoise et son grand argentier se distinguent : « pour ce qui est de l’année civile précédente, la plupart des normes légales ont été adoptées au moyen de lois « fourre-tout ». Ce n’est que très sporadiquement qu’on adopte encore des dispositions légales en dehors de ce procédé », s’agacent les magistrats ulcérés. Car cette fois, le ministre Van Overtveldt s’est surpassé. « On a de nouveau franchi une limite. On a manifestement adopté une réglementation en sachant parfaitement bien que le texte n’était pas encore tout à fait en état. »
C’est trop. Le Conseil d’Etat a été à deux doigts de baisser les bras. Comment rendre un avis sérieux sur un tel torchon ? « La section de législation peine véritablement à exercer sa mission consultative comme il se doit et il ne lui a pas été possible de soumettre le texte de l’avant-projet à un examen complet et approfondi. » Inutile d’y voir une forme de bénédiction : « La circonstance qu’une disposition ne fasse l’objet d’aucune observation dans le présent avis ne permet par conséquent nullement de conclure qu’il n’y a rien à en dire et, si toutefois une observation est formulée, cela n’implique pas qu’elle est exhaustive. »
Face à des députés unanimes à fustiger (côté opposition) ou à déplorer (côté majorité) un travail de si piètre qualité sur lequel ils doivent à présent se prononcer, Johan Van Overtveldt n’a pas rougi sous l’affront. Ni jugé bon de s’excuser. Que le Conseil d’Etat s’offusque, « on a agi en respectant suffisamment la sécurité juridique du contribuable », assure le ministre des Finances. Cela suffit à son bonheur.
Pierre Havaux
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