Le rôle ambigu et paradoxal de l’Eglise belge, un des piliers de l’entreprise coloniale
Ambiguïté et paradoxe, tels ont été les deux mots qui sont revenus plusieurs fois lundi devant la commission « passé colonial » de la Chambre pour qualifier le rôle de l’Église dans le système belge.
« L’Église a été instrumentalisée dans un certaine mesure », a expliqué Clément Makiobo, secrétaire de l’Exécutif National de la Commission Justice et Paix (émanation du concile Vatican II) en République démocratique du Congo.
Réticentes au début à s’engager dans l’entreprise coloniale de Léopold II, qui en avait besoin pour la légitimer, les instances religieuses belges ont fini par s’impliquer au nom de la lutte contre l’esclavagisme et à devenir un pilier du système. En 1906, une convention sera même signée entre le roi des Belges et le Saint-Siège.
Les missionnaires belges ont été nombreux -près de 2.300 en 1935 selon les chiffres du professeur Reuben Lofman (Univ. of London)- majoritairement féminins et issus de Flandre. Leurs appartenances étaient diverses: ordres religieux multiples et clergé séculier. Ils ont tout à la fois veillé à l’évangélisation des populations locales et exercé un quasi-monopole sur l’enseignement orienté alors vers le travail agricole. Mais, aux yeux de l’État qui s’appuyait sur eux, leur rôle premier était de servir les intérêts de la métropole. En Belgique, ces missionnaires étaient un rouage de la machine de propagande coloniale.
Les visions exprimées par les experts belges et étrangers ont parfois semblé divergentes. « Je comprends la tentation d’une vision manichéenne, en noir et blanc, mais l’Histoire est faite de nuances », a souligné le professeur Idesbald Godderis (KULeuven).
« Les missionnaires européens ont confondu le christianisme et l’occupation coloniale »
Clément Makiobo
Le rôle de l’Église est complexe à appréhender. En avril 2017, deux ans avant le Premier ministre Charles Michel, le primat de Belgique a présenté les excuses de son institution à propos du traitement réservé aux métis. Mais faut-il pour autant envisager des excuses de l’Église pour son rôle dans le système colonial, voire des réparations? « Je ne la mettrais pas sur un pied d’égalité avec l’État ou certaines entreprises privées », a ajouté M. Godderis.
Pourtant, à entendre M. Makiobo, face aux mauvais traitements de la population locale, les missionnaires catholiques belges ont peu réagi pour ne pas enfreindre la loyauté nationale envers la colonie. « Le christianisme était censé remplacer les coutumes indigènes et établir une communauté de croyances et de pratiques entre les Noirs et les Blancs. Le code de morale chrétien entendait inculquer aux Noirs le respect de l’autorité et le devoir envers les Blancs. Même si certains missionnaires visionnaires progressistes et passionnés de cultures africaines sont intervenus quelques fois contre les abus de la puissance coloniale, jusqu’à la veille de l’Indépendance, les missionnaires européens ont confondu le christianisme et l’occupation coloniale ».
Il faudra attendre 1956 pour que les évêques de Belgique, dans une déclaration, jugent l’émancipation de la colonie légitime et s’en prennent, par exemple, à l’expropriation des terres indigènes, condamnent le racisme ou soutiennent le droit des populations autochtones à se constituer en associations professionnelles.
Après l’Indépendance, l’Église est demeurée l’une des structures-clé du Congo, reposant sur 51 diocèses et 50 évêques. Mais son rapport avec le pouvoir a changé. « L’Église catholique est considérée comme un véritable contrepoids du pouvoir en place avec, en première ligne, les cardinaux », a souligné le recteur de l’université d’Uélé, Roger Gaise.
Après avoir tenu des auditions sur le rôle de l’État et de la monarchie dans le colonialisme belge, la commission examine le rôle de l’Église avant d’aborder celui des entreprises privées.
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