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Un test pour recevoir la nationalité belge? Les dessous de cette proposition décryptés par deux politologues

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le CD&V a déposé une proposition de loi visant à imposer un « examen de nationalité » à ceux qui désirent devenir Belge. Une idée qui divise fortement la classe politique du pays. Que se cache-t-il derrière ce projet qui fait couler beaucoup d’encre ? Décryptage avec les politologues Carl Devos (UGent) et Caroline Sägesser (CRISP).

Sammy Mahdi, le président des sociaux-chrétiens flamands, avait déjà suggéré l’été dernier que toute personne demandant la nationalité belge doive d’abord prouver qu’elle a une connaissance suffisante de notre pays, de notre langue et de nos coutumes.

Début de semaine, le néo-président centriste remet le couvert. Il va même plus loin, son parti déposant une proposition de loi conditionnant l’obtention de la nationalité belge à la réussite d’un examen obligatoire dans l’une des trois langues nationales. Ce test, dont le contenu précis serait laissé aux communautés, devrait évaluer si le candidat a un lien suffisamment fort avec notre pays et s’il a une bonne connaissance de la société.

Selon le député CD&V Franky Demon, à l’origine de la proposition de loi, les Pays-Bas, la France et l’Allemagne ont mis en place des examens similaires. « Ce test ne devrait pas être un marteau avec lequel frapper les gens. Mais les demandeurs devront pouvoir démontrer qu’ils ont les connaissances nécessaires de la Belgique, comme par exemple savoir ce qu’est l’Atomium », a-t-il expliqué.

Test de nationalité belge: « Le moyen que propose le CD&V n’est pas bon »

« C’est étonnant, car jusqu’à présent il n’y a pas eu de débats profonds sur ce sujet en Flandre », explique au Vif le politologue Carl Devos, de l’Université de Gand. « Il demeure intéressant de débattre sur l’intégration des minorités, car c’est un problème majeur en Belgique au regard du marché de l’emploi. Mais je ne pense pas qu’un examen soit une bonne manière de réussir une intégration. Ce n’est pas une mauvaise chose d’ouvrir le débat sur le sujet, mais le moyen que le CD&V propose ne me semble pas bon », avance-t-il.

Pour Caroline Sägesser, historienne et membre du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), cette proposition n’a rien d’inédit. « Sammy Mahdi avait déjà agité l’idée à l’occasion de la dernière fête nationale. C’est quelque chose qui a été formulé à des multiples reprises par des partis de droite ou de centre-droit », rappelle-t-elle.

On est entré en pré-campagne électorale, où chacun vient avec des propositions qui font parler. Cette fois, la campagne commence très tôt. Avec comme but de séduire l’électeur ou d’en acquérir de nouveaux. 

Caroline Sägesser

Pour la chercheuse, ce genre de suggestion est comparable à l’idée d’un service civique obligatoire, déjà évoqué à maintes reprises par le paysage politique. Derrière cette proposition de loi du CD&V se cachent des intérêts purement électoraux, selon Caroline Sägesser. « On est entré en pré-campagne électorale, où chacun vient avec des propositions qui font parler. Cette fois, la campagne commence très tôt. Le but est de séduire l’électeur ou d’en acquérir de nouveaux. »

Elle précise : « On est dans une période où ce type de projet n’a pas beaucoup de chances d’être adopté et mis en œuvre avant la fin de la législature. Donc, le parti se profile sur ce qui touche aux valeurs. Le sujet a la cote au nord du pays, où l’on parle énormément des valeurs flamandes. Avec notamment tout le dossier autour du « canon flamand », ou encore avec la série « Het verhaal van Vlaanderen », qui cartonne », pointe la membre du CRISP.

Carl Devos abonde. Selon le politologue de l’UGent, le CD&V, en chute libre dans les derniers sondages, tente un coup de pub. Avec une telle proposition, le parti centriste veut se replacer au centre… de l’attention. « Le CD&V de Sammy Mahdi se cherche une identité plus prononcée. Beaucoup de personnes se demandent si le parti est encore en vie, et ce qu’il signifie encore. Le parti se cherche un nouveau visage. En agissant de la sorte, il se retrouve lié à un sujet qui intéresse et qui crée des clivages. Le CD&V se place ainsi au centre des débats », avance-t-il.

Le CD&V de Sammy Mahdi se cherche une identité plus prononcée.

Carl Devos

En Flandre, les avis sur la question sont partagés, selon le politologue. « Je n’ai pas l’impression qu’une majorité favorable se dégage clairement. L’idée suscite même beaucoup d’interrogations : pourquoi maintenant, pourquoi un examen ? Le parcours d’intégration est déjà long, alors avons-nous réellement besoin d’un test supplémentaire ? », s’interroge Devos.

La question a en tout cas ravivé une fois de plus l’opposition entre la gauche et la droite, aussi bien au nord comme au sud du pays. « La série Het Verhaal van Vlaanderen ouvre énormément de débats en Flandre entre la gauche et la droite. La tension est très, très forte. Et je ne pense pas qu’elle redescendra dans les semaines à venir, car il y a encore beaucoup de débats socio-économiques à l’agenda politique », analyse Carl Devos, pour qui une telle tension entre gauche et droite « n’avait plus été observée depuis plusieurs années. »

nationalité belge
Le politologue Carl Devos (UGent) s’interroge sur la nécessité d’imposer un examen de nationalité pour devenir citoyen belge, proposition de loi lancée par le CD&V.

Pour Caroline Sägesser, cette dualité n’est pourtant pas une réelle surprise. « Ce sont des positionnements classiques sur l’axe gauche-droite. Du côté socialiste, on observe des protestations qui dénoncent le côté discriminatoire d’un tel test, notamment vis-à-vis du capital culturel. Et à droite, l’accent est mis sur les valeurs qu’il convient d’adhérer pour s’intégrer. »

Quel type de test, et quel sens lui donner?

Sur le fond, Devos et Sägesser s’interrogent tous deux sur le sens d’un test de citoyenneté. « Je pense qu’il est un bon d’avoir un trajet d’intégration clair pour celles et ceux qui veulent devenir citoyens belges. Mais apprendre la langue ou respecter la culture suffisent. On n’a pas besoin d’un examen. Car cela amènerait une autre question : si l’on impose un tel test, alors il faudrait obliger ceux qui sont déjà citoyens à le réussir également. Et il est probable que beaucoup échouent », note Carl Devos. Caroline Sägesser s’aligne. « On exigerait du nouvel adepte des connaissances dont on ne vérifie pas l’acquis chez les autres, qui sont citoyens de naissance. De ce point de vue-là, on introduit peut-être une discrimination », relève-t-elle.

Elle ajoute : « Le parcours de citoyenneté quand on s’établit en Belgique a beaucoup de sens. Mais il convient de différencier clairement un test de valeurs avec un test de connaissances. » Pour la chercheuse du CRISP, « puisque la citoyenneté, c’est aussi et surtout l’exercice de droits politiques, si l’on établit un test, il devrait se baser sur la connaissance des institutions et du système politique belge, afin de pouvoir jouer son rôle de citoyen actif. Dans cette optique, un test pourrait prendre tout son sens. Mais lorsqu’on parle de valeurs, on s’attaque à un concept délicat, qui reste très difficile à cerner. »

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