Un service d’utilité collective avant le retour du service militaire obligatoire?
Un service d’utilité collective, sur une base volontaire, sera mis en place, a réaffirmé la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder. Avant un service militaire? L’avis de Bruno Colson, spécialiste de l’histoire militaire à l’UNamur.
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, plusieurs pays européens ont réinstauré le service militaire obligatoire ou envisagent de le faire (Lettonie, Danemark, etc.). Que vous inspire cette mesure?
La guerre en Ukraine a sonné le glas de l’illusion d’une «mondialisation heureuse». Comme le titrait dernièrement la revue française Stratégique, c’est «le retour du réel»: l’histoire n’est pas terminée, elle continue et les guerres avec elle. La guerre en Ukraine fait beaucoup de victimes, elle détruit des humains mais aussi des villages, des villes, des infrastructures et du matériel militaire, dont une partie vient d’Europe occidentale. Ces destructions, d’une ampleur que beaucoup croyaient révolue, entraînent nécessairement la reconstitution d’armées plus nombreuses et dûment équipées. C’est pourquoi plusieurs pays d’Europe réagissent en ce sens, en commençant par les plus proches de la Russie.
Pour l’instant, la ministre de la Défense exclut cette possibilité mais promet la mise en place d’un service d’utilité collective…
En Belgique, le service militaire obligatoire pour tous les garçons n’a été instauré qu’en 1913. Avant cela, et depuis 1909, c’était un fils par famille. Notre pays était neutre, à l’époque. Après la Seconde Guerre mondiale, il est entré dans l’Alliance atlantique, car la neutralité s’était révélée un leurre. Ludivine Dedonder tient compte de notre histoire: dans la longue durée, le service militaire obligatoire est lié à la triste époque des guerres mondiales et des armées massives, une période qui a perduré jusqu’à la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide (1989-1991). L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne signifie pas le retour de la guerre froide, où la prévisibilité était assez grande, mais l’entrée dans un monde plus incertain encore, où le recours à la force armée en Europe est redevenu une réalité. La ministre tient sans doute à ne pas effrayer la population, mais les spécialistes savent qu’un service civil basé sur le volontariat pourrait n’être qu’une première étape vers le retour d’un service militaire obligatoire. Nécessité fait loi, même si le politique avance prudemment sur la question. Un tabou a été brisé avec l’invasion de l’Ukraine.
Bruno Colson «Un service civil pourrait être une première étape vers un service militaire obligatoire.
Un tel service peut-il renforcer le brassage et la cohésion sociale?
Tous ceux qui ont accompli leur service militaire, dont je suis, vous diront oui: partager une même expérience de soumission à une autorité, de marche au pas, d’entraînement au maniement des armes, d’exercices d’endurance, cela crée une solidarité entre des personnes issues de milieux très différents, avec des parcours familiaux et scolaires variés. Dans notre pays bilingue, cela permet aussi de se familiariser avec la langue de l’autre communauté.
Ce service d’utilité collective sera proposé sur base du volontariat: pensez-vous qu’il puisse rencontrer un succès auprès des jeunes?
Cela les interpelle, en tout cas. L’an dernier, certains de mes étudiants en parlaient et ils m’ont demandé si j’avais fait mon service militaire. Il est possible qu’un appel aux volontaires rencontre les aspirations de certains jeunes. C’est l’âge de la générosité et de la recherche de sens. Si ce service d’utilité collective sur base volontaire est bien pensé, il est susceptible d’attirer. Après leurs études secondaires, beaucoup de jeunes ont du mal à faire un choix qui les engage dans une voie plus ou moins déterminée. Certains refont une «rhéto» à l’étranger, d’autres changent de parcours après avoir essayé une année d’études.
En France, le service national universel, lancé en 2019 sur une base volontaire, est en train de devenir obligatoire. Peut-on envisager une évolution similaire en Belgique avec le service d’utilité collective?
La Belgique n’a pas la même tradition du «service à la nation». Avant la Révolution de 1789, la France connaissait déjà un système de milice touchant la plupart des jeunes hommes pauvres. La loi Jourdan-Delbrel, en 1798, instaura la conscription universelle et obligatoire. Elle fut introduite dans nos régions, alors annexées à la France, et cela déplut fortement à la population, suscitant d’ailleurs de multiples soulèvements. Jusque-là, nos ancêtres n’avaient connu que le volontariat. Mais le modèle français de l’Etat-nation s’est imposé, bon gré mal gré, à l’ensemble de l’Europe et la Belgique de 1830 s’en est progressivement inspirée, dans le climat nationaliste qui a débouché sur la Première Guerre mondiale. Si on regarde dans le rétroviseur, on pourrait en déduire que la Belgique suivra sans doute le modèle français, en traînant un peu des pieds. Cela dépendra, évidemment, de l’évolution du conflit en Ukraine, mais la plupart des observateurs soulignent qu’il n’est pas près de se terminer.
D’anciens militaires estiment que la jeunesse d’aujourd’hui serait physiquement et mentalement incapable de soutenir un tel effort et une telle discipline.
C’est possible, surtout dans un premier temps. D’aucuns ont pointé ces dernières années «le nouvel hédonisme de la jeunesse». Il est vrai que notre société a de plus en plus promu le divertissement, l’amusement, les loisirs. Il faudrait analyser en profondeur les causes de cette évolution. Il ne faut pas croire que «les jeunes» sont seuls en cause: après tout, ils prennent ce que la société leur offre. Si le contexte politique et social change, les jeunes changeront aussi.
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